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– Lorenza Pellegrini.

– Je crois. Il y a quelque chose entre elle et notre Belbo, eh ?

– Je pense qu'ils sont bons amis.

– Ah ! Voilà une réponse de gentilhomme. Parfait Casaubon. Mais ce n'était pas par curiosité, c'est que moi, pour vous tous, je me sens comme un père et... glissons, à la guerre comme à la guerre... Adieu, cher. »

Nous avions vraiment un rendez-vous avec Agliè, sur les collines du Turinois, me confirma Belbo. Double rendez-vous. Première partie de la soirée, une fête dans le château d'un Rose-Croix cossu ; et après, Agliè nous emmènerait à quelques kilomètres de là, où se déroulerait, à minuit bien entendu, un rite druidique sur lequel il avait été très vague.

« Mais je pensais, ajouta Belbo, que nous devrions aussi faire le point sur l'histoire des métaux, et ici nous sommes toujours trop dérangés. Pourquoi ne partons-nous pas samedi et nous passons deux jours dans ma vieille maison de *** ? C'est un bel endroit, vous verrez, les collines valent la peine. Diotallevi est d'accord, et Lorenza vient peut-être. Naturellement... venez avec qui vous voulez. »

Il ne connaissait pas Lia, mais il savait que j'avais une compagne. Je dis que je viendrais seul. L'avant-veille, je m'étais disputé avec Lia. Ç'avait été une bêtise, et de fait tout se serait arrangé en une semaine. Cependant je sentais le besoin de m'éloigner de Milan pendant deux jours.

Nous arrivâmes ainsi à ***, le trio Garamond et Lorenza Pellegrini. Il y avait eu un moment de tension au départ. Lorenza s'était trouvée au rendez-vous, mais, au moment de monter dans la voiture, elle avait dit : « Je vais peut-être rester, moi, comme ça vous, vous travaillez en paix. Je vous rejoins plus tard avec Simon. »

Belbo, les mains sur le volant, avait raidi les bras et, en regardant fixement devant lui, dit avec lenteur : « Monte. » Lorenza était montée et, pendant tout le voyage, assise devant, elle avait gardé la main sur le cou de Belbo, qui conduisait en silence.

*** était encore le gros bourg que Belbo avait connu pendant la guerre. De rares maisons neuves, nous dit-il, une agriculture en déclin, parce que les jeunes s'étaient déplacés vers les villes. Il nous montra certaines collines, à présent en pâture, qui avaient été, autrefois, jaunes de blé. Le bourg apparaissait soudain, après un virage, au pied d'une colline, où se trouvait la maison de Belbo. La colline était basse et laissait entrevoir derrière elle l'étendue du Montferrat voilée d'une légère brume lumineuse. Tandis que nous montions, Belbo nous indiqua une petite colline en face, presque chauve, et, à son sommet, une chapelle flanquée de deux pins. « Le Bricco », dit-il. Puis il ajouta : « Ça ne fait rien si ça ne vous dit rien. On y emportait le goûter de l'Ange, le lundi de Pâques. Maintenant, en voiture, on y arrive en cinq minutes ; mais à l'époque, on y allait à pied, et c'était un pèlerinage. »

– 55 –

J'appelle théâtre [le lieu où] toutes les actions de mots et de pensées, et les détails d'un discours et d'arguments sont montrés comme dans un théâtre public, où l'on réprésente des tragédies et des comédies.

Robert FLUDD, Utriusque Cosmi Historia, Tomi Secundi Tractatus Primi Sectio Secunda, Oppenheim (?), 1620 (?), p. 55.

Nous arrivâmes à la villa. Villa, c'est une façon de parler : bâtisse de maître, mais qui avait au rez-de-chaussée les grandes caves où Adelino Canepa – le métayer irascible, celui qui avait dénoncé l'oncle aux partisans – faisait le vin des vignobles de la propriété des Covasso. On voyait qu'elle était inhabitée depuis longtemps.

