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Il se fit un silence. Pentuer en profita pour dire :

— si tu permets, je vais partir à l’instant même, pour me mettre en quête des paysans et des artisans nécessaires. Ils voteront tous pour toi, mais je tiens à choisir les plus intelligents d’entre eux.

Il sortit à son tour.

— Et toi, Tutmosis, qu’en penses-tu ? demanda le pharaon.

— Je suis tellement sûr, seigneur, des sentiments de la noblesse et de l’armée, que je trouve même inutile d’en parler. Aussi, oserai-je te présenter une requête toute personnelle …

— Tu as besoin d’argent ?

— Non. Je voudrais me marier.

— Toi, te marier ? s’exclama joyeusement Ramsès. Et quelle est l’heureuse élue ?

— C’est la belle Hébron, la fille du gouverneur de Thèbes … répondit Tutmosis en riant. Je voudrais te demander de présenter ma demande à son père …

Le pharaon lui frappa cordialement l’épaule.

— Je m’en occuperai dès demain, dit-il ; d’ici huit jours, tu auras épousé ta Hébron bien-aimée ! Maintenant, va donc la rejoindre au plus vite !

Il resta seul avec Sem. Après un instant de silence, il lui demanda :

— Tu sembles soucieux, saint Père ? Ne crois-tu pas possible de trouver treize prêtres disposés à m’obéir ?

— Je suis convaincu que tous les prêtres feront le nécessaire pour redresser la situation du pays, répondit le prêtre. Cependant, n’oublie pas que l’avis décisif sera émis par Amon !

— La statue d’Amon, à Thèbes ?

— Oui.

Le pharaon eut un geste de mépris.

— Amon, c’est Herhor et Méfrès. dit-il. Je sais qu’ils ne seront pas d’accord pour m’aider, mais je refuse de perdre l’Égypte à cause de l’obstination de deux ambitieux !

— Tu te trompes, répondit Sem avec sévérité ; il est vrai que bien souvent les statues des dieux ne font que ce que les prêtres leur font faire ; mais pas toujours ! Il se passe dans nos temples des choses mystérieuses et surnaturelles, seigneur ! Il arrive que les statues ne fassent et ne disent que ce qu’elles veulent !..

— Dans ce cas, je suis tout à fait rassuré, s’écria Ramsès. Les dieux connaissent les difficultés de l’Égypte et ils peuvent lire dans mon cœur. Ils savent aussi que je veux le bien de mon peuple, et aucun dieu juste et bon ne voudrait m’empêcher de faire le bien !

— Puisses-tu avoir raison, murmura l’archiprêtre.

Et il sortit, courbé, d’un pas lourd, comme un homme sur qui pèsent l’angoisse et l’inquiétude.

Chapitre XVIII

Avant de partir pour la Basse-Égypte, Pentuer alla faire ses adieux au ministre Herhor. Celui-ci le reçut avec cordialité.

— Tu te fais rare, mon cher Pentuer ! lui dit-il. Depuis que tu es devenu conseiller du pharaon, tu ne te montres plus guère ! À vrai dire, tu n’es pas le seul … ajouta-t-il avec amertume Mais je n’oublie pas les services que tu m’as rendus dans le passé, même si aujourd’hui tu n’oses plus me parler …

— Je ne suis pas devenu le conseiller du pharaon, interrompit Pentuer, et je ne t’évite nullement. Tu as été mon bienfaiteur, et je m’en souviens.

— Oui, je sais que tu restes loyal vis-à-vis de nous, répondit Herhor ; cependant, qui sait, peut-être aurais-tu dû accepter de devenir le conseiller de Ramsès. Tu lui aurais fait éviter la compagnie de traîtres qui le mèneront à sa perte !

Pentuer changea de sujet de conversation et expliqua à Herhor les raisons de son voyage en Basse-Égypte.

— Oui, que Ramsès XIII convoque cette assemblée, dit le ministre … C’est son droit. Mais il est regrettable que tu te mêles à cette machination ! Décidément, tu as bien changé ; te rappelles-tu, lors des dernières manœuvres, tu te plaignais des dépenses excessives de la Cour ? Et aujourd’hui tu sers le pharaon le plus dépensier et le plus débauché que l’Égypte ait connu !

