Au-dessus de la porte, Herhor, entouré des archiprêtres demeurait debout, les bras élevés vers le ciel.
Les mêmes scènes, à peu de chose près, se déroulaient dans toute la Basse-Égypte. Dans toutes les villes, la foule s’était rassemblée, dès le matin, autour des temples, et vers midi une bande avait commencé à donner l’assaut aux sanctuaires. Vers une heure, des archiprêtres s’étaient montrés, avaient maudit les agresseurs, et l’obscurité s’était faite. Puis, lorsque la foule se fut dispersée, en proie à la panique, les prêtres avaient prié Osiris et la lumière était revenue.
Ainsi, grâce à une éclipse, grâce à la science du clergé, les desseins de Ramsès XIII étaient compromis. En quelques minutes, le pharaon se trouvait au bord d’un précipice qu’il ne soupçonnait même pas. Seuls un esprit de décision rapide et une connaissance exacte de la situation pouvaient encore le sauver.
Or, ces deux qualités firent cruellement défaut dans l’entourage du pharaon et le hasard seul dirigea les événements au palais royal.
Le 20 septembre au matin, Sa Sainteté le pharaon s’était levée tôt et avait transporté sa résidence du grand palais dans un petit pavillon situé sur la route de Memphis, cela afin de pouvoir suivre plus facilement la marche des événements. Ce pavillon était entouré, d’un côté, par les casernes des cavaliers asiates, de l’autre par le palais qu’habitaient Tutmosis et la belle Hébron, son épouse. Les généraux et les courtisans avaient suivi le pharaon, ainsi que le premier régiment de sa garde, en qui il avait la confiance la plus absolue.
Ramsès XIII était d’excellente humeur. Il avait pris un bain, avait déjeuné de bon appétit, puis s’était mis à écouter les rapports des messagers arrivant de la capitale. Ces rapports étaient monotones au point d’en devenir ennuyeux : les archiprêtres s’étaient réfugiés au temple de Ptah, l’armée était pleine d’ardeur et le peuple fort agité. Chacun attendait l’ordre de passer à l’attaque.
Lorsque, pour la quatrième fois, il entendit le même rapport, Ramsès fronça les sourcils.
— Mais qu’attendent-ils donc ? Qu’ils attaquent immédiatement ! s’écria-t-il.
Le courrier répondit que la bande principale qui devait mener l’attaque n’était pas encore rassemblée. Cette explication ne plut pas au pharaon, et il expédia à Memphis un officier avec ordre de presser les événements.
— Je ne suis pas content du tout ! dit-il. J’espérais qu’à mon réveil on m’annoncerait la prise du temple ! Dans ce genre d’entreprise, la rapidité est une des conditions essentielles du succès !
L’officier partit pour Memphis, mais autour du temple de Ptah, la situation n’évoluait en aucune manière. Le peuple semblait attendre quelque chose, et la bande principale n’était toujours pas là. On eût dit qu’une autre volonté retardait à dessein l’accomplissement des ordres.
Vers une heure, la situation restait inchangée et la colère apparut sur le visage de Ramsès. Voulant le calmer, Tutmosis lui dit :
— Le peuple n’est pas l’armée, seigneur ; il est indiscipliné et incapable d’agir à l’heure fixée. Si tu avais ordonné à tes régiments de s’emparer des temples, ce serait déjà fait !
— Tu oublies que d’après mes ordres l’armée ne doit pas attaquer les temples, mais, au contraire, les défendre contre la populace !
— Oui, mais cela retarde le dénouement ! répondit impatiemment Tutmosis.
À ce moment-là, un adjudant vint lui annoncer qu’un vieillard que ses soldats avaient arrêté demandait à parler au pharaon.
— Aujourd’hui, grogna l’officier, chacun veut voir le pharaon, comme si c’était un aubergiste !..