Dans une fermette à côté, il y avait encore une vieille, nous dit Belbo, la tante d'Adelino – les autres étaient désormais morts tous les deux, oncle et tante, les Canepa, il ne restait que la centenaire pour cultiver un petit potager, avec quatre poules et un cochon. Les terres étaient parties pour payer les droits de succession, les dettes, et puis qui sait quoi encore. Belbo alla frapper à la porte de la ferme ; la vieille s'avança sur le seuil ; elle mit quelque temps à reconnaître le visiteur, puis elle lui fit d'abondantes manifestations d'hommage. Elle voulait nous faire entrer chez elle, mais Belbo coupa court, après l'avoir embrassée et réconfortée.

Comme nous entrions dans la villa, Lorenza poussait des exclamations de joie au fur et à mesure qu'elle découvrait les escaliers, couloirs, pièces ombreuses au mobilier ancien. Belbo se tenait sur l'understatement, observant que chacun a le château de Sigognac qu'il peut, mais il était ému. Il venait ici de temps à autre, nous dit-il, mais plutôt rarement.

« Pourtant, on y travaille bien, l'été elle est fraîche et l'hiver elle a des murs épais pour la protéger du froid, et il y a des poêles partout. Naturellement, quand j'étais gamin, en réfugié, nous n'habitions que les deux pièces latérales, là-bas au fond du grand couloir. Maintenant j'ai pris possession de l'aile de mon oncle et de ma tante. Je travaille ici, dans le bureau de mon oncle Carlo. » Il y avait un de ces secrétaires qui laissent peu d'espace pour poser un feuillet mais beaucoup pour des tiroirs visibles et invisibles. « Là-dessus je ne réussirais pas à placer Aboulafia, dit-il. Mais les rares fois où je viens ici, j'aime écrire à la main, comme je le faisais autrefois. » Il nous montra une armoire majestueuse : « Voilà, quand je serai mort, rappelez-vous, il y a ici toute la production de ma jeunesse, les poésies que j'écrivais à seize ans, les ébauches de saga en six volumes que j'écrivais à dix-huit... et au fur et à mesure...

– On veut voir, on veut voir ! s'écria Lorenza en battant des mains, et puis en avançant, féline, vers l'armoire.

– On se calme, dit Belbo. Il n'y a rien à voir. Moi-même je n'y regarde plus. Et, en tout cas, après ma mort, je viendrai tout brûler.

– Ici, ça doit être un coin à fantômes, j'espère, dit Lorenza.

– Maintenant, oui. Du temps de mon oncle Carlo, non : c'était très gai. C'était géorgique. Maintenant j'y viens justement parce que c'est bucolique. C'est beau de travailler le soir tandis que les chiens aboient là-bas dans la vallée. »

Il nous fit voir les chambres où nous dormirions : à moi, à Diotallevi et à Lorenza. Lorenza regarda la pièce, toucha le vieux lit avec sa grande couverture blanche, flaira les draps, dit qu'on avait l'impression de se trouver dans un conte de la mère-grand parce qu'ils odoraient la lavande, Belbo observa que ce n'était pas vrai, ce n'était qu'une odeur d'humidité, Lorenza dit que peu importait et puis, s'appuyant au mur, poussant légèrement en avant les hanches et le pubis, comme si elle devait vaincre le flipper, elle demanda : « Mais moi je dors ici toute seule ? »

Belbo regarda d'un autre côté, mais de ce côté il y avait nous, il regarda d'un autre côté encore, puis il s'avança dans le couloir et dit : « Nous en reparlerons. Dans tous les cas, tu as ici un refuge tout à toi. » Diotallevi et moi nous éloignâmes et nous entendîmes Lorenza qui lui demandait s'il avait honte d'elle. Lui, il observait que s'il ne lui avait pas donné une pièce à elle, c'eût été elle qui aurait demandé où lui croyait qu'elle aurait dormi. « J'ai fait moi le premier mouvement, comme ça tu n'as pas le choix », disait-il. « L'Afghan rusé ! disait-elle, et moi alors je dors dans ma chambrette. » « Ça va, ça va, disait Belbo, mais eux ils sont ici pour travailler, allons sur la terrasse. »