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— Comme erpatrès, tu connais certaines choses ; tu en apprendras d’autres en tant que pharaon. Mais il en est que tu ignoreras toujours si tu n’es pas archiprêtre.

— Mais le pharaon est toujours archiprêtre ! s’exclama le prince.

— Non, pas toujours.

— Vous me cachez donc des secrets d’État ! Comment puis-je, dans ces conditions, obéir aux ordres de mon père ?

— Tes connaissances actuelles, dit calmement Mentésuphis, suffisent pour la mission dont tu es chargé. Mais les autels recèlent des mystères auxquels tu n’as pas accès.

— J’y accéderai par la force !

— Veuillent les dieux éviter à l’Égypte pareil malheur. Sais-tu que la foudre tue à l’instant même celui qui viole un autel ? Si tu en doutes, fais l’expérience avec un esclave !

— Oui, vous le tuerez … ironisa le prince.

— Ce sont les dieux qui tuent le blasphémateur, qu’il soit esclave ou prince, répondit sérieusement Mentésuphis.

— Mais que dois-je faire, alors ? demanda Ramsès.

— Prier, te mortifier …

— J’y penserai, dit le prince. Mais je vois qu’aussi bien toi que Méfrès voulez me soumettre à la religion, tout comme vous l’avez fait pour mon père !

— Nullement. Si tu veux te contenter d’être un pharaon guerrier, il suffira que tu te rendes au temple trois fois par an. Mais si tu veux connaître les secrets de la religion, tu dois honorer chaque jour les dieux qui sont la source de toute sagesse.

Chapitre XXIV

Ramsès savait désormais qu’il ne lui restait plus qu’une alternative : faillir aux ordres du pharaon ou se soumettre à la volonté des prêtres. Cette dernière possibilité l’emplirait de fureur ; aussi, continua-t-il d’éviter les temples et participa-t-il avec plus de fougue que jamais aux festivités données en son honneur.

Tutmosis, son maître ès plaisirs, venait précisément de revenir. Il rapportait de bonnes nouvelles de Sarah : elle était bien portante, avait retrouvé sa beauté — ce qui d’ailleurs importait peu au prince, à présent — et l’horoscope de son enfant était favorable. Le prince était donc ravi, et il présageait pour son fils un brillant avenir.

En février, le prince gagna la province de Kâ. Il mit trois jours pour franchir une distance qui ne demandait habituellement que sept heures de voyage, car longues furent les haltes consacrées aux prières. L’entrée dans la capitale de Kâ, Atribis, se déroula comme à l’accoutumée au milieu des acclamations d’un peuple immense et Ramsès reprit confiance dans l’amour de ses sujets. Un homme vint même se jeter sous son char, que Ramsès dut arrêter brusquement.

Instruit par son expérience, le prince ne demanda plus au gouverneur local quoi que ce fût. Il savait que, de toute façon, il n’y comprendrait rien. Il se disait qu’il s’occuperait de choses sérieuses lorsqu’il aurait été initié aux secrets des prêtres. Il préféra passer ses journées à la chasse, et connut des heures de griserie exquise lors des chasses à courre dans le désert.

Un jour, le gouverneur Safra organisa, en l’honneur du prince, un banquet somptueux. Après s’être baigné et parfumé, Ramsès revêtit une toge brodée de perles et un manteau parsemé d’or, cadeaux de Safra, et il fit son entrée dans la salle du banquet. C’était une grande cour entourée d’une colonnade ; les murs étaient couverts de peintures relatant des batailles et des voyages. Un immense voile tenait lieu de toit et des esclaves l’agitaient sans cesse afin d’assurer aux convives un peu de fraîcheur. Des torchères de bronze, accrochées aux colonnes, maintenaient des flambeaux à la lumière parfumée. Dans le fond de la salle, se tenait une tente aux murs relevés dans laquelle on apercevait le divan et la table de Ramsès.

