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— Qui c’est, Léonce ? a demandé Clotaire.

— C’est mon petit frère, tiens, a répondu Joachim.

— Il a un drôle de nom, a dit Clotaire.

Alors, Joachim s’est jeté sur Clotaire et il lui a donné des tas de baffes, parce qu’il nous a dit que s’il y avait une chose qu’il ne permettait pas, c’est qu’on insulte sa famille.

La lettre

Je suis drôlement inquiet pour Papa, parce qu’il n’a plus de mémoire du tout. L’autre soir, le facteur est venu apporter un grand paquet pour moi, et j’étais très content parce que j’aime bien quand le facteur apporte des paquets pour moi, et c’est toujours des cadeaux que m’envoie mémé, qui est la maman de ma maman, et Papa dit qu’on n’a pas idée de gâter comme ça un enfant, et ça fait des histoires avec Maman, mais là il n’y a pas eu d’histoires et Papa était très content parce que le paquet n’était pas de mémé, mais de M. Moucheboume qui est le patron de Papa. C’est un jeu de l’oie – j’en ai déjà un – et il y avait une lettre dedans pour moi :

« A mon cher petit Nicolas, qui a un papa si travailleur.

« Roger Moucheboume. »

— En voilà une idée ! a dit Maman.

— C’est parce que l’autre jour, je lui ai rendu un service personnel, a expliqué Papa. Je suis allé faire la queue à la gare, pour lui prendre des places pour partir en voyage. Je trouve que d’avoir envoyé ce cadeau à Nicolas est une idée charmante.

— Une augmentation aurait été une idée encore plus charmante, a dit Maman.

— Bravo, bravo ! a dit Papa. Voilà le genre de remarque à faire devant le petit. Eh bien, que suggères-tu ? Que Nicolas renvoie le cadeau à Moucheboume en lui disant qu’il préfère une augmentation pour son papa ?

— Oh non ! j’ai dit.

Parce que c’est vrai : même si j’en ai déjà un, jeu de l’oie, l’autre je pourrai l’échanger à l’école avec un copain pour quelque chose de mieux.

— Oh ! a dit Maman, après tout, si tu es content que l’on gâte ton fils, moi je ne dis plus rien.

Papa a regardé le plafond en faisant « non » avec la tête et en serrant la bouche, et puis après il m’a dit que je devrais remercier M. Moucheboume par téléphone.

— Non, a dit Maman. Ce qui se fait dans ces cas-là, c’est encore une petite lettre.

— Tu as raison, a dit Papa. Une lettre c’est préférable.

— Moi, j’aime mieux téléphoner, j’ai dit.

Parce que c’est vrai, écrire, c’est embêtant, mais téléphoner c’est rigolo, et à la maison on ne me laisse jamais téléphoner, sauf quand c’est mémé qui appelle et qui veut que je vienne lui faire des baisers. Elle aime drôlement ça, mémé, que je lui fasse des baisers par le téléphone.

— Toi, m’a dit Papa, on ne t’a pas demandé ton avis. Si on te dit d’écrire, tu écriras !

Alors là, c’était pas juste ! Et j’ai dit que je n’avais pas envie d’écrire, et que si on ne me laissait pas téléphoner je n’en voulais pas, de ce sale jeu de l’oie, que de toute façon j’en avais déjà un qui était très bien et que si c’était comme ça, je préférais que M. Moucheboume donne une augmentation à Papa. C’est vrai, quoi, à la fin, non mais sans blague !

— Tu veux une claque et aller te coucher sans dîner ? a crié Papa.

Alors, je me suis mis à pleurer, Papa a demandé ce qu’il avait fait pour mériter ça et Maman a dit que si on n’avait pas un peu de calme, c’est elle qui irait se coucher sans dîner, et qu’on se débrouillerait sans elle.

— Écoute, Nicolas, m’a dit Maman. Si tu es sage et si tu écris cette lettre sans faire d’histoires, tu pourras prendre deux fois du dessert.

Moi, j’ai dit que bon (c’était de la tarte aux abricots !) et Maman a dit qu’elle allait préparer le dîner et elle est partie dans la cuisine.

— Bon, a dit Papa. Nous allons faire un brouillon.

