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— Serait-il mort ? demanda le plus jeune d’entre eux.

À ce moment, le Hittite sembla revivre. Ses mains retombèrent et son visage se colora. Il soupira, se frotta les yeux comme un homme qui émerge du sommeil et dit :

— Toi — il s’adressait au plus âgé des prêtres — tu es Méfrès, archiprêtre à Memphis ; toi, tu t’appelles Herhor, archiprêtre à Thèbes et premier homme du royaume après le pharaon … Et toi — il désigna le plus jeune — tu es Pentuer, prêtre d’Amon et conseiller de Herhor.

— Quant à toi, tu es Beroes, grand prêtre et sage de Babylone, que nous attendions depuis longtemps, répondit Méfrès.

— Oui, dit le Hittite.

Il les embrassa tous, et ils s’inclinèrent devant lui.

— Et maintenant, dit Beroes, écoutez ce que j’ai à vous dire.

Ils s’assirent et le Hittite se mit à parler.

— Je vous parle de la part du collège sacré de Babylone. Nous avons constaté que le clergé égyptien était en décadence, cherchait à s’enrichir et se débauchait. Il a perdu son pouvoir sur les esprits et a recours au charlatanisme. Si vous le voulez, nous vous aiderons à rétablir la piété sur les bords du Nil.

— Tout ce que tu dis est vrai, répondit tristement Méfrès. Reste donc parmi nous quelques années, et réapprends-nous la sagesse !

Le Hittite se tourna vers Herhor.

— J’ai de mauvaises nouvelles pour toi. Par votre négligence, vous n’avez pas pu prévoir que de sombres années se préparaient pour l’Égypte. Un cataclysme vous menace de l’intérieur. De plus, si vous avez le malheur, au cours des dix prochaines années, de porter la guerre en Assyrie, vous serez écrasés et votre pays détruit. Rarement, les astres vous ont été aussi défavorables qu’en ce moment.

Les prêtres écoutaient, pleins d’horreur. Herhor était pâle, Méfrès priait.

— Méfiez-vous donc des Assyriens, continuait Beroes. C’est un peuple terrible, qui vit de la guerre. Ils empalent les vaincus, brûlent les villes, crèvent les yeux des prisonniers. Leurs temples sont ornés de peaux humaines …

— Tu as jeté l’effroi parmi nous, dit Méfrès. Mais dis-nous comment conjurer ces malheurs ?

— Je le voudrais, répondit Beroes mais je ne sais pas tout ; ce que j’ai pu prévoir en toute certitude, c’est la nécessité absolue d’une paix de dix ans avec l’Assyrie. Hâtez-vous de conclure une alliance avec elle.

— Et la Phénicie ? demanda Herhor.

— Ne vous laissez pas tenter ! s’écria Beroes. Si aujourd’hui le pharaon portait la main sur elle, dans un mois les soldats assyriens, volant à son secours, se baigneraient dans le Nil !

— Nous ne pouvons renoncer à notre influence sur la Phénicie ! intervint Herhor.

— Alors, vous préparez votre propre perte. Je vous le répète : il vous faut dix années sans guerre. Maintenant, je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, et vous agirez à votre guise. Mais songez aux sombres années qui vous menacent.

— Il me semble, demanda Pentuer, que tu as parlé d’un danger intérieur. Quel est-il ?

— Ne me le demande pas. Tu devrais en savoir davantage que l’étranger que je suis.

— Nous devrons nous résigner, dit pensivement Herhor, à ce traité de paix avec les Assyriens.

— Je ferai part de votre décision au collège sacré de Babylone. Il fera en sorte que le roi d’Assyrie vous envoie une délégation. Croyez-moi, ce traité vous sera favorable.

L’entretien prit fin là-dessus. Tous, ils se tournèrent vers l’autel : le Hittite se remit à prier. Ils crurent entendre une lointaine sonnerie de trompettes venant du sol, et ils tremblèrent de crainte et d’étonnement. Puis, un véritable orage se déchaîna dans la caverne, des éclairs jaillirent de l’autel, et le sol trembla.

Beroes se prosterna, et le calme revint.

* * *

Phut regagna à l’aube l’auberge phénicienne où il retrouva ses bagages qui lui avaient été volés.

