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— « Qu’est-ce que tu crois ? N’aie pas peur, je vais te le montrer. »

Et Fay se mit en devoir de défaire le paquet. « Nous ne savons pas encore s’il sera vendu dans le commerce. Dans l’affirmative, nous te soumettrons un questionnaire où tu seras sollicité de donner ton avis sur le développement ultérieur de l’appareil. Impossible de te verser un pourcentage. Je le regrette. Il y a trois ans, l’équipe de Davidson avait travaillé sur une idée identique, puis elle avait été classée. J’ai découvert cet engin en fouinant dans la réserve. Regarde ! N’a-t-il pas bonne apparence ? »

Sur la table noire écaillée, se trouvait un objet couleur d’argent mat, environ de la taille et de la forme d’une paume de main, aux doigts joints. Une minuscule boulette, sur un court fil quasi-invisible, en sortait. Sur la partie postérieure, une surface percée de trous suggérait un microphone ; on y voyait également une fenêtre avec une date, l’heure et les minutes et, à proximité, quatre petits boutons sur un rang. Le dessous concave de la « main » d’argent était lisse, sauf dans la région centrale où apparaissaient deux éminences qui ressemblaient à de petits rouleaux.

— « Cela se place sur l’épaule, sous la chemise, » expliqua Fay, « et l’on introduit la boulette dans le trou de l’oreille. Sur un modèle commercial, nous pourrions étudier la conduction par liaison osseuse. À l’intérieur se trouve un magnétophone ultra-lent, à fil fin, comportant une bobine qui peut se dérouler pendant une semaine. La pendule permet de choisir n’importe quel point sur la bobine et d’y enregistrer un message. Les boutons permettent des vitesses variables pour localiser ce point, et ainsi tu ne perds pas trop de temps pour établir ton programme. Il faut un certain tour de main pour le manier avec aisance, mais cela s’acquiert facilement. »

Fay saisit le pense-bête. « Supposons par exemple que tu veuilles assister à une émission qui a lieu à vingt-deux heures demain soir. » Il toucha les boutons. On entendit un faible ronronnement. La fenêtre-calendrier clignota trois fois avant d’indiquer le moment qu’il avait annoncé. Alors Fay parla devant la partie percée de trous.

— « Branche le poste de télévision, deuxième chaîne, espèce de grand sagouin ! » Il sourit à l’adresse de Gusterson. « Une fois que toutes les instructions sont enregistrées, tu remets la bobine en position à l’instant présent et tu la laisses tourner. Tu installes l’objet sur ton épaule et tu l’oublies. Et, chaque fois qu’il doit te transmettre de nouvelles instructions, il te chatouille au préalable. C’est à quoi servent ces petits rouleaux. Crois-moi, il t’est impossible de les ignorer. Allons, Gussy, retire ta chemise et essaie-le. Nous y enregistrerons des instructions pour les dix minutes qui vont suivre, et cela te permettra de voir comment l’appareil fonctionne. »

— « Je n’en ai pas la moindre envie, » dit Gusterson. « Pas pour l’instant. Je veux d’abord l’examiner. Grands dieux, comme il est petit ! Mais avant toute chose, est-ce qu’il pense ? »

— « Ne fais pas l’idiot, Gussy. Tu sais parfaitement que, même en faisant appel à l’ultra-miniaturisation, un objet de cette taille ne peut contenir suffisamment d’éléments pour obtenir ce résultat. »

Gusterson haussa les épaules. « Je n’en sais rien. Il m’est avis que les insectes pensent. »

Fay poussa un petit gémissement. « Les insectes opèrent par instinct, Gussy, » dit-il. « Une sorte de routine héréditaire. Ils ne savent pas prendre des décisions. »

— « Je n’attends pas cela des insectes, » dit Gusterson. « À ce propos, je n’aime guère les gens qui passent leur vie à prendre des décisions. »

— « Tu peux me croire sur parole, Gussy, ce pense-bête n’est rien d’autre qu’un magnétophone à fil, miniaturisé, accordé avec une pendule… et un « chatouilleur ». Il n’est rien d’autre. »