Il a pris un papier dans le tiroir de son bureau, un crayon, il m’a regardé, il a mordu le crayon et il m’a demandé :

— Voyons, qu’est-ce que tu vas lui dire, à ce vieux Moucheboume ?

— Ben, j’ai dit, je sais pas. Je pourrais lui dire que même si j’ai déjà un jeu de l’oie, je suis très content parce que le sien je vais l’échanger à l’école avec les copains ; il y a Clotaire qui a une voiture bleue terrible, et...

— Oui, bon, ça va, a dit Papa. Je vois ce que c’est. Voyons... Comment allons-nous commencer ?... Cher monsieur... Non... Cher monsieur Moucheboume... Non, trop familier... Mon cher monsieur... Hmm... Non...

— Je pourrais mettre : « Monsieur Moucheboume », j’ai dit.

Papa m’a regardé, et puis il s’est levé et il a crié vers la cuisine :

— Chérie ! Cher monsieur, Mon cher monsieur, ou Cher monsieur Moucheboume ?

— Qu’est-ce qu’il y a ? a demandé Maman en sortant de la cuisine et en s’essuyant les mains dans son tablier.

Papa lui a répété, et Maman a dit qu’elle mettrait « Cher monsieur Moucheboume », mais Papa a dit que ça lui semblait trop familier et qu’il se demandait si « Cher monsieur tout court » ça ne serait pas mieux. Maman a dit que non, que « Cher monsieur tout court » c’était trop sec et qu’il ne fallait pas oublier que c’était un enfant qui écrivait. Papa a dit que justement « Cher monsieur Moucheboume » ça n’allait pas pour un enfant, que ce n’était pas assez respectueux.

— Si tu as décidé, a demandé Maman, pourquoi me déranges-tu ? J’ai mon dîner à préparer, moi.

— Oh ! a dit Papa, je te demande pardon de t’avoir dérangée dans tes occupations. Après tout, il ne s’agit que de mon patron et de ma situation !

— Parce que ta situation dépend de la lettre de Nicolas ? a demandé Maman. En tout cas, on ne fait pas tant d’histoires quand c’est Maman qui envoie un cadeau !

Alors, ça a été terrible ! Papa s’est mis à crier, Maman s’est mise à crier, et puis elle est partie dans la cuisine en claquant la porte.

— Bon, m’a dit Papa, prends le crayon et écris.

Je me suis assis au bureau et Papa a commencé la dictée :

— Cher monsieur, virgule, à la ligne... C’est avec joie... Non, efface... Attends... C’est avec plaisir... Oui, c’est ça... C’est avec plaisir que j’ai eu la grande surprise... Non... Mets l’immense surprise... Ou non, tiens, il ne faut rien exagérer... Laisse la grande surprise... La grande surprise de recevoir votre beau cadeau... Non... Là, tu peux mettre votre merveilleux cadeau... Votre merveilleux cadeau qui m’a fait tant plaisir... Ah ! non... On a déjà mis plaisir... Tu effaces plaisir... Et puis tu mets Respectueusement... Ou plutôt, Mes salutations respectueuses... Attends...

Et Papa est allé dans la cuisine, j’ai entendu crier et puis il est revenu tout rouge.

— Bon, il m’a dit, mets : « Avec mes salutations respectueuses », et puis tu signes. Voilà.

Et Papa a pris mon papier pour le lire, il a ouvert des grands yeux, il a regardé le papier de nouveau, il a fait un gros soupir et il a pris un autre papier pour écrire un nouveau brouillon.

— Tu as un papier à lettres, je crois ? a dit Papa. Un papier avec des petits oiseaux dessus, que t’a donné tante Dorothée pour ton anniversaire ?

— C’étaient des lapins, j’ai dit.

— C’est ça, a dit Papa. Va le chercher.

— Je ne sais pas où il est, j’ai dit.

Alors, Papa est monté avec moi dans ma chambre et nous nous sommes mis à chercher, et tout est tombé de l’armoire, et Maman est arrivée en courant et elle a demandé ce que nous étions en train de faire.

— Nous cherchions le papier à lettres de Nicolas, figure-toi, a crié Papa, mais il y a un désordre terrible dans cette maison ! C’est incroyable !