— Tu as raison. Le javelot ne fera aucun mal à celui qui sait l’écarter d’un bras agile ; de même, le chemin du Labyrinthe ne troublera pas un savant comme toi !
« Cependant, reprit le pharaon d’un ton ou perçait l’inquiétude, cependant je ne voudrais pas qu’un malheur t’arrive dans ce Labyrinthe …
— Ce que j’y puis trouver de pire, c’est la mort ; mais le pharaon ne la risque-t-il pas lui aussi, tous les jours ? N’as-tu pas failli perdre la vie lors de la bataille contre les Libyens ? D’ailleurs, ne crois pas, seigneur, que je ferai le même chemin que celui que tu as parcouru l’autre jour ; je connais un passage beaucoup plus court, et j’arriverai au but dix fois plus vite !
— Et comment feras-tu pour entrer dans l’enceinte du palais ?
— Je connais des entrées depuis longtemps abandonnées, ou non gardées ; de plus, les soldats vont prier au temple à l’heure du coucher du soleil ; c’est à ce moment que j’entrerai …
— Et si tu te trompes de chemin ?
— J’ai un plan …
— Et s’il est faux ? Décidément, le risque est grand ! soupira Ramsès.
— Et toi, seigneur, si les Phéniciens te refusent leur aide, comment feras-tu sans les richesses du Labyrinthe ? Crois-moi, il faut absolument que nous mettions la main sur ces trésors ! D’ailleurs, je risque moins dans le dédale du Labyrinthe que toi dans ton palais !
— Samentou, j’apprécie beaucoup ta grande sagesse et ton merveilleux courage. Néanmoins, je vais convoquer l’assemblée nécessaire pour obtenir de l’argent du Labyrinthe par la voie légale.
— Cela ne peut pas faire de tort. Mais tu verras, seigneur, que jamais Méfrès et Herhor ne te laisseront t’emparer de leurs richesses !
— Et tu crois, toi, à ton succès ? demanda à nouveau le pharaon, avec une obstination mêlée d’inquiétude.
— Jamais, personne, avant moi, n’a disposé de tant d’atouts pour réussir. Je vois clair dans l’obscurité, je connais le secret de toutes les portes dérobées et de tous les couloirs. Qui pourra m’arrêter ?
— Et pourtant, il t’arrive à toi aussi d’avoir peur … Cet officier qui t’a suivi ta inquiété, n’est-ce pas ?
— Je n’ai peur de rien ni de personne, répondit Samentou en haussant les épaules, mais je suis prudent. J’ai tout prévu, même l’échec.
— D’horribles tortures t’attendent, si tu es pris !
— Oh non ! Des profondeurs du Labyrinthe, j’accéderai droit à la lumière éternelle dont je me serai ouvert les portes moi-même !..
— Et tu ne m’en voudras pas ?
— T’en vouloir ? Si je réussis, j’accéderai à ce dont toute ma vie j’ai rêvé ! J’occuperai dans l’État la place de Herhor ….
— Je te jure que tu l’occuperas si tu réussis, si nous réussissons !
— Dans les hautes montagnes, on côtoie sans cesse les précipices ; plus la vue est étendue et belle, et plus grand est le danger … Car si le pied glisse, la chute est mortelle … Je voudrais te demander, seigneur, de t’occuper de mes enfants, si je venais à périr …
— Je te le promets. Tu peux partir tranquille ; tu mérites le nom d’ami !
Chapitre XVII
Après les funérailles du pharaon, l’Égypte retrouva son rythme de vie normal, et Ramsès XIII se pencha à nouveau sur les problèmes de l’État. Il avait pu constater, au cours de son voyage à travers le pays, combien sa popularité était grande, et devant l’enthousiasme populaire, la noblesse et le clergé avaient dû admettre l’autorité incontestable de leur nouveau maître. Seuls, Herhor et Méfrès ne désarmaient pas.
Le jour même de son retour de Thèbes, le pharaon trouva dans son cabinet son grand trésorier qui arborait un air fort affligé.
