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Ruisselante, elle suffoque, la Dolorès au rabais. Ses tifs ardents et noirs sont plaqués sur sa tronche et lui composent un étrange casque pour divinité malgache.

Elle un regard qui accentue son type ibérique car c’est celui d’un toro que des banderilleurs viendraient de transformer en pelote d’épingles.

— Vous parlez francés, señorita ? je lui demande avec ce ton de compassion qui est de mise lorsqu’on informe un vieillard qu’il vient de déféquer dans ses brailles.

— Si ! répond-elle (ce qui est bien une preuve, hein ?).

Je caresse sa joue mal rasée tout en lui coulant une œillée qui aurait incité Staline à dissoudre la Guépéou.

— Vous ne craignez rien, ma jolie chérie, promets-je, nous sommes de la police, et si vous n’avez pas de permis de travail, nous vous en ferons établir un.

Son regard brille.

Je lui tends mon mouchoir afin qu’elle puisse essuyer son beau mufle armorié.

— Je sens que nous allons bien nous entendre, Pepita.

— Si, admet-elle, ma jé né m’appelé pas Pépita.

4

SELLE DE COURSE

Bon : elle ne s’appelle pas Pepita. Et alors ? Qu’est-ce que j’y puis je-t-il ? demanderait l’ Infâme.

J’ai pris place à son côté sur une bergère houssée et mis devant moi une petite table basse qui cherche à faire croire qu’elle est Louis XV avec l’énergie du désespoir. Sorti mon calepin au papier quadrillé, jauni par le temps (plus de trente balais que papa avait acheté un lot à un marchand ambulant dont la frite famélique l’avait apitieusé, je te le répète à chaque fois. Touchant !)

Je débute :

— Nom ?

— Maria Zozobra y Ponedora…

Elle va m’en déferler trois kilomètres sur la coloquinte, de quoi remplir les pages du vieux carnet, mais je lui déclare que ça suffit pour une prise de contact.

— Age ?

— Trente-deux.

La routine. Je déteste ces questionnaires d’identité qui font de moi un inquisiteur. S’ils savaient ce que je m’en torche l’oigne de leurs blases, et aussi qu’ils soient nés à Pétaouche ou à Zanzibar ! Mais pour les pièces officielles tu dois tout consigner. Crois surtout pas que je me désintéresse de mes prochains et prochaines ; y en a qui me passionnent, au contraire. Pas beaucoup, mais il en existe. Des que je serre sur mon cœur en leur susurrant comme quoi faut pas qu’ils se fassent chier, qu’on est un tout petit peu moins que rien et qu’il suffit d’attendre le grand couvre-feu final pour que les sales autres cessent enfin de nous tarabuster la prostate.

Je poursuis mon terrogatoire. T’en fais grâce. J’ai des conconfrères qu’en profiteraient pour tirer à la ligne. Moi, je préfère tirer un coup. Dans la nuance. Le slip de médème simplement écarté, c’est davantage fripon.

N’en fin de compte, l’Andaloche m’apprend qu’elle est native de Sotogrande où son papa entretient les golfs à poil ras. Elle vit depuis quatre ans dans cette aimable banlieue parisienne, en compagnie d’une de ses sœurs. Ça fait un an qu’elle gratte dans cette maison de l’avenue Marie-France Dayot. Le ménage, deux fois par semaine, elle fait. Le proprio s’appelle Martin Lhours. Il est veuf, peut-être a-t-il de la famille, en tout cas elle n’a jamais vu personne au pavillon. C’est un vieux kroum radin qui épluche ses notes d’épicerie et de boucherie quand elle lui fait ses courses. Il ne sort jamais. Une fois par mois, le facteur lui apporte de la fraîche résultant d’une pension. Elle a cru remarquer que ça représentait pas mal d’argent (mais les pauvres sont facilement impressionnables de ce côté-là). Nonobstant son avarice, le vioque se traînait un caractère de chiasse. Toujours à surveiller, ratiociner, houspiller. Si elle est restée douze mois au service (épisodique) de cet harpagon, c’est bien parce que les temps sont durailles.

