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— Qui es-tu ? demanda Ramsès.

— Je suis une prêtresse et ta servante ; c’est Dagon qui m’envoie pour apaiser la colère que tu nourris à son égard.

— Et comment vas-tu t’y prendre ?

— Tu vas voir ! Assieds-toi ici — elle désigna un fauteuil — je danserai pour toi, et ce châle sacré que je porte chassera ta colère.

Elle se mit à danser, tout en parlant :

— Que mes mains soient douces à tes cheveux et mes baisers à tes lèvres ! Que les battements de mon cœur emplissent tes oreilles de musique, seigneur ! Et que la paix descende sur toi, car l’amour a besoin de silence …

Elle interrompit sa danse pour caresser les cheveux de Ramsès, pour embrasser son cou et ses yeux. Enfin, lasse, elle s’assit aux pieds du prince et, posant la tête sur ses genoux, elle le regarda attentivement, les lèvres entrouvertes.

— Tu n’es plus irrité contre Dagon ? demanda-t-elle en caressant le visage du prince.

Ramsès se pencha et voulut baiser ses lèvres mais elle se dressa d’un bond et s’enfuit en criant :

— Non, c’est défendu !

— Pourquoi ?

— Parce que je suis vierge et prêtresse de la déesse Astoreth. Tu devrais d’abord longuement vénérer la déesse avant de pouvoir m’embrasser.

— Et toi, tu peux embrasser les hommes ?

— Moi, je peux tout, car je suis prêtresse et j’ai fait vœu de chasteté !

— Pourquoi alors es-tu venue ici ?

— Je te l’ai dit : pour chasser ta colère. J’y ai réussi, et je m’en vais. Adieu ! acheva-t-elle en lui lançant un long regard.

— Où habites-tu ? Quel est ton nom ? demanda le prince.

— Mon nom est Tendresse. Et j’habite … mais qu’importe ? Tu ne viendras pas me voir de sitôt !

Elle sortit. Le prince demeura dans son fauteuil, subjugué. Lorsque, quelques instants plus tard, il regarda par la fenêtre, il vit s’éloigner dans la direction du Nil une riche litière portée par quatre esclaves. Cependant, il ne regretta pas la Phénicienne ; elle l’avait charmé sans vraiment le séduire.

« Sarah est plus belle, se dit-il ; et d’ailleurs, cette fille doit être froide et ses caresses apprises … ».

Dagon avait toutefois atteint son but : Ramsès lui pardonna, d’autant plus que lors d’une de ses visites à Sarah, des paysans vinrent le remercier pour sa protection et affirmèrent que le Phénicien ne leur extorquait plus de nouveaux impôts.

Ils disaient la vérité, car il en était ainsi dans la région de Memphis. Mais le gérant du prince se rattrapait ailleurs …

Chapitre XIV

À la mi-septembre, le Nil atteignit son niveau maximum. Dans les jardins avait commencé la cueillette des dattes et des olives, et les arbres fleurissaient à nouveau.

À cette époque, le pharaon Ramsès XII quitta son palais de Memphis et se rendit à Thèbes, accompagné d’une suite nombreuse et brillante, afin de remercier les dieux de l’abondance des crues et de déposer des présents sur les tombeaux de ses ancêtres. Avant son départ, il prit aimablement congé de son fils mais confia les affaires du royaume à Herhor.

Ramsès ressentit douloureusement ce manque de confiance. Il s’enferma dans son palais et n’en sortit pas trois jours durant. Puis il alla séjourner chez Sarah, pour éviter de rencontrer Herhor et aussi pour agacer sa mère qu’il rendait responsable de tous ses malheurs.

Dès le lendemain, Tutmosis le rejoignit. Sa barque était suivie de deux autres remplies de musiciens, de danseuses, de boissons, de fleurs et de vin. Mais le prince renvoya les femmes et les musiciens et, prenant Tutmosis à part, il lui dit :

— C’est sans doute ma mère qui t’a envoyé pour me distraire de Sarah ? Eh bien, je te charge de lui dire que même si Herhor devenait héritier du trône, je ne ferai que ce qui me plaira … Je connais ces procédés : aujourd’hui on veut m’enlever Sarah, demain on s’en prendra à mon pouvoir !.. Mais je leur montrerai que je ne renonce jamais à rien !

