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En entendant ces mots, Sarah avait oublié sa douleur et sa peur pour ne penser qu’à une chose : elle avait donc changé au point que le prince le remarquait … Et il était le seul à le faire !

L’égratignure avait disparu avec le temps, mais Sarah en gardait une trace dans son esprit. Elle devint jalouse de Ramsès et se mit à craindre qu’il ne l’abandonnât.

Une autre inquiétude la rongeait : elle se sentait l’esclave du prince. Or, elle acceptait d’être son esclave, mais elle voulait qu’au moins, dans les moments de tendresse, il ne la traitât pas en maître et en propriétaire. Elle était sienne tout entière ; pourquoi donc n’acceptait-il pas, lui, d’être un peu à elle et éprouvait-il le besoin de lui rappeler à chaque instant, d’un geste ou d’un mot, qu’un abîme les séparait ? Quel abîme, d’ailleurs ? Ne dormait-il pas dans ses bras ? N’embrassait-il pas sa bouche et sa poitrine avec égarement ?

Un jour, le prince était arrivé accompagné d’un chien. Durant les quelques heures qu’il passa auprès de Sarah, le chien resta couché à ses pieds, là où habituellement se tenait la jeune femme. Lorsqu’elle voulut prendre sa place, le chien se fit menaçant et grogna … Le prince éclata de rire et plongea la main dans la fourrure du chien, tout comme il caressait ses cheveux à elle ; et le chien le regarda dans les yeux tout comme elle le faisait, mais avec cette différence que le regard de la bête était moins soumis …

Elle se mit à haïr cet animal qui lui ravissait sa part de tendresse.

Puis, un jour, le prince lui parla des danseuses phéniciennes. Sarah, alors, laissa éclater sa rancune : comment, il acceptait les caresses de ces femmes sans pudeur ? C’était ignoble ! Ramsès eut beau l’assurer de son amour, Sarah resta méfiante. Elle prit le parti de se concentrer tout entière sur l’amour qu’elle vivait. Le lendemain lui importait peu et lorsqu’elle chantait pour Ramsès ses mélodies tristes et désespérées, elle exprimait bien son état d’âme et son ultime espérance en Dieu. Il suffisait que Ramsès fût près d’elle pour qu’elle se sentît heureux. Elle n’en demandait pas plus, son bonheur était complet, elle limitait le monde à cet homme et à son amour pour lui. Mais elle voyait bien que le prince avait beau habiter avec elle, se promener en sa compagnie dans le jardin ou sur le Nil, il demeurait tout autant impénétrable et inaccessible que s’il s’était trouvé de l’autre côté du fleuve, dans le domaine royal. Il était avec elle, mais pensait à autre chose, et elle était incapable de deviner à quoi. Il l’embrasait, caressait sa chevelure mais son regard errait sur les pylônes du palais royal ou quelque part au loin, elle ne savait où.

Parfois, il ne répondait même pas à ses questions. Et il la regardait soudain avec surprise comme s’il émergeait d’un lourd sommeil et s’étonnait de la voir à tes côtés …

Chapitre XVI

Voilà ce qu’étaient les rares moments d’intimité de Sarah et de son amant. Le prince, en effet, passait la plupart de son temps dans une barque, loin du domaine. Il péchait et chassait le canard sauvage dans les marais couverts de lotus. Mais, même alors, ses rêveries ambitieuses ne le quittaient pas. Il se livrait à un naïf jeu de présages. Visant un oiseau, il se disait :

« Si je l’atteins, je deviendrai un jour un grand pharaon ! ».

La flèche partait, l’oiseau tombait en battant des ailes. Satisfait, le prince continuait sa route, visait, tirait, confiant son sort au hasard d’une flèche. Lorsque, fatigué, il rentrait le soir chez Sarah, celle-ci guettait son arrivée avec impatience. Son bain était prêt, du vin et des fleurs l’attendaient sur la table. Le prince souriait à la jeune fille, lui caressait le visage, mais il pensait en regardant les beaux yeux noirs :

« Je me demande si elle battrait les paysans égyptiens comme le font ses cousins, apparemment si humbles ? … Ma mère aurait-elle raison ? ».

