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— Il y a trois jours, l’interrompit Sarah, le Phénicien est venu me voir. Il a insisté pour que je le reçoive …

— Il m’a donné une bague en or ! intervint Tafet.

— Il m’a dit, continuait Sarah, qu’il était le gérant de mon maître, et m’a offert deux bracelets, un collier de perles, et un coffret de parfums.

— Pour quelle raison t’a-t-il offert tout cela ? demanda son père.

— Pour rien. Il a simplement demandé que je rappelle à mon maître que Dagon est son plus fidèle serviteur.

— Tu amasseras bien vite un coffre de bracelets et de colliers, répondit Gédéon en souriant. Ah ! Fais vite fortune et rentre chez nous ! ajouta-t-il après un instant.

— Et que dirait mon maître ? demanda tristement Sarah.

Gédéon secoua la tête.

— Avant un an, dit-il, ton maître t’aura abandonnée. Si tu étais Égyptienne, il te prendrait dans sa maison. Mais une Juive …

— Tu crois vraiment qu’il m’abandonnera ? demanda Sarah avec un soupir.

— Laissons l’avenir en paix. Je suis venu passer le sabbat chez toi.

— J’ai de bons poissons, de la viande et des galettes, intervint Tafet. J’ai également acheté à Memphis un chandelier à sept branches et des bougies de cire. Le souper sera meilleur que chez Chaires lui-même.

Gédéon sortit avec sa fille sur la terrasse. Lorsqu’ils furent seuls il dit :

— Tafet m’a dit que tu restais constamment à la maison. Pourquoi cela ? Tu devrais au moins sortir dans le jardin !

— J’ai peur ! murmura Sarah.

— Que crains-tu dans ton jardin ? Tu es la maîtresse, ici …

— Un matin, je suis sortie dans le jardin. Des hommes me virent et je les entendis se dire entre eux : « Regardez, c’est la Juive de l’héritier du trône. C’est à cause d’elle que les crues sont en retard ! ».

— Ces hommes sont stupides, interrompit Gédéon. Ce n’est pas la première fois que les crues du Nil sont en retard d’une semaine. En tout cas, en attendant, sors le soir.

Sarah secoua la tête.

— Je ne veux pas s’écria-t-elle. Une autre fois, j’étais sortie le soir et je me promenais entres les oliviers. Je vis approcher soudain deux femmes … J’ai voulu fuir … Alors l’une d’elles me prit par la main et me dit : « Ne fuis pas, nous voulons te voir de près ! ». Et l’autre se mit en face de moi et me regarda dans les yeux … J’ai cru, père, mourir sous ce regard tant il était terrible.

— Qui cela pouvait-il être, demanda Gédéon.

— L’une des deux femmes avait l’air d’une prêtresse.

— Et elle ne l’a rien dit ?

— Non. Seulement je l’ai entendue dire à l’autre, comme elles s’éloignaient : « Elle est vraiment belle … ».

Gédéon réfléchit un instant.

— C’étaient peut-être deux grandes dames de la Cour, dit-il.

Le soleil se couchait et les deux rives du Nil se couvraient d’une foule dense qui attendait impatiemment l’annonce de la crue.

Depuis deux jours déjà, le vent soufflait de la mer et le fleuve avait pris sa teinte verdâtre ; déjà le soleil avait dépassé l’étoile Sotis, mais, dans le puits sacré de Memphis, l’eau n’avait pas même monté d’un doigt. Les gens étaient inquiets, d’autant plus qu’en Haute Égypte les crues étaient normales, disait-on, et même s’annonçaient excellentes.

— On dirait que quelque chose les arrête près de Memphis, murmuraient les paysans.

Lorsque les étoiles apparurent dans le ciel, Tafet dressa la table, y plaça le chandelier à sept branches, alluma les bougies et annonça que le souper de sabbat était prêt.

Gédéon se couvrit la tête et, levant les bras au ciel, il pria :

— Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Toi qui fis sortir notre peuple d’Égypte, Toi qui donnas aux esclaves une patrie, préserve-nous de la crainte dans laquelle nous sommes plongés sur cette terre étrangère et ramène-nous sur les rives du Jourdain …

À ce moment, une voix se fit entendre au-dehors :

— Sa Grandeur Tutmosis, serviteur de Sa Sainteté l’héritier du trône …

— Qu’il vive éternellement ! retentirent des voix dans le jardin.

