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— « Je renonce à discuter, Gussy. Tu n’essaieras pas ce pense-bête ? »

— « Non ! »

— « Mais tonnerre de sort, nous l’avons construit à ton intention… pratiquement. »

— « Désolé, mais je ne m’approcherai pas de cet engin. »

— « Alors viens avec moi, » prononça derrière lui une voix rauque. « Cette nuit, j’ai besoin d’un homme. »

Illustré d’après Wood

Debout sur le seuil de la porte, se tenait quelque chose d’élancé dans un court fourreau argent. La chose avait des mèches d’or et un nez camus au milieu du visage le plus hautain du monde. L’apparition se glissa nonchalamment dans leur direction.

— « Mon Dieu, Vina Vidarsson ! » brailla Gusterson.

— « C’est formidable, Daisy, » applaudit Fay en s’approchant d’elle.

Elle l’écarta d’une ondulation des hanches et poursuivit son avance. « Pas vous, petit rat, » dit-elle d’une voix de gorge. « J’ai besoin d’un homme véritable. »

— « Fay, j’avais suggéré le visage de Vina Vidarsson pour servir de modèle au masque de beauté, » dit Gusterson, faisant le tour de sa femme et secouant l’index. « Ne me dis pas que, par la plus étrange des coïncidences, Trix a eu la même idée. »

— « Comment aurait-il pu faire autrement ? » s’esclaffa Fay. « V.V. et nulle autre personnifie le sexe, cette saison. » Une curieuse grimace contracta ses lèvres, un tic traversa son visage et son corps fut secoué d’un léger tressaillement. « Dites, les amis, il va falloir que je vous quitte. Quinze minutes exactement nous séparent du second couvre-feu. La dernière fois, j’ai dû courir et j’ai pris une cardialgie. Quand allez-vous vous décider à descendre au sous-sol ? Je te laisse le pense-bête, Gussy. Amuse-toi avec et tâche de t’y habituer. Salut ! »

— « Dis-moi, » s’écria Gusterson avec curiosité, « aurais-tu acquis la notion du temps ? »

Fay lui adressa un large sourire du seuil de la porte – un sourire presque trop grand pour un homme aussi petit. « Pas besoin, » dit-il doucement, en tapotant son épaule droite. « Mon pense-bête à moi m’a prévenu. »

Il ferma la porte derrière lui.

Côte à côte, ils regardèrent leur visiteur traverser posément le parc sombre et glacé. « Il porte donc sur lui, en permanence, ce bidule imbécile, et je ne l’avais pas remarqué, » dit Gusterson d’un ton rêveur. « Comment trouves-tu la plaisanterie ? »

Une courte ligne de feu surgit entre les étoiles teintées de violet. « Qu’est-ce que c’est ? » demanda Gusterson lugubrement. « Serait-ce le dernier étage d’un missile qui nous est destiné ? »

— « Pourquoi ne pas choisir l’hypothèse de la bonne vieille étoile filante ? » demanda doucement Daisy. Les lèvres veloutées (et humectables) du masque déformaient même sa voix naturelle. Elle porta une main à sa nuque avec l’intention de le retirer.

— « Ne fais pas cela, » protesta Gusterson d’une voix blessée, « garde-le quelque temps encore. »

— « Entendu, » dit-elle de sa voix rauque, en se tournant vers lui. « Alors, à genoux, chien ! »

3

Quinze jours plus tard, Gusterson s’élançait vers la dernière étape qui devait le conduire au terme de son roman démentiel, lorsque Fay se présenta de nouveau, mais cette fois en plein midi.

Normalement Fay courbait quelque peu les épaules et il avait plutôt tendance à traîner la savate, mais aujourd’hui il marchait agressivement, ses jambes exécutant un pas de l’oie rapide et bas. Il se débarrassa des verres fumés que toutes les taupes portaient, de jour, à la surface et se mit en devoir d’administrer de grandes claques dans le dos de Gusterson, tout en s’exclamant d’une voix tonitruante : « Comment vas-tu, mon vieux Gussy ? Sacré vieux Gussy ! »