— Les temples, dit-il après avoir salué, les temples viennent de nous refuser tout nouveau crédit et ils demandent que tu rembourses les dettes contractées auprès d’eux dans un délai de deux ans …
— Je reconnais là la main de Méfrès, dit le pharaon : et … combien leur devons-nous ?
— Environ cinquante mille talents.
— Et je devrais rembourser cinquante mille talents en deux ans ? Cela me paraît difficile … Et qu’as-tu d’autre à m’apprendre ?
— Les impôts rentrent de moins en moins … dit le trésorier. Depuis trois mois, nous n’avons reçu que le quart des sommes prévues.
— Comment cela se fait-il ?
— J’ai entendu dire, répondit le trésorier, très embarrassé, que des inconnus incitent les paysans à ne plus payer les impôts, disant que ce n’est plus nécessaire, sous ton règne …
— Ah, ah !.. Ces inconnus me font penser à mon ami Herhor … Mon ministre voudrait-il réellement me faire mourir de faim ? Mais toi, trésorier, comment fais-tu pour subvenir à nos besoins courants ?
— Les Phéniciens, nous prêtent de l’argent ; déjà, ils nous ont avancé huit mille talents.
— Et exigent-ils des garanties ?
— Ils prétendent que ce n’est qu’une formalité ; néanmoins, ils s’installent dans les domaines royaux et exploitent les paysans autant qu’ils le peuvent !
Le pharaon ne répondit rien. Il remercia le trésorier et convoqua pour le lendemain l’archiprêtre Sem, le Phénicien Hiram, Pentuer et Tutmosis.
Lorsqu’ils furent tous réunis, il leur annonça :
— Vous savez sans doute que les temples viennent d’exiger le remboursement de tout l’argent qu’ils avaient prêté à mon divin père. Or, une dette est chose sacrée, surtout une dette vis-à-vis des dieux … Malheureusement, mon trésor est vide et les impôts rentrent irrégulièrement ; c’est pourquoi, j’estime l’État menacé, et je me vois forcé de demander de l’argent au Labyrinthe …
Les deux prêtres remuèrent sur leur siège.
— Je sais, poursuivait Ramsès XIII, que d’après nos saintes lois, mon décret ne suffit pas à ouvrir les portes du Labyrinthe. Les prêtres chargés de sa garde m’ont dit qu’il fallait rassembler une délégation composée de treize représentants de chaque classe sociale du pays, et qui aurait à approuver ma décision. Je vous ai appelée aujourd’hui afin que vous m’aidiez à réunir cette assemblée. Je compte sur toi, Sem, pour choisir treize prêtres, sur toi, Pentuer, pour me trouver des paysans et des artisans ; Tutmosis s’occupera des nobles et des officiers ; quant à Hiram, il me trouvera treize marchands … Je tiens à ce que cette assemblée se réunisse au plus vite, ici, dans mon palais de Memphis, car j’ai un urgent besoin d’argent !
— Permets-moi de te faire remarquer, intervint l’archiprêtre Sem que le ministre Herhor et l’archiprêtre Méfrès devront également assister à cette réunion car ils ont voix au chapitre eux aussi, et peuvent s’opposer à tout prélèvement d’argent du labyrinthe.
— Mais oui, certainement, dit vivement Ramsès ; ils avanceront leurs arguments et je présenterai les miens ; l’assemblée jugera.
— Quelques-uns des saphirs cachés au labyrinthe suffiraient à payer toutes tes dettes phéniciennes ! intervint Hiram. Je vais de ce pas chercher les treize marchands dont tu as besoin …
Il salua et sortit.
Après son départ, Sem prit la parole :
— Je ne sais si la présence ici de cet étranger était souhaitable, dit-il.
— Je ne le sais pas non plus, répondit Ramsès ; mais Hiram jouit auprès des marchands d’une grande autorité et de plus, c’est lui qui me fournit actuellement tout l’argent dont je dispose. Je veux qu’il sache que je suis en mesure de le rembourser !