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À la fin janvier, le prince quitta la région d’Aa pour se rendre dans celle d’Hak. Il remercia chaleureusement le gouverneur pour son accueil, mais il se sentait mécontent de lui-même pour n’avoir pas rempli la mission que lui avait confiée son père.

Il traversa le Nil. Sur la rive droite, le gouverneur d’Hak, Ranuser, l’attendait en compagnie de prêtres et, à son arrivée, tous se prosternèrent. On demanda au prince d’inaugurer la moisson avec une faucille d’or. Le prince s’exécuta. Puis eut lieu une cérémonie religieuse qui l’ennuya mortellement. Enfin, le prince fit son entrée dans la capitale de la province.

Plusieurs jours durant se déroulèrent les habituelles cérémonies d’accueil, les présentations de dignitaires et les banquets. Ramsès y mit fin brutalement en demandant à prendre connaissance de la vie économique du pays. Des centaines d’artisans défilèrent devant lui : fabricants d’armes, d’instruments de musique, de meubles. Chaque métier déposait aux pieds du prince des présents et, à la fin, Ramsès se demanda de nouveau si tout cela servait à quelque chose. Les revenus insuffisants étaient son principal souci.

Il visita donc des moulins, des boulangeries, des pêcheries ; mais la vue de tous ces travailleurs malodorants et sales l’écœura rapidement. Il préféra courir les routes et il retrouva avec nostalgie le paysage où s’étaient déroulées les manœuvres du mois de juin précédent. De cette colline-là, à gauche, il avait maudit les prêtres ; un peu plus bas, à droite, dans le vallon, il avait rencontré Sarah et l’avait aimée … Quels changements depuis lors ! Il ne détestait plus Herhor depuis qu’il avait obtenu son commandement et sa nomarchie ; Sarah ne l’attirait plus comme maîtresse et il ne voyait plus en elle que la mère de son enfant. Il se demandait ce qu’elle était devenue et pourquoi elle le laissait sans nouvelles.

Pendant qu’il restait plongé ainsi dans ses souvenirs, le gouverneur Ranuser, qui l’accompagnait, était persuadé que le prince avait découvert quelque abus et méditait sur le châtiment à appliquer.

« Je me demande ce qu’il a pu découvrir ? s’interrogeait-il. Est-ce la disparition des dix mille sandales ou celle des briques vendues aux Phéniciens, ou encore ce qui se passe dans les forges ? … ».

Et le grand Ranuser tremblait.

Soudain, le prince se tourna vers sa suite et appela Tutmosis qui ne le quittait jamais. Il le prit à part.

— Regarde ! dit-il en indiquant le désert. Tu vois ces montagnes ?

— Nous y étions l’an dernier.

— Je pense à Sarah …

— Enfin ! s’écria Tutmosis. Déjà, je craignais que, devenu nomarque, tu n’aies oublié tous tes amis.

Le prince haussa les épaules.

— Choisis parmi les cadeaux que j’ai reçus quelques beaux tissus et une dizaine de bracelets, et va les porter à Sarah.

— J’apprécie ta générosité, dit Tutmosis.

— Dis-lui, continuait le prince, que je pense toujours à elle. Dis-lui aussi que je tiens à ce qu’elle veille sur sa santé et sur celle de l’enfant à naître. Lorsque la délivrance sera proche, qu’elle aille s’installer chez moi. Je ne veux pas que la mère de mon enfant souffre de la solitude. Va, et reviens porteur de bonnes nouvelles.

Tutmosis partit sur-le-champ. La suite du prince, ignorant le sujet de l’entretien, enviait l’élégant courtisan et Ranuser sentait la peur faire place à l’effroi.

« Pourvu que je ne doive pas attenter à mes jours et mourir dans la fleur de l’âge ! pensait-il. En volant le pharaon, j’ai été imprudent de ne pas penser à l’heure du châtiment !.. ».

Il chancelait et son visage était livide. Mais le prince, tout à ses pensées, ne le remarqua même pas.