Le vieil homme que venait d’arrêter la garde n’était autre que le prince phénicien Hiram. Il portait un costume militaire couvert de poussière et paraissait exténué et irrité. Tutmosis le fit entrer immédiatement, et lorsqu’ils furent seuls dans le jardin, il lui dit :
— Je pense que tu voudras prendre un bain et changer d’habits avant de demander audience à Sa Sainteté ?
Hiram fronça les sourcils.
— Après ce que j’ai vu, répondit-il sèchement, je crois n’avoir pas même besoin de voir le pharaon !
— Tu nous apportes les lettres de Herhor aux Assyriens, n’est-ce pas ?
— Vous n’en avez plus besoin, puisque vous avez fait la paix avec les prêtres !
— Que dis-tu là ? rugit Tutmosis.
— Je sais parfaitement bien ce que je dis ! Vous avez tiré de nous des dizaines de milliers de talents, soi-disant pour délivrer l’Égypte du joug du clergé, et voilà qu’aujourd’hui vous nous faites piller et massacrer ! Va donc voir ce qui se passe dans le pays, tout le long du Nil : partout, le peuple pourchasse les Phéniciens comme des chiens, car tel est l’ordre donné par les prêtres !..
— Mais tu es fou, Tyrien ! Notre peuple, en ce moment même, prend d’assaut le temple de Ptah à Memphis !..
Hiram haussa les épaules.
— Il ne le prendra jamais ! Ou bien vous vous trompez, ou bien on vous a trompés … Vous deviez avant toutes choses vous emparer du Labyrinthe et de ses trésors, le 23 septembre … Et voilà qu’aujourd’hui déjà vous gaspillez vos forces devant le temple de Ptah, alors que le Labyrinthe demeure aux mains des prêtres ! Que se passe-t-il Avez-vous perdu la raison ? … Pourquoi cet assaut des sanctuaires ? … Vous tenez absolument à ce que la garde du Labyrinthe soit renforcée ? …
— Nous prendrons aussi le Labyrinthe ! interrompit Tutmosis.
— Vous ne prendrez rien du tout ! cria le Phénicien déchaîné. Le Labyrinthe ne pouvait être pris que par un seul homme ; un régiment ne pourra rien faire !
Tutmosis se sentit agacé par la violence de ces reproches.
— Que nous reproches-tu, au juste ? demanda-t-il sèchement à Hiram.
— Je vous reproche le désordre qui règne ici !.. Vous n’êtes plus des chefs, mais un troupeau d’officiers et de dignitaires dont les prêtres font ce qu’ils veulent !.. Depuis trois jours, un chaos épouvantable règne en Égypte : le peuple nous attaque, nous, vos seuls amis ! Et pourquoi cela ? Parce que vous ne dirigez plus les événements. Ce sont les prêtres qui mènent le jeu !..
— Tu parles ainsi parce que tu ignores toute la situation, répondit Tutmosis. Il est vrai que les prêtres excitent la populace contre les Phéniciens, mais sache que c’est le pharaon, et lui seul, qui est le maître des événements !
— Et l’attaque prématurée contre le temple de Ptah ?
— C’est également le pharaon qui l’a ordonnée. J’ai assisté au conseil au cours duquel il fut décidé d’avancer l’attaque de trois jours …
— Eh bien, commandant de la garde, je t’annonce, moi, que vous êtes perdus ! dit Hiram. Car je sais en toute certitude que l’attaque d’aujourd’hui a été décidée lors de la réunion des archiprêtres qui s’est tenue au temple de Ptah le 13 septembre dernier !
— Et pourquoi donc auraient-ils décidé une attaque contre eux-mêmes ? demanda Tutmosis avec ironie.
— Ils ont certainement une raison pour cela, car une chose est certaine : ils défendent leurs intérêts beaucoup mieux que vous ne défendez les vôtres !
Un adjudant approcha, disant que le pharaon demandait Tutmosis.
— Mais j’oubliais ! s’écria Hiram. Vos soldats ont arrêté le prêtre Pentuer qui a quelque chose d’important à dire à ton maître …