— Ramsès XIII veut améliorer le sort du peuple, intervint Pentuer ; et moi, fils de paysans, je serais un lâche si je ne l’y aidais pas !

— Et as-tu envisagé tous les préjudices que cela entraînera pour nous, clergé ?

Pentuer s’étonna.

— Mais vous avez été les premiers à vous pencher sur le sort des paysans ! dit-il.

— Oui, mais Ramsès, lui, ne fera rien pour le peuple !

— Il ne fera rien si vous lui refusez l’argent …

— Même si nous lui donnions une pyramide d’or et d’argent, il ne ferait rien, car c’est un enfant sans suite dans les idées !

— Il a pourtant de grandes qualités !

— Mais il ne connaît rien, ne sait rien ! s’écria Herhor. Il n’a été à l’école que pendant quelques mois, et il n’a eu le temps de rien apprendre !

— Pourtant, il gouverne …

— Mais quel gouvernement, Pentuer !.. Il a ouvert des écoles militaires, il a augmenté le nombre de soldats, il a armé tout le pays ! Crois-tu qu’il ait pensé aux conséquences de ses actes ? Il te semble qu’il gouverne ? Erreur ! C’est moi qui continue à gouverner, et moi seul, quoiqu’il m’ait chassé ! C’est moi qui fais que les impôts ne rentrent plus, qui empêche que les paysans ne se révoltent chaque jour ! À deux reprises déjà, j’ai empêché l’Assyrie, irritée par notre mobilisation, de nous déclarer la guerre ! Ramsès gouverne, dis-tu. Il crée de l’agitation autour de lui, c’est tout ! On la bien vu, d’ailleurs, du temps qu’il était nomarque de Basse-Égypte : qu’a-t-il fait, sinon boire, s’amuser, se débaucher avec des filles ; s’est-il un tant soit peu intéressé à la gestion de la province ? Non ! De plus, le voilà qui s’entoure de Phéniciens, maintenant !

— Et sa victoire sur les Libyens ?

— Je lui reconnais de l’énergie et certaine qualités militaires. C’est d’ailleurs la seule chose qu’il sache faire. Mais, avoue toi-même : aurait-il vaincu les Libyens si les prêtres ne l’avaient pas aidé ? C’est nous qui l’avons averti de tous les mouvements de l’ennemi !..

— Mais à quoi mènera cette haine qui t’oppose à lui ? murmura Pentuer.

— Il n’est pas question de haine, coupa Herhor. Puis-je haïr un enfant ? J’estime simplement que sa politique est dangereuse pour l’Égypte et, si Ramsès avait eu un frère, depuis longtemps déjà il ne serait plus pharaon !..

— Et c’est toi qui serais devenu son successeur ! éclata Pentuer.

Herhor ne parut nullement offusqué.

— Tu sembles avoir perdu tes qualités d’intelligence de jadis, répondit-il avec calme. Il est évident que si le trône d’Égypte devenait vacant, c’est moi qui y monterais, en tant qu’archiprêtre d’Amon à Thèbes et président du Grand Conseil … Mais je n’en ai nulle envie ; mon pouvoir n’est-il pas plus grand que celui du pharaon ? Quoique en disgrâce, ne suis-je pas le maître du pays ? Tous ces prêtres, ces trésoriers, ces juges, ces généraux qui me fuient comme un pestiféré, oseraient-ils me désobéir ? Lorsque j’appose mon sceau sur un papyrus, y a-t-il un seul homme, en Égypte, qui ne remplirait pas mes ordres ?

Pentuer baissa la tête. Si, en dépit de la mort de Ramsès XII, le Grand Conseil secret des prêtres fonctionnait toujours, le jeune pharaon devait l’abattre ou bien être abattu par lui. Il avait à ses côtés l’armée, les nobles, un grand nombre de prêtres, mais le Conseil, lui, pouvait se targuer d’une organisation puissante et d’une sagesse séculaire. L’issue d’un tel conflit apparaissait douteuse.

— Vous avez donc décidé de perdre le jeune pharaon ? demanda Pentuer d’une voix étouffée.

— Non, nous voulons simplement sauver le pays.