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Le prince monta sur un des pylônes et visita attentivement l’observatoire agronomique des prêtres et aussi l’ingénieux système par lequel, du haut de cette tour, ils correspondaient avec les temples voisins de Memphis et d’Atribis, éloignés pourtant de plusieurs milles. Du haut du pylône, Ramsès put encore admirer les champs de blé, les vignes, les canaux, les marais couverts de lotus et de papyrus. Il fut enchanté par ce qu’il voyait, et rentra au palais content de lui. Mais lorsqu’il se mit à noter ses impressions, suivant le conseil de son père, il s’aperçut que ses connaissances quant à la région d’Aa n’avaient guère augmenté.

Il demanda donc au gouverneur quelques renseignements complémentaires. Celui-ci réunit tous ses fonctionnaires et les fit défiler devant le prince, assis dans la cour du palais. Ramsès vit passer d’innombrables scribes, des ingénieurs, des médecins, des policiers, des gardiens de prison, des juges. Ce spectacle le déprima profondément : il avait l’impression de ne pas pouvoir coordonner les divers éléments du gouvernement et il n’osait s’avouer à lui-même son incapacité. S’il se révélait incapable de gouverner, que lui resterait-il ? … La mort !

Car Ramsès sentait qu’il n’y avait pas de bonheur pour lui ailleurs qu’à la tête de l’État.

Il se reposa quelques jours, puis fit venir, une fois de plus, le gouverneur.

— Je t’avais demandé, dit-il, de m’initier à la gestion de ta province. Tu m’as montré le pays et les fonctionnaires, mais je ne sais rien encore !

Le gouverneur parut ennuyé.

— Que veux-tu que je fasse ? demanda-t-il. Qu’exiges-tu de moi ? Au cours de ton voyage, tu as pu voir le peuple qui habite la région. Du haut du pylône, tu as pu contempler ce pays. Si tu le désires, nous visiterons de près chaque camp, chaque village et chaque rue. Tu as même vu les fonctionnaires. Que puis-je faire de plus ?

— Je sais que tu es un bon serviteur dit le prince. Explique-moi seulement deux choses : premièrement, pourquoi les revenus du pharaon dans ta province diminuent ; deuxièmement, quelles sont tes fonctions exactes ?

Le gouverneur se troubla, aussi le prince s’empressa-t-il d’ajouter :

— Je voudrais connaître tes méthodes, car je suis jeune encore et avide de conseils …

— Mais tu as la sagesse d’un vieillard !

— Il est donc normal, continuait le prince, que je prenne avis auprès d’un homme expérimenté.

— Je te montrerai et je t’expliquerai tout ! Mais allons dans un lieu tranquille !..

Effectivement, une foule bruyante emplissait le palais. Aussi, le gouverneur fit-il amener deux chevaux et ils sortirent de la ville, laissant la Cour à ses amusements.

La journée était belle et fraîche, la terre couverte de verdure et de fleurs.

— Comme il fait bon ! s’exclama Ramsès ; je respire enfin, après le vacarme du palais !

— C’est le lot des grands de ce monde ! dit le gouverneur.

Ils s’arrêtèrent en haut d’une colline. Ils voyaient, étendus à leurs pieds, des villages, des prairies et, au loin, le rougeoiement du désert.

— Regarde, seigneur, dit le gouverneur. Voici notre pays. N’est-ce pas qu’il est beau ? Comme le pharaon ne peut être partout à la fois, c’est nous, ses esclaves, qu’il a chargés d’administrer les diverses régions qui composent l’Égypte. Tu m’as demandé ce que je faisais. Je m’occupe de rassembler les divers biens que produit la terre et de les déposer aux pieds de mon maître. Comme je ne puis veiller à tout moi-même, je me suis adjoint des collaborateurs qui sont les fonctionnaires.

— Tout cela est fort bien, dit le prince, mais je répète ma question : pourquoi les revenus du pharaon ont-ils diminué alors que tu veilles si bien à ses intérêts ?