Daisy sortit de la cuisine pour s’enquérir de la raison qui faisait s’étrangler Gusterson. Elle fut aussitôt saisie avec violence et entraînée avec force. « Bonjour à la belle des belles ! Que diriez-vous si nous improvisions quelque chose une de ces fins de semaine ? »

Elle regardait Fay, ahurie, en se passant le dos de la main sur la bouche, tandis que Gusterson criait : « Assez ! Qu’est-ce qui te prend, Fay ? T’a-t-on transféré du Service de la Miniaturisation à la Compagnie de Soutien du Moral ? Aligne-t-on toutes les secrétaires à l’heure de l’appel, afin que tu puisses leur donner le baiser qui leur fournira de l’énergie huit heures durant ? »

— « Tu voudrais bien le savoir, » répliqua Fay. Il sourit, s’agita fébrilement, s’immobilisa un moment, puis se dirigea vers le mur opposé. « Venez voir, » s’écria-t-il en désignant, à travers le verre violet, l’intervalle entre les deux plus proches des vieux gratte-ciel à usage locatif. « Dans trente secondes, vous allez assister à l’essai de la nouvelle bombe-aiguille, de l’autre côté du lac Érié. C’est instructif. » Il se mit à compter les secondes en les scandant vigoureusement du bras. «…deux… trois… Gussy, j’ai fait une demande de deux mètres en ta faveur. Le budget a poussé des cris d’orfraie, mais j’ai usé de mon influence. »

Daisy poussa un cri. « Des mètres ! S’agit-il de milliers de dollars ? » Tandis que Gusterson interrogeait : « Alors vous lancez le pense-bête sur le marché ? »

— « Oui, oui, » leur répondit Fay tour à tour. «…neuf… dix…» De nouveau, il sourit et s’agita. « C’est l’heure de la réunion de midi. Excusez-moi. » Il tira un téléphone en forme de masque respiratoire de sous son vêtement, le posa sur son visage et engagea un furieux mais inaudible dialogue avec un interlocuteur inconnu, sans cesser de scander les secondes avec son bras. Soudain il écarta le téléphone de son visage. «…vingt-neuf… trente… ça y est ! »

Un trait incandescent sillonna le ciel, un peu au-dessus de l’horizon lointain, et un point lumineux deux fois plus éblouissant apparut au terme de la trajectoire.

— « Ah ! voilà qui devrait disperser les satellites-espions comme un essaim de mouches ! » proclama Fay tandis que s’évanouissait le sinistre présage. « Réconfortant ! Gussy ! Où est ton pense-bête ? J’ai apporté une nouvelle bobine qui va t’estomaquer. »

— « J’en suis persuadé, » dit Gusterson sèchement. « Daisy ? »

— « Tu sais bien que tu l’as donné aux enfants… Ils l’ont cassé en faisant les fous. »

— « Aucune importance, » déclara Fay avec un large mouvement de la main. « Il vaut mieux que vous attendiez le nouveau modèle. Il a été perfectionné sur six points différents. »

— « C’est ce que j’ai appris, » dit Gusterson en le regardant pensivement. « Pratique-t-il automatiquement des piqûres de cocaïne ? À raison d’une injection à l’heure à la seconde près ? »

— « Ah ! ah ! plaisante toujours, Gussy. Il obtient le même résultat sans avoir recours à aucune drogue. Écoute, un pense-bête vous rappelle vos devoirs et vos occasions de chance et vous permet ainsi d’atteindre le bonheur et le succès ! Quelle est l’étape suivante qui s’impose à nous d’évidence ? »

— « Le jeter par la fenêtre. À propos, comment procédez-vous lorsque vous vous trouvez sous terre ? »

— « Nous disposons d’élévateurs d’ordures ultra-rapides. Eh bien, l’étape suivante consiste évidemment à pourvoir le pense-bête d’un cœur. Il ne se contente plus de vous avertir, il vous persuade avec chaleur. Au lieu de dire : « Branche la TV sur la deuxième chaîne, » voici comment il s’exprime : « Allons, mon vieux pote, bondis sur la TV et branche-nous cette deuxième chaîne ! Dans dix secondes, va paraître une émission formidable dont tu me diras des nouvelles ! Tu vas t’amuser comme un petit fou ! C’est le moment de prendre ton billet pour le septième ciel ! »