Chapitre XXIII

Dans la capitale de la province d’Hak, les fêtes succédaient aux fêtes. Ranuser avait mis en perce mille tonneaux de ses meilleurs vins, et il avait fait venir les plus belles danseuses, les plus fameux musiciens et les plus habiles amuseurs. Ramsès avait ainsi un emploi du temps bien rempli, audiences le matin, chasse l’après-midi, banquet le soir.

Mais au moment où le gouverneur crut que le prince avait oublié les problèmes administratifs, celui-ci le convoqua :

— Ta province, dit-il, est bien l’une des plus riches de l’Égypte ?

— Nous avons connu quelques années difficiles, murmura le gouverneur que ses terreurs reprirent.

— Aussi, continua le prince, je m’étonne de ce que les revenus du pharaon diminuent chaque année. Pourrais-tu m’expliquer ce mystère ?

— Seigneur, dit le gouverneur en baissant la tête, je vois que mes ennemis cherchent à me nuire auprès de toi, et je crains de ne pouvoir te convaincre. Aussi, permets-moi de ne rien dire : que mes scribes et leurs papyrus parlent pour moi !

Un peu étonné, le prince accepta. Il espérait que les rapports des scribes lui apprendraient quelque chose.

Le lendemain, ils arrivèrent, porteurs de rouleaux de papyrus longs de soixante pieds et larges de trois, et ce n’étaient là que les archives d’une seule année. Le premier scribe se mit à lire. Il lut des heures durant, et le prince dut apprendre combien de mesures de grain, de haricots, de blé, on avait portées aux moulins ; combien on en avait volé ; combien de moutons avaient disparu et combien étaient nés. Excédé, Ramsès fit arrêter la lecture.

— Dis-moi, grand scribe, demanda-t-il, comprends-tu quelque chose à tout cela ? Ce papyrus te renseigne-t-il ?

— Je le connais par cœur, seigneur !

Et il se mit à réciter de mémoire.

— Assez ! s’écria le prince rouge de colère.

Les scribes se prosternèrent, reprirent leurs papyrus et partirent en courant.

Le prince rappela Ranuser. Celui-ci vint, calme et apaisé. Il savait fort bien que le prince n’avait rien pu comprendre au rapport.

— Dis-moi, demanda Ramsès, est-ce que toi aussi, tu écoutes tous les jours ces balivernes ?

— Oui, tous les jours.

— Et tu les comprends ?

— Seigneur, comment pourrais-je administrer la province si je ne les comprenais pas ?

Ramsès se troubla. Peut-être, pensa-t-il, était-il réellement peu doué pour le pouvoir ? Cette pensée l’effrayait.

— Assieds-toi, dit-il à Ranuser, assieds-toi et dis-moi comment tu gouvernes ?

Le dignitaire pâlit. Le prince le remarqua et s’empressa d’expliquer :

— Ne crois pas que je doute de ton honnêteté ; seulement, je suis jeune et curieux. L’art de gouverner m’intéresse et je voudrais que tu me l’enseignes. Explique-moi donc comment tu fais …

Ranuser respira.

— Voici ma journée, dit-il : le matin, je prie le dieu Atum, puis je m’entretiens avec le trésorier ; ensuite je fais venir le grand scribe. Puis, je prie à nouveau, je m’occupe de la justice et je veille à l’ordre public. Aussi, dans ma province, règne la tranquillité et les impôts rentrent régulièrement.

— Oui, mais de moins en moins … interrompit le prince.

— Hélas ! soupira Ranuser. Les prêtres disent que les dieux sont irrités contre l’afflux des étrangers en Égypte. Moi, je constate qu’ils ne dédaignent pas l’or phénicien …

Le prince arrêta là l’entretien et se rendit chez l’archiprêtre Mentésuphis. Il lui exposa ses difficultés, son incapacité à comprendre les rapports et son inquiétude.

— L’art de gouverner, dit Mentésuphis après l’avoir écouté, appartient aux prêtres, et seul un homme dévoué aux dieux peut l’acquérir. Or, seigneur, tu te tiens à l’écart des temples …

— Vous ne m’aiderez donc pas si je ne me fais pas prêtre ?