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— D’ailleurs, les vivres s’épuisent, et il faudra que dans quelques jours les gens retournent au travail, car nous ne pouvons pas les nourrir pour rien plus longtemps … dit le grand scribe.

— Tu vois ! dit Ramsès à Tutmosis. J’avais ordonné à la police de calmer la foule ; mais s’il n’y a pas moyen de le faire, il faut exploiter son élan !

À ce moment arriva une estafette, annonçant que le peuple avait attaqué les étrangers de Memphis : les Grecs, les Syriens, mais surtout les Phéniciens. De nombreuses boutiques avaient été pillées, et des Phéniciens tués.

— Voilà la preuve, s’écria Ramsès, de plus en plus décidé, qu’on ne peut arrêter le peuple une fois qu’il s’est mis en marche ! Que demain matin les troupes cernent les temples et les occupent si le peuple veut les envahir … ou s’il recule … Je vous le répète, j’ai voulu maintenir la date initialement prévue, mais je ne puis plus reculer, car je suis dépassé par la rapidité des événements ! Demain, qu’on arrête Méfrès et Herhor ; quant au Labyrinthe, nous en viendrons à bout en quelques jours.

Les conseillers quittèrent le pharaon en admirant son énergie et son intelligence. Ils jugeaient sa décision opportune, les généraux surtout.

La nuit était venue. Un autre courrier arriva de la ville, annonçant que la police avait réussi à protéger les étrangers, mais que la foule était très agitée et qu’on pouvait tout craindre du lendemain.

À partir de ce moment, les courriers se succédèrent sans cesse. Les uns annonçaient que des milliers de paysans armés de haches marchaient sur Memphis ; d’autres disaient que des paysans fuyaient dans les champs en annonçant que la fin du monde était pour le lendemain. Enfin, Hiram fit annoncer son arrivée imminente. De plus, on avait arrêté, aux environs du palais, des prêtres déguisés qui cherchaient à pénétrer chez le pharaon, animés sans aucun doute d’intentions meurtrières.

Vers minuit, la reine Nikotris demanda à son fils de la recevoir.

Elle entra, pâle et effrayée, fit sortir de la pièce les officiers et les courtisans et se mit à parler d’une voix suppliante :

— Les présages sont bien mauvais, Ramsès …

— Je préférerais, mère, connaître les forces et les intentions exactes de mes ennemis, répondit Ramsès.

— Ce soir, reprit la reine, la statue d’Isis, dans ma chapelle, a versé des larmes …

— Cela prouve seulement, trancha le pharaon, qu’il y a des traîtres au palais même ! Mais ils ne sont pas bien dangereux, s’ils ne réussissent qu’à faire pleurer les statues !

— Tous tes serviteurs, tout le peuple est convaincu que si, demain, les troupes occupent les temples, un grand malheur va s’abattre sur l’Égypte ! gémit la reine.

— L’insolence des prêtres est notre grand malheur ! s’écria Ramsès. Ils se croient les maîtres du pays ! Eh bien, je leur montrerai, demain, à quoi se réduit leur pouvoir !

— Mais, au moins, seigneur, sois miséricordieux ! supplia la reine. Oui, certes, défends tes droits, mais ne permets pas à tes soldats de profaner les lieux saints ni d’outrager les prêtres ! Ils rendent au pays de grands services, ne l’oublie pas !

Ramsès baisa les mains de sa mère et répondit en riant :

— Les femmes exagèrent toujours ! Tu me parles tomme si j’étais un Hyksôs sauvage, et non un pharaon ! Penses-tu que j’aie l’intention de massacrer les prêtres, que je dédaigne leur sagesse ou leur science, même si elle est aussi stérile que l’observation des astres ? … Non ! Ce que je ne puis souffrir, c’est la misère du pays, pauvre en dedans, menacé au-dehors, et que les prêtres refusent de m’aider à faire disparaître, malgré tout leur savoir et toutes leurs richesses !.. Je vais donc leur montrer que c’est moi le maître ici et non eux ! J’aurai pitié des ennemis repentants mais j’écraserai les récalcitrants ! Ah, ils ne savent pas comme je suis décidé à tout, et en l’absence de forces réelles, ils essaient de m’intimider par des balivernes et des présages ! C’est leur dernière planche de salut, mais qu’ils sachent donc que je ne crains pas les fantômes. Qu’ils s’humilient devant moi, et pas une pierre de leurs temples ne sera arrachée, pas une bague ne disparaîtra de leurs trésors ! Tu les connais : aujourd’hui, à distance, ils menacent, mais il suffira que demain j’étende mon bras de fer, et toute cette agitation se muera en paix profonde, en calme et en prospérité !

