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— « Juste ciel ! » intervint Gusterson. « Ont-ils maintenant inventé une machine pour tenir ce rôle ? »

— « Bien entendu. Voilà des années qu’ils l’expérimentent sur des ex-malades mentaux. »

— « C’est que je ne me tiens pas au courant du progrès, » dit Gusterson en agitant la tête. « Je demeure à la traîne sur tous les fronts. »

— « Tu devrais demander à ton pense-bête de te rappeler de lire les publications du Service Scientifique, » lui dit Fay, « ou simplement lui donner l’ordre d’explorer les publications et… non, ce point est encore à l’étude. » Il regarda l’épaule de Gusterson et ses yeux s’élargirent. « Je m’aperçois que tu ne portes pas le nouveau modèle de pense-bête que je t’ai fait envoyer, » dit-il d’un ton accusateur.

— « Je ne l’ai jamais reçu, » assura Gusterson. « Les facteurs des postes livrent le courrier et les paquets en les jetant sur l’élévateur d’ordures ultra-rapide, en espérant qu’une tornade les acheminera à l’adresse indiquée. » Puis il ajouta, avec une nuance d’espoir dans la voix : « Les Russes l’auront peut-être subtilisé alors qu’il chevauchait le typhon. »

— « Il n’y a pas de quoi plaisanter, » dit Fay, les sourcils froncés. « Nous caressons l’espoir que le pense-bête pourra mobiliser le potentiel entier du Monde Libre, pour la première fois dans l’histoire. Gusterson, il faudra que tu en portes un. Bientôt, on ne pourra plus s’en passer pour vivre dans le monde moderne. »

— « J’y viendrai peut-être, » dit Gusterson d’un ton conciliant. « Mais pour l’instant, parle-moi du régulateur mental. Je tiens à lui donner une place de choix dans mon roman démentiel. »

Fay secoua la tête. « Tes lecteurs s’imagineront que tu es en retard sur ton époque. Si tu t’en sers, ne lui donne qu’un rôle de comparse. Pour revenir à nos moutons, le régulateur mental n’est rien d’autre qu’un simple appareil de physiothérapie qui régit la chimie du flux sanguin et l’électricité corporelle. Il est relié directement au système circulatoire, maintenant le taux du sang, du sucre, etc., au niveau optimum et, lorsque la chose est nécessaire, introduisant dans le circuit de l’euphorine ou de la dépressine, selon les besoins – et occasionnellement une pointe d’adrénaline supplémentaire, lorsqu’un surcroît de travail l’exige. »

— « Le processus est-il douloureux ? » demanda Daisy, depuis la chambre à coucher.

— « Un véritable martyre, » répondit Gusterson. « Tu voudras bien l’excuser ! » Il sourit à l’adresse de Fay. « Hé, ne t’avais-je pas suggéré des injections de cocaïne, la dernière fois que je t’ai vu ? »

— « En effet, » répondit l’autre sans ambages. « Oh ! à propos, Gussy, voici le chèque d’un mètre que je t’avais promis. »

— « Hourrah ! » dit Daisy d’une voix modérée.

— « J’avais compris qu’il s’agissait de deux, » dit Gusterson.

— « Les difficultés budgétaires nous contraignent toujours à des compromis de dernière minute, » dit Fay en haussant les épaules. « Il faudra bien que tu t’habitues à ce genre de choses. »

— « J’adore recevoir de l’argent, » dit Daisy d’une voix aimable. « Mais en recevant ce mètre, j’ai l’impression d’être la poule d’un gangster. »

— « Tu veux venir voir le mètre de papier, mon chou, et le glisser dans ta jarretière constellée de diamants ? » interrogea Gusterson.

