Dans une des pièces qu’ils traversèrent, il vit un corps étendu par terre, recouvert d’une bâche.
— Voici le cadavre du premier Phénicien qui a tenté de pénétrer dans le Labyrinthe et est parvenu jusqu’ici, il y a cent ans de cela, dit le guide.
— On l’a tué ? … demanda Ramsès.
— Non, il est mort de faim.
Une demi-heure plus tard, ils virent un autre cadavre.
— Et voilà le corps d’un prêtre nubien qui a essayé de s’introduire ici sous le règne de ton grand-père …
Le pharaon ne demanda même pas ce qui était arrivé à cet homme. Il avait l’impression qu’un poids énorme lui écrasait la poitrine ; ce silence, cette obscurité, ce dédale étaient horrifiants.
« Samentou ne pourra rien faire ici … ou bien il périra, comme ces deux autres dont j’ai vu les cadavres ».
Jamais encore il ne s’était senti aussi seul, aussi menacé ni aussi désarmé qu’au milieu de ces prêtres dont il dépendait entièrement ; une sorte de panique s’empara de lui et, de la main, il toucha son glaive. Il aspirait à la lumière du jour et se disait que la mort, dans une de ces trois mille pièces sombres, devait être quelque chose d’atroce.
Ils marchaient depuis une heure environ lorsqu’ils pénétrèrent dans une salle basse, soutenue par de lourdes colonnes. Les prêtres qui entouraient Ramsès se dispersèrent et l’un d’eux s’approcha d’une colonne et disparut. Une ouverture étroite apparut dans un des murs, et les prêtres allumèrent toutes leurs torches. Ensuite, un à un, ils franchirent l’étroite entrée.
— Voici la salle du trésor, dit le gardien-chef.
Les prêtres mirent le feu aux torches accrochées aux murs et Ramsès aperçut des objets d’une valeur inestimable, rangés le long des murs. Chaque dynastie, chaque pharaon, avaient accumulé là ce qu’ils avaient de plus précieux et de plus rare. Ramsès vit des chars, des barques sculptées, des meubles divers, de l’ivoire et toutes sortes de bois précieux. Il y avait aussi des armes, des vêtements de prix, des pierres rares. La sécheresse de l’air conservait tous ces objets en parfait état depuis des siècles.
Tant de richesses accumulées irritèrent le prince au lieu de le ravir.
— Dis-moi, demanda-t-il au gardien-chef, quel profit retirons-nous de tant de biens amassés dans un souterrain ?
— Ils seront pour nous d’une grande utilité en cas de danger, répondit le prêtre. Avec un seul de ces chars ou de ces glaives, nous pourrions acheter la bienveillance de tous les satrapes assyriens, et peut-être le roi Assar lui-même se laisserait-il tenter !..
— Je pense qu’il préférera s’emparer de tout cela par la force, plutôt que d’attendre notre éventuelle générosité …
— Qu’il essaie ! dit le prêtre avec un sourira entendu.
— J’ai compris … Vous êtes en mesure de détruire tous ces trésors … Mais alors, plus personne n’en jouira jamais !
— Cela ne nous regarde pas, trancha le prêtre ; nous gardons ce qui nous a été confié, et nous faisons ce qu’on nous ordonne de faire.
— Ne vaudrait-il pas mieux utiliser ne fût-ce qu’une partie de ces richesses à renflouer le trésor national, et à tirer l’Égypte de la misère dans laquelle elle se trouve plongée ?
— Cela ne dépend pas de nous …
Ramsès fronça les sourcils puis demanda encore :
— Soit. Tous ces objets précieux peuvent servir à acheter des alliés. Mais si la guerre éclatait, avec quoi achèterions-nous des peuples qui n’apprécient pas l’art ni les objets richement travaillés ?
— Ouvrez la chambre du trésor, dit le prêtre.
