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Lorsque les modalités financières furent réglées, Tutmosis vint remercier Antèphe d’avoir donné sa fille à un misérable comme lui, et le féliciter de l’avoir si bien élevée. La cérémonie du mariage fut fixée à quelques jours de là, car Tutmosis, en raison de ses devoirs militaires, ne pouvait attendre longtemps.

— Je te souhaite beaucoup de bonheur, mon fils, lui dit Antèphe avec un sourire, mais tu devras t’armer de patience, car ma fille bien-aimée, à vingt ans, est la femme la plus élégante de Thèbes, et elle a l’habitude de voir respecter tous ses caprices … Même mon pouvoir s’arrête au seuil de ses jardins, et je crains que ton titre de général ne fasse pas grand effet sur elle !..

Puis, il convia tous ses invités à un grand banquet au cours duquel la fiancée devait paraître. Afin de leur faire honneur, Ramsès invita Hébron et son favori à sa table. La jeune femme était réellement très belle et ne semblait ni naïve ni inexpérimentée, ce qui, en Égypte, n’étonnait personne. Le pharaon remarqua rapidement que la fiancée n’accordait pas même un coup d’oeil à son futur époux, mais que, par contre, elle lui lançait à lui, des regards sans équivoque. Cela non plus ne pouvait étonner personne en Égypte.

Lorsque la musique retentit et que les danseuses apparurent, Ramsès se pencha vers Hébron et lui dit :

— Plus je te regarde, Hébron, et plus je m’étonne … ? Si un étranger te voyait, il te prendrait pour une déesse ou une prêtresse, mais certes pas pour une radieuse fiancée !..

— Tu te trompes, seigneur, répondit-elle ; je suis fort heureuse, en ce moment, mais pas à cause de mes fiançailles …

— Comment est-il possible ? interrompit Ramsès.

— Le mariage ne me tente guère, et je préférerais certes devenir prêtresse d’Iris plutôt que me marier …

— Mais alors, pourquoi te maries-tu ?

— Je le fais pour mon père, qui tiens absolument à avoir des héritiers, et aussi pour toi …

— Tutmosis ne te plaît donc pas ?

— Je n’ai pas dit cela. Tutmosis est beau, il est élégant, il a une belle voix, il est général de ta garde. Ce sont là de grandes qualités … Cependant, jamais je ne serais devenue sa femme si mon père et si toi-même ne me l’aviez demandé … D’ailleurs, je ne serai jamais vraiment sa femme ; il devra se contenter de ma fortune et des titres qu’il héritera de mon père … Le reste, il ira le chercher chez les danseuses !

— Et Tutmosis est au courant de son infortune ?

Hébron sourit.

— Il sait très bien que je n’appartiendrai jamais à un homme que je n’aime pas ! Or, je ne pourrai aimer que quelqu’un qui me sera supérieur !

— Penses-tu réellement ce que tu dis ? s’étonna Ramsès.

— J’ai déjà vingt ans, seigneur, et depuis six ans je suis entourée de prétendants et d’adorateurs ; j’ai pu apprécier leur réelle valeur !.. Je t’assure que je préfère la conversation des hommes de science aux compliments des jeunes gens !

— Dans ce cas, je n’ai que faire à tes côtés, sourit Ramsès. Je ne suis pas élégant, et quant à la science … je n’en possède guère !

— Oh si, seigneur, tu as plus, tu as beaucoup plus !.. répondit-elle en rougissant Tu es un général vainqueur, tu es fort comme le lion, rapide comme l’aigle … Des millions d’hommes se prosternent devant toi, des empires entiers tremblent en entendant prononcer ton nom !.. Les dieux même pourraient t’envier ta puissance !

Ramsès se troubla.

— Hébron, Hébron, si tu savais quels sentiments tu éveilles en moi ! murmura-t-il.

— C’est pourquoi, poursuivit-elle, j’ai accepté d’épouser Tutmosis. Ainsi, je vivrai non loin de toi, et je pourrai te voir plus souvent …

Sur ces mots, elle se leva et sortit.

Antèphe avait observé la conversation, et s’approcha de Ramsès, inquiet.

— Seigneur, dit-il, je crains que ma fille n’ait commis quelque impair … Pardonne-lui, car c’est une enfant si irréfléchie encore …

— Calme-toi, répondit le pharaon ; ta fille, bien au contraire, est pleine de sagesse et de maturité. Elle est sortie parce qu’elle s’est aperçue que ton vin égarait trop les convives.

En effet, le banquet tournait peu à peu à l’orgie.

— Je t’avouerai, tout à fait entre nous, souffla Antèphe, que le pauvre Tutmosis devra surveiller étroitement son épouse, et que sa vie avec Hébron ne sera pas des plus faciles …

Le banquet dura jusqu’au matin. Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Antèphe fit ramener chez eux, dans des chars, ses invités ivres morts.

Quelques jours plus tard eut lieu le mariage lui-même.

Ramsès y assistait, de même que les archiprêtres Méfrès et Herhor. Après la cérémonie solennelle au temple, les jeunes époux burent ensemble dans une même coupe, suivant la coutume, pour symboliser leur union. Puis, suivi de leur suite, et acclamés sur leur passage par la foule et les soldats, ils se rendirent au palais royal où devait se dérouler le repas de noces.

Jusqu’alors, Tutmosis avait habité dam les appartements du pharaon. À l’occasion de son mariage, il avait reçu de son maître un somptueux petit palais situé dans la partie la plus sauvage et la plus éloignée du parc et entourée de baobabs, de figuiers et de tamariniers. Les jeunes époux pouvaient passer la, à l’abri du monde, leurs premières journées d’intimité.

Le banquet se prolongea tard dans la soirée. Vers minuit, Herhor et Méfrès se levèrent de table et se rendirent au temple d’Amon. Là, dans une salle souterraine, ils rejoignirent Mentésuphis, le grand juge de Thèbes et plusieurs dignitaires du royaume.

Ils s’assirent sur des bancs de pierre, et Herhor prit la parole :

— Notre pharaon, Ramsès XIII, est un homme dangereux, dit-il. L’Assyrie, à deux reprises déjà, a réclamé la signature du traité promis …

— De plus, ajouta Méfrès, cet impie pense vraiment porter la main sur les trésors du Labyrinthe !..

— Or, continua Herhor, l’État n’est nullement menacé … Seul le pharaon l’est ! Il n’est donc pas question de toucher au Labyrinthe ! D’ailleurs, une fois que nous aurons commencé à y puiser, petit à petit toutes les richesses qu’il recèle prendront le chemin du palais royal, et le trésor séculaire de l’Égypte cessera d’exister ! Et pourquoi aiderions-nous un homme qui méprise les prêtres, raille la religion et incite le peuple à la révolte ?

— En ce qui concerne le peuple, interrompit Méfrès, il sera facile de changer son état d’esprit … Il suffira de répandre le bruit que le nouveau pharaon, qui promet tant de choses aux paysans, est fou … D’ailleurs, son grand frère passe ses journées perché au haut des arbres ; vous verrez que Ramsès commencera bientôt à faire de même !.. Voulez-vous que je vous donne les preuves de sa folie ? Écoutez-moi …

Tous se rapprochèrent de lui.

— Dites-moi, commença Méfrès d’une voix haineuse et animée, dites-moi, un homme sain d’esprit descend-il devant des milliers de personnes dans l’arène pour combattre un taureau ? Passe-t-il ses nuits dans un temple païen ? Un homme normal fait-il de la première de ses femmes une esclave, entraînant ainsi sa mort et celle de son enfant ?