Comment elle a découvert le drame, moussiou ? Eh bien, ce matin elle est venue, comme tous les mardis et vendredis. Elle a la clé parce que le dabe avait les portugaises ensablées. Elle a commencé par la cuisine, ce qui représente un travail infernal, le dabe accumulant la vaisselle sale dans l’évier. Ensuite, elle a aspiraté le salon. Puis ça a été le coup de chiftir dans l’escadrin. Arrivée au premier, elle a toqué à la porte de sa chambre, surprise de ne pas l’avoir encore vu, car il se montrait habituellement matinal. Cette lourde n’étant qu’imparfaitement fermée, elle l’a poussée. Et alors ! ET ALORS ! ! ! !

Bon, la voilà qui se remet à hurler comme une perdue ! A racler le tapis des talons ! A glisser de la bergère, dévoilant ses cuissots variqueux et sa tarte aux poils privée de culotte.

Attiré par la crise, Bérurier survient, nanti d’un seau de flotte dont il lui propulse le contenu en pleine poire. Maintenant il a le remède tout prêt. Question d’habitude.

La señorita Maria Zozobra y Ponedora, passagèrement en panne d’oxygène, suffoque. Le Mastard termine sa thérapie de groupe par une mandale qui décollerait la tronche d’un rhinocéros. Pour lors, notre petite camarade Poilopattes se calme.

Ce que je ne puis me défendre d’admirer chez Alexandre-Benoît Bérurier, c’est son profond sens de l’humain. Il le sait bien, va, que la Police a perdu quatre-vingts pour cent de son efficacité depuis que les sévices corporels lui sont interdits. La jacte, les malfrats n’en ont rien à secouer. Mais jadis, quand ils se prenaient une tonne de marrons plus ou moins glacés dans la gogne, ils retrouvaient le chemin de la rédemption sans perdre trop de temps ni faire des détours inconsidérés. Alors, le Musculeux continue de payer de sa personne et administre des tisanes de phalanges, ce qui est une méthode productive au niveau qualité-prix.

— Ça va mieux, gentille amie ?

— Si.

Elle ruisselle, ressemble à une vache noyée (en moins expressif).

— Vous m’avez dit que Martin Lhours ne recevait jamais personne ?

— Jamais, señor policier.

— Comment passait-il ses journées ?

— Il lisait beaucoup des livres.

— Et encore ?

Elle émet, du bout de ses grosses lèvres, une imitation de pet qui ferait marrer un conclave de cardinaux.

— Il se préparait à manger, la cuisine, il aimait faire. Et aussi, il buvait mucho. Deux fois la semaine, je ramenais une caisse de vin, du bordeaux château-ségur que j’achetais chez Nicolas. Il lui en fallait vingt-quatro bouteilles par semaine.

Je divise le nombre en rations journalières, ce qui fournit un quota de plus de trois boutanches quotidiennes. Pas mal, pour un presque octogénaire ! Il devait drôlement se maquiller de l’intérieur, l’ancien marin. S’asphyxier le tempérament au rouge noble.

— Ecoutez, ma jolie brunette, j’aimerais savoir s’il avait d’autres habitudes. Par exemple, téléphonait-il souvent ?

Elle secoue la tête.

— Presque jamais.

— A qui ?

— Je no sais.

— Il recevait des appels ?

— Dépouis qué jé souis ici, peut-être deux, trois…

— Vous n’avez aucune idée de qui il s’agissait ?

— Non. Mais la dernièré fois, c’était le mois dernier, il semblait très colère. Il criait et il a raccrochaté.

— Vous ne savez pas à qui il parlait ?

— A ouné mujer.

— Vous êtes sûre qu’il s’agissait d’une femme ?

— Si. Il criait des injoures contre le téléphone, ensouite. Il disait « Pouta ! Salope ! Pétité merde ! » Il avait ouné crise. Il donnait des coups au téléphone.