De nouveau, les prêtres se dispersèrent et Ramsès pénétra dans la chambre du trésor elle-même. C’était une pièce vaste et haute remplie uniquement de métaux précieux. Il y avait là des tonneaux remplis de poussière d’or ; des barres d’or fondu étaient alignées le long des murs ; des briques d’argent s’amoncelaient jusqu’au plafond. Sur les tables étaient disposés des monceaux de rubis, de topazes, de saphirs et de diamants, de perles grosses comme des noix. Pour un seul de ces bijoux, on eût pu acheter une ville.
— Voilà tout ce dont nous disposons en cas de situation grave ! dit l’archiprêtre.
— Et quelle situation plus grave que l’actuelle attendez-vous donc ? Le peuple est dans la misère, les nobles et la cour endettés, l’armée réduite de moitié … Pouvez-vous imaginer pire situation ?
— Ce fut pire lors de l’invasion des Hyksôs !
— D’ici quelques dizaines d’années, ce seront les Israélites qui nous envahiront, à moins que les Libyens ou les Ethiopiens ne les devancent !.. Et alors, toutes ces pierres précieuses serviront à orner des sandales de Juifs ou de Noirs !
— Sois tranquille, Sainteté ; en cas de besoin, non seulement le trésor, mais le Labyrinthe tout entier disparaîtra, et ses gardiens avec lui …
Ramsès était maintenant convaincu d’avoir affaire à des fanatiques qui ne pensaient qu’à une chose : ne jamais laisser personne s’emparer du trésor qui leur avait été confié. Il s’assit sur un tas de barres d’or et dit :
— Vous gardez donc ces richesses en vue de situations exceptionnelles ?
— Oui, seigneur.
— Dites-moi : à quoi verrez-vous que la situation est exceptionnelle ?
— Pour en décider, il faut réunir une assemblée d’Égyptiens composée du pharaon, de treize prêtres, de treize nobles, de treize officiers, enfin de treize marchands, paysans et ouvriers.
— Et vous remettrez vos trésors à une telle assemblée ?
— Nous donnerons la somme nécessaire, à condition que cette assemblée décide, à l’unanimité, que le pays est en danger, et que …
— Et que quoi ?
— Et que la statue d’Anton, à Thèbes, approuve cette décision.
Ramsès jubila intérieurement. Déjà, il avait un plan !
« Je puis réunir une telle assemblée et la forcer à émettre une décision unanime … Il me semble aussi possible d’inciter la statue d’Amon à approuver cette décision ; il suffira d’entourer les prêtres d’Amon de quelques Asiates … se disait-il.
— Je vous remercie, fidèles gardiens, de m’avoir montré ce trésor unique au monde, qui ne m’empêche cependant pas d’être le plus pauvre des rois !.. Et maintenant, veuillez me faire sortir d’ici par le plus court chemin.
— Nous souhaitons qu’au cours de ton règne tu enrichisses du double le Labyrinthe … Quant à sortir d’ici, il n’existe qu’un seul chemin et nous devons le prendre.
Un des prêtres tendit à Ramsès quelques dattes et une coupe de vin mélangé d’aromates. Le pharaon mangea et but, et se sentit reprendre des forces aussitôt.
— Je donnerais beaucoup pour connaître la clé de ce dédale incroyable ! dit-il en riant.
Le prêtre qui le guidait s’arrêta.
— Je puis te jurer, seigneur, qu’aucun d’entre nous ne connait ce chemin, quoiqu’il l’ait fait des dizaines de fois.
— Mais alors, comment faites-vous ?
— Nous nous guidons d’après certaines indications ; mais si nous perdions une seule d’entre elles, nous mourrions tous de faim ici …
Ils se retrouvèrent dans le vestibule, puis dans la cour du Labyrinthe. Ramsès retrouva avec joie l’air frais et le soleil.
— Jamais, s’écria-t-il, je ne voudrais être gardien de ces trésors ! La peur m’étouffe rien qu’à l’idée de mourir dans cette obscurité !
— Pourtant, ces richesses sont bien attachantes ! répondit l’archiprêtre avec un sourire.
Le pharaon les remercia et ajouta :