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Mirabeau critique Necker, les « longueurs insupportables de son discours, ses répétitions sans nombre, ses trivialités dites avec pompe »…

Il faut faire taire Mirabeau, dit Necker, interdire ce Journal des États généraux. C’est fait le 7 mai. Mais Mirabeau change de titre, publie Une lettre du Comte de Mirabeau à ses commettants, et écrit : « Vingt-cinq millions de voix réclament la liberté de la presse et la Nation et le Roi demandent unanimement le concours de toutes les lumières et un ministre soi-disant populaire ose effrontément mettre le scellé sur nos pensées, privilégier le trafic du mensonge… Non, Messieurs ! »

Et l’on sait que pour Mirabeau, Necker n’est qu’un « charlatan, un roi de la canaille », mais comment empêcher la parution de son journal, alors que Brissot lance Le Patriote français, et que d’autres feuilles paraissent ?

C’est sous la surveillance des journaux que vont se dérouler les débats aux États généraux.

L’opinion publique, dont ils sont l’écho et qu’ils orientent, entre dans la salle où délibèrent les députés et elle n’en sortira plus.

On lit avec passion ces journaux, et de nombreux Parisiens font le voyage de Versailles.

Ils sont admis sans difficulté dans la salle commune des États généraux qu’on a laissée au tiers état, l’ordre qui compte le plus de députés.

Ils écoutent les leurs qui, par leur talent ou leur notoriété, s’imposent jour après jour : Mirabeau, Sieyès, Mounier, Barnave.

Parfois c’est un inconnu qui prend la parole, comme ce député d’Arras, l’avocat Maximilien Robespierre, qu’on écoute distraitement, lors de sa première intervention le 18 juin.

Les deux ordres privilégiés se sont retirés dans des salles « séparées », où ils siègent à huis clos, marquant ainsi leur volonté de refuser l’« Assemblée unique » au moment où les députés du tiers choisissent de se nommer « Communes » à l’imitation de l’Angleterre, et dans quelques jours ils se choisiront pour « doyen des Communes » l’astronome Jean Sylvain Bailly, député de Paris.

Louis observe, interroge, écoute.

La reine, le comte d’Artois – les princes – répètent que le tiers, en refusant de vérifier isolément les pouvoirs de ses membres, en demandant aux autres ordres de le rejoindre, s’est mis en état de « sédition ». Le tiers état veut briser la division en ordres.

Il appelle les députés de la noblesse et du clergé à le rejoindre. Il refuse toutes les « transactions ». Il faut donc « le réduire à l’obéissance ».

Mais comment ?

Louis mesure le danger pour le pouvoir royal.

Suffit-il de s’appuyer sur les ordres privilégiés qui, dans leurs salles séparées, ont décidé de vérifier, chacun pour soi, les pouvoirs de leurs députés ?

Mais quarante-sept nobles s’y sont opposés (contre cent quarante et une voix pour) et le clergé est profondément divisé : cent quatorze voix pour rejoindre le tiers, constituer une Assemblée unique, et une courte majorité de cent trente-trois voix pour le maintien de la séparation. Des délégations du tiers état s’en vont tenter de convaincre les « curés » de rejoindre les « Communes ».

Et ce « bas clergé » est tenté. Il ose se dresser contre les prélats : « Les curés de village s’ils n’ont pas les talents des académiciens ont du moins le bon sens des villageois », dit l’un, s’adressant à l’abbé Maury, membre de l’Académie française.

« Ici, Messeigneurs, dit un autre, nous sommes tous égaux. »

Et l’abbé Grégoire, « ami des Noirs », célèbre par son Mémoire sur l’émancipation des Juifs, réunit autour de lui, chaque soir, « soixante curés », patriotes.

Et Paris bouillonne, du Palais-Royal au faubourg Saint-Antoine.

Des témoins, pourtant « patriotes », s’inquiètent de la violence des propos qui sont lancés.

On réclame un « carcan sur le Pont-Neuf pour l’abbé Maury ».

On compte sur ses doigts les ennemis de la nation : « deux altesses royales, trois altesses sérénissimes, une favorite… »

Il s’agit des frères du roi, du prince de Condé, du duc de Bourbon, du prince de Conti, et de Madame de Polignac. Et naturellement, la reine est fustigée, couverte d’injures. Le libraire Nicolas Ruault1, éditeur de Voltaire, esprit éclairé, patriote, s’inquiète : « Si la haine fermente quelque temps encore dans le peuple contre les ordres privilégiés, si l’autorité ne vient pas la calmer ou l’éteindre, il est à craindre que la partie du peuple sans propriété, que cette multitude sans existence civile, sans principes moraux et qu’il est si facile de mettre en mouvement, qui s’y met souvent d’elle-même sur les moindres propos qu’ils entendent au coin des rues et des carrefours, dans les halles et les marchés publics, ne coure de château en château, tout piller et tout détruire.

J’ai déjà entendu ces menaces de la populace de Paris dans des groupes qu’on voit se multiplier chaque jour. » Et Nicolas Ruault ajoute : « Il est fort à souhaiter que le souverain intervienne avec son autorité pour donner la paix à cette assemblée d’hommes libres… »

Mais à la fin mai, les États généraux ne sont pas encore une Assemblée unique.

Les trois ordres restent sur leurs positions et lorsque le roi propose des « conférences de conciliation », entre les ordres, le tiers qui craint un piège refuse.

Mirabeau a plaidé qu’en restant immobile le tiers est « formidable à ses ennemis ».

Et le roi est las, désespéré.

Tout se mêle en lui, la déception de voir son peuple se diviser et se rebeller, et chaque jour de constater que la mort envahit le corps du dauphin.

On a transporté l’enfant à Meudon, dans l’espoir qu’il y respire un air plus pur qu’à Versailles.

Louis se rend quotidiennement à son chevet, et c’est comme s’il avait devant lui, devant son fils mourant, la preuve de son impuissance.

Le dauphin meurt le 4 juin.

Selon l’étiquette, les souverains ne peuvent accompagner leur fils jusqu’à Saint-Denis.

Ils s’installent à Marly, terrassés par le chagrin, désireux de se recueillir.

Mais Louis ne peut ignorer les événements.

Les troubles continuent. On pille des greniers à blé.

Le comte d’Artois, la reine, leurs proches, harcèlent le roi quand ils apprennent que le 17 juin, sur la proposition de l’abbé Sieyès, les Communes du tiers état se constituent en Assemblée nationale.

Cette Assemblée nationale vota aussitôt un décret, assurant provisoirement la perception des impôts et le service de la dette publique.

Provisoirement : c’est-à-dire que l’Assemblée menace d’une « grève des impôts », si le roi et les ordres privilégiés refusent de reconnaître cette Assemblée nationale.

Provisoirement : jusqu’à ce que l’Assemblée nationale ait élaboré une Constitution.

Chaque député du tiers se sent porté par cette houle qui balaie le pays.

« Le tiers a pour lui le droit et la force des choses », dit l’abbé Sieyès.

13

« Assemblée nationale ».

Louis répète ces mots, relit ces récits, ces pamphlets qu’on pose devant lui, et il a l’impression d’être saisi par le vertige comme s’il se trouvait au bord d’un abîme, qu’il était prêt à y être précipité, et il ne peut s’empêcher d’osciller, d’avant en arrière, comme si son corps voulait exprimer l’hésitation et en même temps la frayeur qui ont fondu sur lui.

Les députés du tiers, ces roturiers, ont osé le défier, alors qu’ils n’existent que par lui, qui a bien voulu organiser les élections, réunir les États généraux.