— Sa Grandeur, continua la voix, envoie ses hommages à la plus belle des roses du Liban !

La voix se tut, et des sons de harpe et de flûte retentirent.

— De la musique ! cria Tafet en battant des mains. Nous souperons en musique !

Sarah et son père, d’abord effrayés, se mirent à rire et prirent place à la table.

— Qu’ils jouent ! dit Gédéon. Leur musique ne nous enlèvera pas l’appétit !

La flûte et la harpe jouèrent un couplet, puis une voix de ténor chanta :

— Tu es la plus belle de toutes les femmes qui se mirent dans les eaux du Nil. Tes cheveux sont plus noirs que les plumes du corbeau, tes yeux plus doux que ceux de la biche. Tu as la taille du palmier et la grâce du lotus. Tes seins sont comme les grappes de vigne dont le vin enivre les rois …

La flûte et la harpe résonnèrent à nouveau, puis le chant reprit :

— Viens te reposer dans le jardin. Les serviteurs t’apporteront des boissons. Viens, célébrons cette nuit et l’aurore qui va suivre … Ton amant reposera sur ta poitrine, à l’ombre du figuier, et toi tu l’abreuveras et tu accéderas à tous ses désirs …

Chapitre X

Soudain, le chant se tut, couvert par un bruit de voix.

— Païens, ennemis de l’Égypte, criait quelqu’un, vous chantez pendant que nous sommes dans l’inquiétude, et vous célébrez une Juive qui retarde la crue du Nil par ses magies …

— Gare à vous, répondit une autre voix. Vous êtes ici sur les terres de l’héritier du trône !

— Nous ne repartirons pas avant d’avoir vu la Juive et lui avoir fait part de nos griefs …

— Fuyons ! cria Tafet.

— Où veux-tu fuir ? demanda Gédéon.

— Jamais ! s’écria Sarah, que la colère gagnait. J’appartiens au prince héritier, et ces gens lui doivent le respect !

Avant que son père et sa servante n’aient pu la retenir, elle courut tout de blanc vêtue sur la terrasse en criant à la foule :

— Me voici ! Que me voulez-vous ?

Le tumulte se calma un instant, puis des voix menaçantes retentirent :

— Sois maudite, étrangère dont les péchés retiennent les eaux du Nil !

Des pierres sifflèrent dans l’air. L’une d’elles vint frapper Sarah au front.

— Père, au secours ! s’écria-t-elle en portant la main à la tête.

Gédéon la prit dans ses bras et la ramena à l’intérieur de la maison. Pendant ce temps, des hommes franchissaient le mur de la propriété et pénétraient dans le jardin. Tafet se mit à hurler, et l’esclave noir, saisissant une hache, se plaça en travers de la porte d’entrée ; il avertit les assaillants qu’il fracasserait le crâne au premier qui essayerait d’entrer.

— Envoyez donc quelques pierres à ce chien nubien ! cria quelqu’un.

Mais à ce moment on vit émerger du fond du jardin un homme au crâne rasé, les épaules couvertes d’une peau de panthère. La foule se tut.

— Un prêtre … Un saint homme … murmura-t-on.

— Égyptiens ! dit le prêtre d’une voix calme, comment osez-vous porter la main sur les biens de l’héritier du trône ?

— Une Juive impure habite ici. Elle empêche le Nil de monter … La misère nous attend !

— Hommes stupides ou de mauvaise foi ! continua le prêtre. Comment pouvez-vous croire qu’une femme influence la volonté des dieux ? Chaque année, le Nil est en crue. En a-t-il jamais été autrement, malgré la présence dans le pays de nombreux étrangers, souvent des prisonniers forcés à un lourd travail, et qui nous maudissent ? Ceux-là voudraient attirer sur nous tous les malheurs possibles ; ils voudraient que le soleil ne se lève plus ou que le Nil arrête ses crues … Et qu’advient-il de leurs prières ? Ou bien leurs dieux ne les entendent pas, ou bien ces dieux sont moins puissants que les nôtres. Comment voudriez-vous alors qu’une femme, qui se sent heureuse chez nous, puisse attirer des malheurs que nos plus grands ennemis sont impuissants à provoquer ?