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Le suivre n’en offrait pas davantage. Tu parles que je resterais ainsi, les mains dans les poches, deux jours après l’atterrissage sur une quelconque planète biologiquement active digne de ce nom. Je serais en train de me démener comme un beau diable, oui. Ajustage, lancement et contrôle quotidien de fonctionnement du gardien-éclaireur. Mise en place de la Zone de Sécurité Biologique Absolue autour du vaisseau et, soit dit en passant, même autour du chantier de construction. Garantie de la ZSBA susmentionnée contre une attaque venant de sous la terre. Contrôle et changement des filtres de bord extérieurs, filtres de bord intérieurs et filtres individuels toutes les deux heures. Création d’un lieu d’ensevelissement des déchets, dont les filtres usagés. Stérilisation, dégazage et désactivation des systèmes de direction des cybermécanismes toutes les quatre heures. Contrôle de l’information des robots du service médical lancés en dehors de la ZSBA. Et autres bagatelles diverses météosondes, reconnaissance sismique, spéléosécurité, typhons, éboulements, grandes crues, failles karstiques, incendies de forêts, éruptions volcaniques …

Je m’imaginai, vêtu d’un scaphandre, suant, ayant peu dormi, méchant et déjà légèrement abruti, en train de laver les centres nerveux de gros Tom, tandis que le gardien-éclaireur se balade au-dessus de ma tête et, avec l’insistance d’un idiot, m’annonce pour la vingtième fois l’apparition sous une souche, là-bas, d’une horrible grenouille tachetée d’une espèce qui lui est inconnue ; dans mes écouteurs stridulent les signaux alarmés des robots du service médical épouvantablement inquiets qui ont découvert qu’un tel virus local provoque une réaction non-standard à l’échantillon Baltermanz et, par conséquent, peut théoriquement rompre le blocus biologique. Wanderkhouzé qui, comme il se doit pour un médecin et un commandant, siège dans le vaisseau, m’informe, préoccupé, que vient de surgir le danger de sombrer dans le marécage. Komov sans se départir de son calme glacial, me déclare par la radio que le moteur de son glider a été mangé par de petits insectes ressemblant à des fourmis et que les fourmis en question sont actuellement en train de se mettre sous la dent son scaphandre … Ouf ! Cela dit, personne ne m’aurait engagé pour une expédition sur une telle planète. On m’a engagé pour une expédition sur une planète sans instructions. Elle n’en a pas besoin.

Je m’attardai devant la trappe, secouai les grains de sable de mes semelles, attendis un peu, la paume posée sur la surface chaude, palpitante de l’astronef et pointai mon doigt dans la membrane. À l’intérieur aussi régnait le silence, mais c’était quand même un silence de maison, le silence d’un appartement vide et confortable. Je jetai ma pelisse et passai directement dans le poste de pilotage. Je ne m’arrêtai pas devant mon tableau de commande — je voyais déjà que tout allait bien — et m’installai aussitôt devant l’émetteur. Les radiogrammes se trouvaient sur la table. Je branchai le chiffreur et commençai à composer le texte. Dans le premier radiogramme Komov indiquait à la base les coordonnées des campements envisagés, faisait le rapport sur les alevins lâchés la veille dans le lac et conseillait à Kitamoura de ne pas se presser avec les reptiles. Ça semblait plus ou moins clair ; en revanche, du second radiogramme adressé à l'Informatoire Central, je ne compris qu’une chose, à savoir que Komov avait sacrément besoin de données concernant le facteur-y pour un humanoïde binormal avec un index à rallonges comportant au total neuf chiffres et quatorze lettres grecques. C’était de la haute xénopsychologie pure et impénétrable où, en tant qu’humanoïde normal avec un index zéro, je pataugeais complètement. Tant mieux, d’ailleurs.

Les deux textes rédigés, je branchai le canal de service et les transmis dans une seule impulsion. Puis j’enregistrai les radiogrammes et c’est là que je pensai qu’il serait temps pour moi aussi d’envoyer mon premier rapport. Enfin, un rapport, façon de parler … « Groupe ER-2, travaux de construction selon le standard 15, réalisation de tant pour cent, date, signature. » C’est tout. Je dus me lever, m’approcher de mon tableau de commande pour jeter un œil sur le calendrier des travaux, et je compris alors aussitôt pourquoi j’avais soudain éprouvé l’envie d’écrire le rapport. Il ne s’agissait pas de lui, simplement du fait qu’en tant que cybertechnicien je suppose suffisamment expérimenté, j’avais flairé un à-coup même sans voir ni entendre quoi que ce fût. De nouveau, comme la veille, Tom s’arrêta à brûle-pourpoint. Comme la veille je pointai un doigt énervé sur la touche de l’appel de contrôle « Qu’y a-t-il ? » Comme la veille, le signal d’arrêt s’éteignit aussitôt, et la lumière rouge rubis s’alluma « Chez nous tout est en ordre, nous exécutons notre tâche. Y a-t-il de nouvelles instructions ? » Je lui enjoignis de reprendre le travail et branchai le vidéoécran. Jack et Rex œuvraient assidûment, Tom bougea à son tour, mais les premières secondes étrangement, presque à la manière d’un crabe ; toutefois, il redressa sa marche sans tarder.