Les convives accueillirent l’entrée du prince par des cris joyeux. Les harpes bruissèrent et les dames, couvertes de robes de mousseline, brillantes de bijoux, la poitrine nue, firent leur entrée. Quatre des plus belles entourèrent Ramsès, les autres se joignirent à ses courtisans. L’air vibrait du parfum des roses, des violettes et de l’encens. Les esclaves, vêtus de chemises blanches, apportèrent les plats de volaille, de poissons, de fruits ; ils versèrent le vin et jetèrent des fleurs ; puis se produisirent des danseuses, des jongleurs, des gymnastes. Les convives leur lançaient des bagues en or en signe d’admiration.

Ramsès se tenait sur son divan à demi couché, couvert d’une peau de lion. Les quatre femmes s’occupaient de lui présenter les plats et les boissons. Vers la fin du repas, lorsque celle d’entre elles qui lui plaisait le plus apporta une coupe de vin, Ramsès y trempa les lèvres, lui fit boire le reste et, quand elle eut fini, il l’embrassa sur la bouche. Immédiatement, les esclaves éteignirent toutes les torches ; l’obscurité et un silence entrecoupé seulement de rires nerveux des femmes, régnèrent sur la salle. Soudain, on entendit un pas précipité et un cri terrible s’éleva :

— Lâchez-moi ! criait une voix d’homme. Où est l’héritier du trône ?

La salle fut prise de panique. Des femmes pleuraient, des hommes criaient :

— Que se passe-t-il ? Un attentat contre le prince ! À nous la garde !

De la vaisselle tombait avec bruit, des meubles s’effondraient.

— Où est le prince ? hurlait la même voix d’homme.

— Faites de la lumière ! s’éleva la voix calme du prince. Qui me cherche ? Je suis ici !

On apporta les torches, et les assistants virent le prince, assis sur le divan, entouré de ses femmes effrayées ; à ses côtés Tutmosis, la perruque de travers, une cruche de bronze à la main, semblait prêt à vendre chèrement sa vie. Des soldats, le glaive nu, apparurent aux portes. Enfin, on distingua l’auteur de ce tumulte. C’était une sorte de géant, couvert de boue, le dos en sang : il s’était jeté aux pieds de Ramsès et tendait ses mains vers lui dans un geste de supplication. Les soldats voulurent l’éloigner ; le prince les en empêcha.

— Laissez-le ! Que veux-tu ? demanda-t-il au géant.

— Je viens me plaindre à toi, seigneur !

À ce moment, le gouverneur Sofra s’approcha du prince et lui dit à l’oreille :

— C’est un Hyksôs, un criminel, et étranger de surcroît.

— Qui es-tu ? demanda le prince.

— Je m’appelle Bakura, et comme je suis sans travail, le gouverneur m’a engagé pour …

— C’est un ivrogne et un fou ! intervint le gouverneur.

Mais le prince lui jeta un tel regard qu’il se tut, effrayé.

— Otoes t’a engagé pour faire quoi ? demanda le prince.

— Il m’a ordonné, seigneur, à moi et à d’autres paysans, de courir le long du Nil, de nous jeter à l’eau, de t’applaudir à ton passage … Il a promis de nous nourrir en récompense …

— Que dis-tu de cela ? demanda Ramsès au gouverneur.

— C’est un menteur et un ivrogne !

— Que deviez-vous encore faire en mon honneur ? insistait le prince.

— Nous avons encore jeté des couronnes de fleurs dans l’eau et, quand tu es entré dans Atribis, c’est moi qui ai été chargé de me jeter sous ton char.

Le prince se mit à rire.

— Je n’aurais jamais cru que ce banquet se terminerait aussi gaiement ; mais, dis-moi, combien t’a-t-on payé pour te jeter sous mes chevaux ?

— On m’a promis trois utènes, mais on ne m’a rien payé, et ma femme, ma fille et moi-même mourons de faim. Mes compagnons et moi nous nous sommes révoltés et le gouverneur Sofra nous a fait fouetter … C’est pourquoi je viens te demander justice !

— C’est un fou ! s’écria Sofra. Regarde les dégâts qu’il a causés !