Quelques minutes après, l’homme de confiance de l’aubergiste Asarhadon vint trouver son maître et lui dit :

— J’ai passé la nuit sur place, devant le temple de Set. Vers dix heures, trois prêtres, venant de la villa « À l’Étoile Verte », y pénétrèrent. Le brouillard m’a empêché de voir s’ils en sont ressortis et quand.

L’aubergiste se gratta le crâne.

— Mon client doit être un prêtre, puisqu’il va au temple. Comme il porte la barbe, ce doit être un prêtre chaldéen. C’est louche …

Quelques instants plus tard, le second serviteur de l’aubergiste arriva et it rapport à celui-ci.

— J’ai passé toute la nuit devant la villa « À l’Étoile Verte » dit-il. Ton Hittite y a bu et chanté jusqu’au matin.

— Comment ? demanda Asarhadon. Le Hittite a passé la nuit à « l’Étoile Verte » ?

Il confronta ses deux serviteurs, mais il n’apprit rien de nouveau. L’un jurait que Phut avait passé la nuit à boire, l’autre qu’il l’avait vu entrer au temple.

« C’est invraisemblable, murmura le Phénicien. Ce Hittite est présent en deux endroits à la fois ! C’est un conspirateur ou un magicien ! ».

Chapitre XXI

Le voyage du prince commença à la belle saison, fin décembre. Le Nil était fort bas, d’énormes radeaux chargés de grain descendaient de Thèbes vers la mer. Les orangers et les grenadiers se couvraient de fleurs, et dans les champs, les semailles avaient commencé.

Les plus hauts dignitaires du royaume, les prêtres, la garde du pharaon et une foule immense accompagnèrent le prince jusqu’à l’embarcadère. Il monta dans une barque dorée surmontée de tentes somptueuses. Il invita à son bord les archiprêtres Méfrès et Mentésuphis qui l’accompagnaient dans son voyage. Toute une flottille suivait l’embarcation royale : des courtisans, des prêtres, des officiers, qui formaient la suite du prince.

Jusqu’à Memphis, le Nil coule entre deux versants montagneux ; ensuite, le fleuve traverse une grande plaine qui mène à la mer. Lorsque le bateau s’ébranla, le prince voulut s’entretenir avec l’archiprêtre Méfrès ; mais les cris de la foule l’obligèrent à quitter sa tente et à se montrer au peuple. Le tumulte ne faisait qu’augmenter. De plus en plus de curieux se pressaient sur les deux rives ; une multitude de petites barques sillonnaient le fleuve, et des couronnes de fleurs cernaient la barque princière.

« Ils m’acclament autant qu’ils ont acclamé le pharaon ! » pensa Ramsès.

Une grande fierté s’empara de lui à la vue de toute cette flotte qu’il pouvait arrêter d’un geste et de tous ces hommes qui avaient abandonné leur travail et risquaient parfois leur vie pour l’apercevoir. Les acclamations de la foule, surtout, enivraient Ramsès, l’exaltaient, le remplissaient de bonheur.

Le bateau gagna le milieu du fleuve. Le prince alla sur la poupe et regarda dans la direction de Memphis. Là, les rives étaient déjà désertes, le fleuve vide d’embarcations. Il n’y avait plus trace du tumulte tout récent.

— La fête est déjà terminée ? demanda Ramsès à un des ingénieurs qui s’occupaient de la conduite du bateau.

— Oui, les gens sont retournés au travail.

— Déjà ?

— Ils doivent regagner le temps perdu, dit l’ingénieur.

Le prince fronça les sourcils, mais il se calma aussitôt et retourna sous sa tente. Les acclamations de la foule ne le touchaient plus. À la fierté avait succédé le mépris pour ce peuple qui passait si vite de l’exaltation au travail quotidien.

Ramsès s’arrêta un mois durant dans la province d’Aa, où il fut l’hôte du gouverneur. Il passa son temps en réceptions, en présentations de fonctionnaires, en audiences. Il demanda, un jour, à visiter la région, comme son père le pharaon le lui avait ordonné. Le gouverneur accéda à sa demande. Il le fit monter dans une litière et le conduisit, en grande pompe, au temple du dieu Hator, protecteur de la province.