Une fois, rentrant à l’improviste, il vit un groupe d’enfants qui jouaient gaiement devant la maison. Ils se dispersèrent à son approche avec de grands cris. Ramsès monta sur la terrasse.

— Qui sont ces gosses qui fuient en me voyant ? demanda-t-il à Sarah.

— Ce sont les enfants de tes serviteurs, dit-elle.

— Des Juifs ?

— Ce sont mes frères !

— Dieux ! Quel peuple prolifique ! dit le prince en riant. En voilà encore un, sans doute ? ajouta-t-il en désignant un homme au teint clair qui traversait le jardin.

— C’est Aod, fils de Barath, un de mes parents. Il veut te servir, seigneur. Puis-je l’engager ?

Le prince haussa les épaules.

— Tu es ici chez toi, et tu engages qui tu veux. Mais s’ils se reproduisent tous à cette allure, bientôt ils envahiront Memphis !

— Tu n’aimes donc pas mes frères ? murmura Sarah en regardant Ramsès avec crainte.

Le prince la regarda avec froideur.

— Ils me sont totalement indifférents, dit-il.

Ces petits différends, qui peinaient tant Sarah, ne changeaient en rien l’attitude du prince. Il demeurait tendre et plein d’attentions, bien qu’il portât de plus en plus souvent le regard sur l’autre bord du Nil là où s’élevaient les pylônes du palais.

Un jour, il vit une embarcation portant les insignes royaux approcher de la rive et il put en distinguer les occupants. Il reconnut, sous le baldaquin de pourpre, sa mère entourée des dames de la Cour et, en face d’elle, Herhor. Ils ne semblaient pas regarder dans sa direction, mais il sentit qu’ils le voyaient.

« Ah ! pensa-t-il, mon auguste mère et ce dur Herhor voudraient me tirer d’ici avant le retour du pharaon ! ».

Octobre vint, puis novembre. Le Nil baissait de plus en plus, laissant à nu chaque jour de nouvelles étendues de terre noire. Là où l’eau s’était retirée apparaissaient aussitôt des charrues tirées par des bœufs. Des hommes nus les entouraient ; l’un fouettait les bêtes, un autre jetait le grain.

L’hiver, la meilleure saison en Égypte, commençait.

La température ne dépassait pas quinze degrés, la terre se couvrait de verdure parsemée de fleurs.

Le bateau royal, portant la reine Nikotris et le ministre Herhor, revint plusieurs fois aux abords de la propriété de Sarah. Chaque fois, le prince pouvait observer sa mère qui feignait de parler au ministre sans regarder la rive. Cette indifférence voulue l’irritait.

— Attendez, murmurait rageusement Ramsès, vous verrez que moi non plus, je ne m’ennuie pas !

Et un jour, alors que la barque dorée apparaissait au loin, il fit préparer un bateau à deux places et dit à Sarah qu’ils allaient se promener sur le Nil.

— Jehovah ! s’écria-t-elle, votre mère et le ministre sont là !

— Et ici est l’héritier du trône ! Prends ta harpe et viens !

— Ma harpe ? Mais que ferai-je si la reine veut me parler ?

— Ne sois pas stupide, Sarah. Le ministre et ma mère aiment beaucoup le chant. Peut-être les séduiras-tu avec une de tes mélodies juives. Fais en sorte qu’il y soit question d’amour …

— Je ne connais pas de tels chants ! répondit Sarah.

Mais elle espérait secrètement que sa voix charmerait ces personnages redoutables.

Du bateau royal, on avait aperçu l’héritier du trône qui s’embarquait avec Sarah et se mettait lui-même aux rames.

— Il vient à notre rencontre avec sa Juive ! dit la reine au ministre.

— Le prince a fait preuve de beaucoup de correction à l’égard des soldats et des paysans, et il a montré un grand repentir en s’exilant du palais. Pardonnons-lui cette légère faute de goût … répondit Herhor.

— Ah ! S’il n’était pas, lui aussi, dans cette barque, je la ferais mettre en pièces ! s’écria la reine.