Manifestement, le prince était irrité. Aussi, Tutmosis se contenta-t-il de hausser les épaules.

— La colère t’égare, dit-il. Comment peux-tu t’étonner que les prêtres soient mécontents de te voir lier ta vie à celle d’une étrangère d’une autre croyance ? Il est vrai que Sarah leur déplaît, d’autant plus que tu ne t’intéresses qu’à elle ; si tu avais plusieurs maîtresses, comme tous les jeunes nobles, personne ne prêterait attention à cette Juive. Mais, en dehors de cela, que t’ont-ils fait de mal, les prêtres ? Rien. Au contraire, l’un d’entre eux a sauvé ta maison !

— Et ma mère ? demanda Ramsès.

Tutmosis se mit à rire.

— Ta sainte mère, dit-il, t’affectionne plus que tout au monde. Elle non plus n’aime pas Sarah … Elle m’a même proposé de te la reprendre. Elle plaisantait, aussi ai-je répondu par une plaisanterie : « Ramsès m’a bien donné une meute et deux chevaux syriens qui l’avaient lassé, ai-je dit ; il finira par me céder aussi sa maîtresse … ».

— N’y compte pas ! Je ne donnerai jamais Sarah à personne, ne fût-ce que parce que mon attachement pour elle m’a valu la disgrâce de mon père …

— Tu te trompes, dit Tutmosis ; tu te trompes à tel point que ton aveuglement m’effraie. Vraiment, n’aurais tu pas compris les raisons de ta disgrâce ?

— Non, vraiment pas.

— C’est grave … Tu ne sais donc pas que depuis la fin des manœuvres tous les soldats, et plus spécialement les Grecs, boivent à ta santé dans toutes les auberges du pays ?

— Il n’y a aucun mal à cela.

— Il n’y en aurait aucun, en effet, s’ils ne racontaient pas, à qui veut l’entendre, qu’une fois devenu pharaon, tu commenceras une grande guerre qui entraînera de grands changements en Égypte … Quels changements ? Qui, du vivant du pharaon, ose parler des projets de son successeur ?

Le visage du prince s’assombrit.

— Et ce n’est pas tout, continua Tutmosis. Sais-tu que les paysans disent que tu as fait libérer des coupables et que lorsque tu accéderas au trône, tu supprimeras tous les impôts ? Or, il est notoire que chaque fois que les paysans parlent d’injustice et d’impôts, des troubles éclatent et, ou bien l’ennemi extérieur en profite pour nous attaquer, ou bien c’est la révolution … Tu vois le danger qu’il y a à faire des promesses imprudentes. Les prêtres ont d’ailleurs leur idée à ce sujet …

— Ah oui ?

— Oui. L’un d’entre eux, qui passe sa vie à observer les astres, a imaginé la prophétie suivante : le pharaon est le soleil, et l’héritier du trône la lune. Lorsque celle-ci suit l’astre solaire, il fait clair le jour et clair la nuit. Mais quand la lune se rapproche trop du soleil, elle disparaît et les nuits deviennent sombres ; et s’il arrive qu’elle se mette devant lui, c’est l’éclipse et le monde est plongé dans le trouble.

— Et ces bêtises arrivent aux oreilles du pharaon ? demanda Ramsès. Pauvre de moi !

— Le pharaon sait tout. Mais il ne s’abaisse pas à écouter les cris des soldats ivres ni les murmures des paysans. Il sait que tout Égyptien donnerait sa vie pour lui, et toi le premier !

— Sans aucun doute ! répondit le prince d’un air soucieux. Mais, continua-t-il, une chose est certaine : les prêtres me calomnient et veulent me faire du tort. Ainsi, disent-ils que je diminue l’autorité royale en faisant libérer des innocents ! Herhor, lui, peut impunément exercer le pouvoir et reléguer mon père aux fonctions religieuses !