La reine se prosterna et sortit, un peu apaisée de voir que son fils respectait les dieux et qu’il épargnerait leurs serviteurs.

Après son départ, le pharaon appela Tutmosis.

— Que demain matin l’armée occupe les temples ; mais je ne veux pas que l’on touche aux prêtres ni à leurs biens …

— Même Méfrès et Herhor ? …

— Même ces deux-là. Ils seront suffisamment châtiés en perdant leur rang et en se voyant relégués dans leurs temples, où ils pourront tout à leur aise se consacrer à la science et se vouer à la prière …

— Il en sera fait selon tes ordres. Cependant …

Ramsès leva la main, signifiant par là qu’il ne voulait entendre aucune objection. Puis, changeant de ton, il dit avec un sourire :

— Te souviens-tu, Tutmosis, des manœuvres près de Pi-Bailos … Deux ans déjà … Te rappelles-tu comme, à ce moment, je m’indignais contre l’insolence des prêtres ? Aurais-tu cru que je leur demanderai des comptes si vite ? … Et Sarah, te souviens-tu d’elle ? Qu’elle était belle, n’est-ce pas ? …

Des larmes embuèrent ses yeux.

— Oui, vraiment, si je n’étais pas le fils des dieux, qui sont généreux et magnanimes, mes ennemis connaitraient demain des moments terribles !.. Trop souvent, j’ai versé des larmes à cause d’eux …

Chapitre XXIII

Le 20 septembre au matin, Memphis avait l’aspect d’une ville en fête. Tout travail avait cessé et les habitants s’étaient répandus dans la rue, sur les places et aux abords des temples. La foule était particulièrement dense autour du temple de Ptah où s’étaient enfermés les principaux archiprêtres avec Herhor et Méfrès. Tous les sanctuaires étaient ceinturés d’une ligne de soldats, l’arme aux pieds, qui devisaient joyeusement avec le peuple. Des hommes chargés de paniers distribuaient du pain et du vin sans rien faire payer, disant que c’était le pharaon qui avait ordonné cette libéralité. D’autres, tout en distribuant les mêmes victuailles, clamaient :

— Mangez et buvez, malheureux Égyptiens, car nul ne sait s’il verra encore la lumière demain …

C’étaient là des agents des prêtres.

Des agitateurs, il y en avait d’ailleurs des centaines ; les uns disaient que les prêtres voulaient empoisonner le pharaon, d’autres que le pharaon était devenu fou et voulait livrer l’Égypte aux étrangers. Les premiers encourageaient le peuple à attaquer les temples, les seconds affirmaient que si pareille chose arrivait, un grand malheur ne manquerait pas de se produire. Nul ne sait comment, autour du temple de Ptah, se trouvèrent rassemblés des tas de pierres et des troncs d’arbres pouvant servir de béliers.

Les notables de la ville n’avaient aucun doute quant au caractère artificiel de toute cette agitation. Les petits scribes, les policiers, les officiers déguisés ne faisaient rien pour cacher le rôle qu’ils jouaient et ne laissaient ignorer à personne qu’ils étaient là pour pousser le peuple à attaquer le temple. D’autre part, des prêtres habillés en mendiants, les serviteurs des temples, les embaumeurs, quoique s’efforçant de dissimuler leur mission, ne parvenaient pas à cacher qu’eux aussi encourageaient le peuple à la violence … Aussi, les bourgeois de Memphis étaient-ils étonnés de l’attitude du clan des prêtres, cependant que la foule commençait à perdre son élan de la veille. Il n’y avait pas moyen de savoir exactement qui encourageait l’agitation : l’armée, seule, demeurait calme en attendant que la foule commençât l’attaque du temple. Tels étaient les ordres du palais royal ; de plus, les officiers craignaient que les agresseurs ne se heurtassent à des pièges sanglants, et ils préféraient voir périr la populace plutôt que leurs soldats.