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– Ça suffit !

« C’est amusant, pensa le petit prince. C’est assez poétique. Mais ce n’est pas très sérieux. »

Le petit prince avait sur les choses sérieuses des idées très différentes des idées des grandes personnes.

– Moi, dit-il encore, je possède une fleur que j’arrose tous les jours. Je possède trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est éteint. On ne sait jamais. C’est utile à mes volcans, et c’est utile à ma fleur, que je les possède. Mais tu n’es pas utile aux étoiles…

Le businessman ouvrit la bouche mais ne trouva rien à répondre, et le petit prince s’en fut.

« Les grandes personnes sont décidément tout à fait extraordinaires », se disait-il simplement en lui-même durant le voyage.

CHAPITRE XIV

La cinquième planète était très curieuse. C’était la plus petite de toutes. Il y avait là juste assez de place pour loger un réverbère et un allumeur de réverbères. Le petit prince ne parvenait pas à s’expliquer à quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une planète sans maison, ni population, un réverbère et un allumeur de réverbères. Cependant il se dit en lui-même :

« Peut-être bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son réverbère, c’est comme s’il faisait naître une étoile de plus, ou une fleur. Quand il éteint son réverbère, ça endort la fleur ou l’étoile. C’est une occupation très jolie. C’est véritablement utile puisque c’est joli. »

Lorsqu’il aborda la planète il salua respectueusement l’allumeur :

– Bonjour. Pourquoi viens-tu d’éteindre ton réverbère ?

– C’est la consigne, répondit l’allumeur. Bonjour.

– Qu’est-ce que la consigne ?

– C’est d’éteindre mon réverbère. Bonsoir.

Et il le ralluma.

– Mais pourquoi viens-tu de le rallumer ?

– C’est la consigne, répondit l’allumeur.

– Je ne comprends pas, dit le petit prince.

– Il n’y a rien à comprendre, dit l’allumeur. La consigne c’est la consigne. Bonjour.

Et il éteignit son réverbère.

Puis il s’épongea le front avec un mouchoir à carreaux rouges.

– Je fais là un métier terrible. C’était raisonnable autrefois. J’éteignais le matin et j’allumais le soir. J’avais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir…

– Et, depuis cette époque, la consigne a changé ?

– La consigne n’a pas changé, dit l’allumeur. C’est bien là le drame ! La planète d’année en année a tourné de plus en plus vite, et la consigne n’a pas changé !

– Alors ? dit le petit prince.

– Alors maintenant qu’elle fait un tour par minute, je n’ai plus une seconde de repos. J’allume et j’éteins une fois par minute !

– Ça c’est drôle ! Les jours chez toi durent une minute !

– Ce n’est pas drôle du tout, dit l’allumeur. Ça fait déjà un mois que nous parlons ensemble.

– Un mois ?

– Oui. Trente minutes. Trente jours ! Bonsoir.

Et il ralluma son réverbère.

Le petit prince le regarda et il aima cet allumeur qui était tellement fidèle à la consigne. Il se souvint des couchers de soleil que lui-même allait autrefois chercher, en tirant sa chaise. Il voulut aider son ami :

– Tu sais… je connais un moyen de te reposer quand tu voudras…

– Je veux toujours, dit l’allumeur.

Car on peut être, à la fois, fidèle et paresseux.

Le petit prince poursuivit :

– Ta planète est tellement petite que tu en fais le tour en trois enjambées. Tu n’as qu’à marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras… et le jour durera aussi longtemps que tu voudras.

– Ça ne m’avance pas à grand’chose, dit l’allumeur. Ce que j’aime dans la vie, c’est dormir.

– Ce n’est pas de chance, dit le petit prince.

– Ce n’est pas de chance, dit l’allumeur. Bonjour.

Et il éteignit son réverbère.

« Celui-là, se dit le petit prince, tandis qu’il poursuivait plus loin son voyage, celui-là serait méprisé par tous les autres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant c’est le seul qui ne me paraisse pas ridicule. C’est, peut-être, parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même. »

Il eut un soupir de regret et se dit encore :

« Celui-là est le seul dont j’eusse pu faire mon ami. Mais sa planète est vraiment trop petite. Il n’y a pas de place pour deux… »

Ce que le petit prince n’osait pas s’avouer, c’est qu’il regrettait cette planète bénie à cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures !

CHAPITRE XV

La sixième planète était une planète dix fois plus vaste. Elle était habitée par un vieux Monsieur qui écrivait d’énormes livres.

– Tiens ! voilà un explorateur ! s’écria-t-il, quand il aperçut le petit prince.

Le petit prince s’assit sur la table et souffla un peu. Il avait déjà tant voyagé !

– D’où viens-tu ? lui dit le vieux Monsieur.

– Quel est ce gros livre ? dit le petit prince. Que faites-vous ici ?

– Je suis géographe, dit le vieux Monsieur.

– Qu’est-ce qu’un géographe ?

– C’est un savant qui connaît où se trouvent les mers, les fleuves, les villes, les montagnes et les déserts.

– Ça c’est bien intéressant, dit le petit prince. Ça c’est enfin un véritable métier ! Et il jeta un coup d’oeil autour de lui sur la planète du géographe. Il n’avait jamais vu encore une planète aussi majestueuse.

– Elle est bien belle, votre planète. Est-ce qu’il y a des océans ?

– Je ne puis pas le savoir, dit le géographe.

– Ah ! (Le petit prince était déçu.) Et des montagnes ?

– Je ne puis pas le savoir, dit le géographe.

– Et des villes et des fleuves et des déserts ?

– Je ne puis pas le savoir non plus, dit le géographe.

– Mais vous êtes géographe !

– C’est exact, dit le géographe, mais je ne suis pas explorateur. Je manque absolument d’explorateurs. Ce n’est pas le géographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des mers, des océans et des déserts. Le géographe est trop important pour flâner. Il ne quitte pas son bureau. Mais il y reçoit les explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de l’un d’entre eux lui paraissent intéressants, le géographe fait faire une enquête sur la moralité de l’explorateur.

– Pourquoi ça ?

– Parce qu’un explorateur qui mentirait entraînerait des catastrophes dans les livres de géographie. Et aussi un explorateur qui boirait trop.

– Pourquoi ça ? fit le petit prince.

– Parce que les ivrognes voient double. Alors le géographe noterait deux montagnes, là où il n’y en a qu’une seule.

– Je connais quelqu’un, dit le petit prince, qui serait mauvais explorateur.

– C’est possible. Donc, quand la moralité de l’explorateur paraît bonne, on fait une enquête sur sa découverte.

– On va voir ?

– Non. C’est trop compliqué. Mais on exige de l’explorateur qu’il fournisse des preuves. S’il s’agit par exemple de la découverte d’une grosse montagne, on exige qu’il en rapporte de grosses pierres.