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La seconde scène se passait dans le parc, sous un ciel également bleu, mais large et vaste avec une flottille de nuages blancs. Gusterson faisait partie d’une file d’humains qui s’étendait à perte de vue, rangée après rangée. Une fanfare jouait un air martial. Au-dessus des têtes planait un essaim de petits sous-marins d’argent, mieux alignés dans les airs que les humains ne l’étaient sur le sol. La musique s’enfla dans un crescendo impressionnant. Le pense-bête le plus proche de Gusterson fit un geste de son membre à triple jointure (comme pour dire : « Et maintenant… qui sait ? ») qui demeura gravé dans sa mémoire.

Puis les pense-bête s’élevèrent tout droit dans le ciel sur leurs nouvelles carcasses brillantes. Ils se transformèrent en un vol d’oies d’argent… de moustiques d’argent… et les humains autour de Gusterson lancèrent un hourrah d’adieu…

Cette scène marqua le début du retour de la conscience et de la mémoire chez Gusterson. Il s’agita vaguement pendant quelque temps, adressa quelques paroles confuses à trois ou quatre personnes qu’il se souvenait d’avoir vues dans les jours de rêve, puis prit le chemin de la maison et de son dîner – avec trois semaines de retard, désorienté et émacié comme un ours au sortir de l’hibernation.

Six mois plus tard, Fay dînait en compagnie de Daisy et de Gusterson. Les cocktails étaient versés dans les verres et les enfants jouaient dans l’appartement voisin. Les murs transparents teintés de violet brillèrent puis s’obscurcirent tandis que le soleil s’enfonçait à l’horizon.

— « J’ai appris qu’un astronef au-delà de l’orbite de Mars a été crevé par un pense-bête. Je me demande où se dirigent à présent ces petites créatures ? »

Fay commença le geste désarticulé du bras, mais s’interrompit avec une grimace.

— « Ils ont peut-être quitté le système solaire à tout jamais, » suggéra Daisy qui avait récemment teint ses cheveux en rouge sang de bœuf et portait un chandail de même couleur.

— « Ils ont un rude voyage devant eux, » dit Gusterson, « à moins qu’ils ne découvrent, en cours de route, un procédé de propulsion hyper-einsteinien. »

Fay fit de nouveau la grimace. Il avait toujours l’air quelque peu languissant. Il dit d’un ton plaintif : « Il me semble que nous avons suffisamment entendu parler des pense-bête pour quelque temps ! »

— « C’est aussi mon avis, » dit Gusterson, « pourtant je ne peux pas m’empêcher d’y penser. Ils étaient tellement sérieux, tellement appliqués. En réalité, je n’ai pas résolu leur problème. J’en ai simplement transféré le fardeau à d’autres épaules. Toute plaisanterie mise à part ! » se hâta-t-il d’ajouter.

Fay s’abstint de tout commentaire. « À propos, Gussy, » dit-il, « as-tu reçu des nouvelles de la Croix Rouge à propos de la médaille que je t’ai fait décerner pour avoir sauvé le monde ? Je sais que le principe même de ce genre de décorations te semble ridicule, surtout depuis qu’on les décerne à tous les chefs d’État qui se sont abstenus de déclencher des guerres atomiques au cours de leur mandat, mais…»

— « Pas la moindre nouvelle, » dit Gusterson. « Je pourrais pourtant tirer parti de quelques médailles de sauvetage du monde. Cela déclencherait une tempête sur le vieux marché de l’or. Mais je ne m’inquiète pas de ce genre de choses. Je n’en ai pas le temps. Je suis trop occupé ces jours-ci à faire un tas de nouvelles inventions. »

— « Gussy ! » dit Fay sèchement, le visage tendu d’inquiétude. « As-tu oublié ta promesse ? »

— « Non, bien entendu, Fay. Mes nouvelles inventions ne concernent ni la Miniaturisation ni aucune autre firme. Elles ne sont qu’une partie légitime de mes élucubrations littéraires. Il se trouve que mon prochain roman démentiel racontera l’aventure d’un inventeur qui a perdu la raison. »