— Eh, mon vieux, dis-je à haute voix, j’ai l’impression que tu t’es surmené. Il faut te nettoyer, mon vieux. (Je consultai le carnet de travail de Tom. C’est ce soir qu’il devait passer une vérification.) Bon, on arrivera bien à tenir le coup jusqu’au soir, qu’en penses-tu ?

Tom ne protesta pas. Je restai un moment à observer leur travail, puis éteignis le vidéoécran iceberg, brume au-dessus du marécage, rochers sombres … Je préférais m’en passer.

J’envoyai mon rapport quand même et me mis sur-le-champ en liaison avec l’ER-6. Vadik répondit immédiatement, comme s’il n’attendait que cela.

— Comment ça va chez vous ? nous demandâmes-nous.

— Chez nous ça va, répondis-je.

— Chez nous tous les lézards ont crevé, annonça Vadik.

— Vous alors ! Komov, disciple préféré du docteur Mboga, vous a pourtant prévenus : ne vous pressez pas avec les reptiles.

— Mais qui se presse ? riposta Vadik. Si tu veux mon avis, ici ils ne survivront simplement pas. Avec cette chaleur !

— Vous vous baignez ? m’enquis-je, envieux.

Vadik garda le silence un instant.

— On fait une trempette, dit-il. De temps en temps.

— Pourquoi si peu ?

— C’est vide, expliqua Vadik. Une espèce de baignoire énorme à en avoir des cauchemars … Tu ne comprendrais pas. Un homme normal ne peut pas s’imaginer une baignoire aussi incroyable. J’ai nagé l’autre jour cinq kilomètres, au début ça allait bien, et puis je me suis dit que ce n’était pas une piscine mais un océan ! Et qu’à part moi, il n’y avait pas la moindre bestiole vivante … Non, vieux, tu ne pourrais pas le comprendre. J’ai failli me noyer.

— Ouais, proférai-je. Donc, chez vous aussi …

Nous bavardâmes encore quelques minutes, puis la base appela Vadik, et nous nous saluâmes rapidement. J’appelai l’ER-9. Hans ne répondit pas. Évidemment, j’aurais pu appeler l’ER-1, l’ER-3, l’ER-4 et ainsi de suite jusqu’à l’ER-12, pour parler du vide, de l’absence de vie, mais à quoi bon ? À bien réfléchir, cela ne servirait à rien. Par conséquent, je débranchai l’émetteur et déménageai devant mon tableau. J’y restai assis quelque temps les bras croisés ; je regardais les écrans de travail et pensais que l’entreprise à laquelle nous nous consacrions ici était doublement valable ; non seulement nous sauvions les Panthiens d’une mort imminente et globale, mais nous sauvions cette planète-ci également du vide, du silence de mort, du non-sens. Puis il me vint à l’esprit que les Panthiens représentaient, probablement, une race assez bizarre puisque nos xénopsychologues considéraient que cette planète leur convenait mieux que les autres. Le mode de vie sur la Pantha devait être étrange. Un beau jour on les amènera ici — au début pas tous, naturellement, juste deux ou trois représentants de chaque tribu — et ces représentants verront cette plage gelée, cet iceberg, cet océan glacial et désertique, ce ciel désertique et lilas, ils verront ça et s’exclameront : « Chouette ! On se sent ici exactement comme chez soi ! » Je n’y croyais pas beaucoup. Il est vrai qu’au moment de leur arrivée ce ne serait plus aussi vide. Dans les lacs il y aurait du poisson, dans les broussailles du gibier, dans les eaux peu profondes des coquillages comestibles. Peut-être que les lézards aussi finiraient par s’adapter … Cela dit, il faut noter que la situation où se trouvaient les Panthiens ne leur laissait pas grand choix. Si, par exemple, on nous annonçait que notre Soleil était sur le point d’exploser et de donner un bon coup de balai à tout ce qui est vivant sur la Terre, moi non plus, je pense, je ne chicanerais pas. Je dirais probablement « Ça ne fait rien, on finira bien par s’y habituer. » Au demeurant, personne ne demande l’avis des Panthiens. Quoi qu’il en soit, ils ne comprennent rien, ils ne possèdent pas encore de cosmographie, même pas la plus primitive. Ils ne sauront jamais qu’ils ont déménagé sur une autre planète …