— Certains dieux nous sont défavorables, dit le gouverneur, et ils nuisent aux crues du Nil ou envoient des maladies sur nos troupeaux et nos paysans. Quand la récolte est mauvaise, les revenus sont moindres. Regarde, là, ces troupeaux ; ils sont moins nombreux que jadis, mais qu’y puis-je ? Le dieu Set, seul, est coupable, et que peuvent les hommes contre la volonté des dieux ?

Le prince baissa la tête.

Au cours de ses études, on lui avait parlé de la lutte que livre le bienveillant Osiris au nuisible Set.

« Lorsque je serai grand, se disait-il autrefois, j’irai trouver ce Set et nous nous mesurerons à la lance !.. ».

Aujourd’hui, regardant l’étendue de sable, royaume du dieu cruel qui diminuait la richesse de l’Égypte, il ne pensait plus à lutter. Car comment combattre le désert ? On ne peut que l’éviter ou y périr.

Chapitre XXII

Le séjour dans la province d’Aa fatigua à ce point l’héritier du trône qu’il demanda qu’on supprimât tontes les fêtes prévues en son honneur et qu’il ordonna qu’au cours de son voyage, la population s’abstint de se masser sur son passage.

Cet ordre choqua quelque peu sa suite, mais il fut respecté et le prince retrouva un peu de tranquillité. Il passait désormais son temps à entraîner ses soldats, ce qui avait toujours été son occupation favorite. Souvent, il se demandait s’il avait bien obéi aux ordres de son père. Il avait parcouru soigneusement la province d’Aa, il avait vu que le désert envahissait sa partie orientale, il avait constaté que les paysans étaient paresseux et sots et qu’ils ne faisaient que l’indispensable ; enfin, il s’était rendu compte que ses seuls fidèles appartenaient à l’aristocratie, soit qu’ils fussent alliés par la parenté au pharaon, soit qu’ils descendissent de soldats avant combattu sous Ramsès le Grand. Tous, ils étaient prêts à servir de tout leur cœur la dynastie.

Ramsès n’était cependant pas parvenu à déceler les raisons véritables de l’insuffisance des revenus royaux ; il n’avait pas même réussi à localiser le mal. Il savait fort bien que la lutte légendaire opposant les dieux Set et Osiris n’expliquait rien. En tant que futur pharaon, il désirait s’assurer de grands revenus, comme l’avaient fait ses prédécesseurs. L’idée qu’il serait moins riche encore que son père en montant sur le trône l’irritait à l’extrême.

C’est pourquoi il aborda un jour l’archiprêtre Méfrès.

— Toi qui sais tout, saint père, demanda-t-il, dis-moi comment il se fait que les revenus de l’État diminuent et indique-moi les moyens d’y remédier ?

— Ta question est pertinente, répondit Méfrès ; j’espère que tu seras un de ces pharaons qui couvrent l’Égypte de temples et de canaux !

Méfrès semblait fort ému.

— Réponds à ma question ! interrompit le prince. D’abord, comment veux-tu construire quoi que ce soit si le trésor est vide ? Or, la misère menace notre dynastie ! Il faut trouver une solution.

— Tu ne la trouveras, seigneur, qu’au pied des autels.

— Tu ne penses qu’à tes temples ! s’impatienta Ramsès. J’ai beau avoir été élevé par les prêtres, cela ne m’a rien appris. Je ne pourrai, grâce à vous, que conseiller à mon père de prier encore davantage …

— Tu blasphèmes ! Si tu connaissais tous nos secrets, tu trouverais la solution de tes problèmes et tu serais convaincu de la nécessité d’un redressement religieux.

« Il retombe en enfance ! » songea le prince, et il arrêta l’entretien.

Méfrès avait toujours été fort pieux, mais ces derniers temps sa piété semblait vraiment tourner à l’obsession.