— « Pas encore, peut-être, » dit sombrement Gusterson. « Pas ce modèle. Je parle sérieusement lorsque je prétends que les insectes pensent. Ou du moins, s’ils ne pensent pas à proprement parler, ils sentent. Ils sont conscients. À ce propos, Fay, je pense que tous vos ordinateurs électroniques sont également conscients. »

— « Trêve de plaisanteries, Gussy. »

— « Qui plaisante ? »

— « Toi. Les ordinateurs ne sont pas des êtres vivants. »

— « Vivants ? Ce n’est qu’un mot. Je crois que les ordinateurs sont conscients, du moins le temps qu’ils opèrent. Je dirais qu’ils… euh… méditent, en quelque sorte. »

— « Gussy, les ordinateurs ne sont pas programmés pour se livrer à de mystiques élucubrations. Ils sont simplement pourvus de circuits adaptés aux problèmes qu’ils sont chargés de résoudre. »

— « Parfait, tu avoues qu’ils possèdent des circuits capables de résoudre des problèmes – de même qu’un homme. Je prétends que, s’ils possèdent les organes de la conscience, c’est qu’ils sont effectivement conscients. »

Fay, qui avait l’air de mastiquer un citron, répondit d’un ton posé : « Gussy, ne viens-tu pas de me dire que tu travailles à un roman démentiel ? »

Gusterson fronça férocement les sourcils. « Inutile de railler, » répondit-il, accusateur. « Surtout en faisant des plaisanteries de mauvais goût. »

— « Excuse-moi, » dit Fay sans paraître contrit. « Eh bien, maintenant que tu l’as examiné, ne veux-tu pas essayer le pense-bête ? » Il saisit l’objet et l’agita d’un air tentateur sous le menton de Gusterson.

— « À quoi bon ? » demanda celui-ci en reculant d’un pas. « Fay, je suis plongé jusqu’au cou dans mon livre. Je ne veux pas m’interrompre pour faire des expériences dénuées d’intérêt. »

— « Mais, tonnerre de sort, Gussy ! L’idée originale est tout de même de toi ! » beugla Fay. Puis, se reprenant, il ajouta : « J’entends que tu as été parmi les premiers à y penser. »

— « Peut-être, mais j’ai réfléchi depuis. » La voix de Gusterson se fit quelque peu solennelle. « Fay, lorsqu’un homme oublie de faire quelque chose, c’est qu’il n’avait pas vraiment envie de le faire ou qu’il est trop plongé au fond de son subconscient. Il doit considérer ce fait comme un signal d’alarme, chercher la raison de ce repli dans le subconscient, et non faire appel à un aide-mémoire humain ou mécanique. »

— « Ah ! oui ? » ricana Fay. « Non, Gussy. La vérité, c’est que tu as peur de cet appareil. Tu as le crâne bourré d’histoires fantastiques où les machines sont douées de cerveaux et se lancent à la conquête du monde – au point que le plus inoffensif magnétophone accouplé à une pendule te remplit de terreur. » Il tendit l’objet.

— « C’est possible, » avoua Gusterson, se retenant de reculer. « En toute honnêteté, Fay, cet engin a une lueur dans l’œil qui fait croire qu’il a ses idées propres. Des idées malsaines. »

— « Gussy, tête de pipe, cet appareil n’a pas d’œil. »

— « Pas pour l’instant, mais il en a la lueur – l’œil viendra plus tard. Je ne crois pas que les ordinateurs se créent eux-mêmes des cerveaux. Je crois qu’ils possèdent un cerveau parce qu’ils en possèdent les éléments. »

— « Ho ! ho ! » se moqua Fay. « Tout ce qui possède un côté matériel est pourvu d’un côté spirituel, » récita-t-il. « Gussy, cet antique et douteux dualisme métaphysique est périmé depuis des siècles. »

— « Peut-être, » répondit Gusterson, « mais nous ne possédons que ce douteux dualisme pour expliquer le cerveau humain, n’est-ce pas ? C’est une gelée de cellules nerveuses, et c’est une vision du cosmos. Si ce n’est pas là du dualisme, qu’est-ce ? »