— « Non, pour l’instant, je suis précisément en train d’ajuster cette portion de ma personne. Mais ne lâche pas le mètre, Gusterson. »

— « À vos ordres, mon capitaine, » répondit-il. Puis, se tournant vers Fay : « Ainsi, vous avez cessé d’utiliser la méthode Coué dans votre pense-bête ? »

— « Oh ! non. Nous l’avons simplement équilibrée avec l’emploi de la dépressine. Les motifs subliminaux constituent toujours le grand argument de vente. Tous les caractères du pense-bête sont cumulatifs, Gussy. Je vois que tu sous-estimes toujours la portée de l’engin. »

— « Probablement. Qu’entendais-tu par « surcroît de travail » ? Si tu utilises le pense-bête pour droguer les travailleurs afin qu’ils poursuivent leur besogne, tu ne fais que reprendre mon idée de la cocaïne en la modernisant, ce qui d’ailleurs n’a rien de nouveau. Il y a des centaines d’années, les Indiens de l’Amérique du Sud mâchaient des feuilles de coca pour supprimer la sensation de fatigue. »

— « Vraiment ? Très intéressant ! Ce qui prouve que les Indiens possèdent la priorité en la matière, n’est-ce pas ? Je vais me livrer à une petite expérience pour ton édification, Gussy, mais ne t’attends pas à des miracles. » Il s’éclaircit la gorge, ses yeux prirent une expression lointaine, et, tournant la tête légèrement sur la droite, il prononça distinctement : « Pooh-Bah… Jour : Un cinq. Heure : Un zéro, cinq sept, zéro zéro. Texte : Gussy coca toi budget. Coupez. » Il expliqua : « Maintenant, nous possédons un enclencheur accordé à la voix, sur les modèles de luxe. Tu peux enregistrer un mémorandum pour toi-même sans avoir besoin de retirer ta chemise. Entre parenthèses, j’utilise la fin des heures pour caser des mémorandums sans importance. J’ai déjà rempli les cinquante-neuf et les cinquante-huit pour demain et entamé les cinquante-sept. »

— « J’ai compris la plus grande partie de ton mémorandum, » dit Gusterson d’un ton bougon. « Les derniers zéro zéro se rapportaient aux secondes, n’est-ce pas ? Je trouve cela plutôt rudimentaire – pourquoi pas les micro-secondes, tant que tu y es ? Mais comment fais-tu pour te souvenir de l’endroit où tu as enregistré un mémorandum, de façon à ne pas le recouvrir en surimpression ? Après tout, tu n’arrêtes pas d’enregistrer sur toute la longueur du fil. »

— « Le pense-bête émet un bip, puis se lance à la recherche du plus proche emplacement libre. »

— « Je vois. Et à quoi rime le Pooh-Bah ? »

Fay sourit. « Et tu te prétends écrivain. Il s’agit d’une référence littéraire, Gussy. Pooh-Bah était Son Altesse Tout le Reste dans Le Mikado. Il possédait une petite liste sur laquelle il ne manquait jamais rien. C’est le nom que j’ai donné à mon pense-bête. »

— « En effet, je me souviens, » dit Gusterson, à qui la mémoire venait de revenir subitement. « Si mes souvenirs sont exacts, cette liste ne contenait que les noms des gens qui devaient avoir la tête tranchée. Méfie-toi, c’est peut-être là un sinistre présage. Peut-être tous ces travailleurs que tu munis de pense-bête pour les gaver d’adrénaline, afin qu’ils fassent des heures supplémentaires à leur insu, finiront-ils un jour par se révolter et te couper la tête. »

— « Fais-moi grâce de ta mythologie marxiste, » protesta Fay. « Gussy, tu envisages le pense-bête sous un jour complètement faux. Je reconnais que nos ventes les plus importantes, en dehors du gouvernement et de l’armée, ont été faites aux usines, dont les patrons font acheter le pense-bête à leurs employés…»

— « Aha ! »

— «…mais c’est parce que rien n’égale un pense-bête lorsqu’il s’agit d’apprendre son métier à un novice. Il lui dicte d’instant en instant ce qu’il doit faire. Rien de plus facile que d’enregistrer sur un fil un programme de travail Et tu serais surpris de l’influence des slogans exaltants sur le moral des travailleurs. Cela s’explique, Gussy : la plupart des gens manquent trop d’imagination pour discerner à l’avance les avantages du pense-bête. Ils l’achètent parce que le patron le conseille avec insistance et que le paiement se fait sans peine, par retenues échelonnées sur le salaire. Puis ils découvrent que le pense-bête rend la journée de travail plus supportable. Le petit compagnon perché sur votre épaule est un ami qui vous prodigue le réconfort et les bons conseils. La première chose qu’on lui enseigne à dire, c’est : « Ne t’en fais pas, mon vieux ».