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Une lueur d’espoir apparut sur le visage de la reine ; mais elle s’évanouit aussitôt.

— N’aurais-je pas reconnu mon fils ? demanda-t-elle.

— Ce Grec lui ressemble de façon incroyable ! répéta Tutmosis. D’ailleurs, je reconnais bien là les méthodes des prêtres ! Ah, les lâches !.. La mort sera pour eux un châtiment bien trop doux !

— Le pharaon a-t-il dormi cette nuit chez lui ? demanda la reine.

Tutmosis se troubla et baissa les yeux.

— Il n’a pas dormi chez lui, n’est-ce pas ? insistait Nikotris.

— Mais si … répondit Tutmosis d’une voix hésitante.

— Je vois bien que tu mens ! s’écria la reine. Et ce manteau, ose jurer que ce n’est pas celui de mon fils !

Elle se leva, tira d’un coffre un manteau brun et le tendit à Tutmosis.

— Mon esclave l’a trouvé accroché aux branches de cet arbre ! dit-elle.

Tutmosis se rappela alors que Ramsès était rentré peu après minuit, sans manteau, disant qu’il l’avait perdu quelque part dans le jardin. Il hésita encore un instant, se refusant à admettre l’affreuse vérité.

— Non, répéta-t-il enfin avec énergie. Ce n’était pas Ramsès, mais Lykon, et les prêtres seuls sont les auteurs de cette sinistre farce !

— Et si, vraiment, c’était mon fils ?

Tutmosis sentait sa confiance le quitter. Certes, ses soupçons quant à Lykon étaient plausibles, mais il y avait de bonnes raisons de croire que l’homme juché au haut de l’arbre était Ramsès : il n’avait pas dormi au palais, cette nuit-là, et puis ce manteau perdu … D’ailleurs, son frère n’était-il pas fou ? Qui sait si la malédiction ne s’étendait pas aux autres membres de la famille ?

Le favori se sentit triste et découragé. Mais plus il doutait et plus la reine semblait retrouver espoir.

— Je te remercie de m’avoir fait penser à ce Lykon, dit-elle. Oui, je me souviens de lui … C’est à cause de lui que Méfrès accusait Ramsès d’avoir tué son fils, et aujourd’hui il se sert de ce criminel pour discréditer le pharaon ! En tout cas, n’en parle à personne, à Ramsès surtout ! S’il apprenait pareille horreur, il ne pardonnerait jamais aux prêtres de l’avoir ridiculisé ainsi ! Il les ferait juger, et ou bien Méfrès et Herhor se verraient condamnés à mort, ou bien ils seraient acquittés. Dans les deux cas, que de malheurs en perspective !

— Je ferai moi-même une enquête, dit Tutmosis d’une voix décidée,

— Trouve Lykon et tue-le sans pitié, comme une vipère ! s’écria encore la reine.

À partir de ce jour, Tutmosis n’osa plus regarder Ramsès dans les yeux et se mit même à l’éviter. Comme le pharaon lui aussi paraissait moins cordial, une sorte de gêne se dressa entre eux. Cependant, un soir, il appela son favori.

— J’ai à parler à Hiram de choses importantes, dit-il. Aussi, je dois sortir. Veille donc à l’entrée de ma chambre, comme tu l’as fait précédemment !

Lorsque Ramsès fut sorti, l’anxiété s’empara de Tutmosis.

« Les prêtres ne l’auraient-ils pas empoisonné avec quelque breuvage qui donne la folie ? Peut-être, se sentant malade et redoutant la crise, Ramsès fuit-il ses appartements. On verra bien !

Il vit, en effet. Ramsès ne rentra qu’après minuit. Il était couvert, cette fois, d’un manteau, mais ce n’était pas le sien ? Il portait sur les épaules une cape militaire …

Tutmosis ne put s’endormir, cette nuit-là, et, toute la matinée, attendit que la reine l’appelât. Mais Nikotris ne le demanda plus. Seulement, après la revue des troupes, à midi, Eunane s’approcha de lui et demanda à lui parler. Lorsqu’ils furent seuls, l’officier se jeta aux pieds de Tutmosis et le supplia de ne répéter à personne ce qu’il allait lui dire.

— Qu’est-il arrivé ? demanda le favori, pressentant un nouveau malheur.

— Seigneur, commença Eunane, hier, vers minuit, mes soldats ont surpris dans le jardin un homme qui courait, nu, et qui hurlait affreusement … Ils me l’ont amené, et …

Il se jeta de nouveau aux pieds de Tutmosis.

— Et quoi ? cria presque celui-ci.

— Je n’ose le dire … Cet homme nu …

— Qui était-ce ?

— Je ne puis plus rien dire … gémit Eunane.

— Vas-tu parler ? ordonna Tutmosis.

— Eh bien … j’ai recouvert de mon manteau la nudité sacrée … J’ai voulu le ramener au palais, mais il m’a ordonné de le laisser et de me taire … J’ai donc ordonné à mes hommes de ne rien dire de ce qu’ils avaient vu, sous peine de mort !

Tutmosis avait retrouvé son calme.

— Je ne comprends vraiment pas ce que tu me racontes, dit-il avec froideur. Sache, cependant, qu’il m’est déjà arrivé, à moi aussi, de courir nu après avoir trop bu … Un officier intelligent ne devrait s’étonner de rien !

— J’ai compris, murmura Eunane en le regardant droit dans les yeux. Je ne parlerai de tout cela à personne, et dès cette nuit, je me promènerai nu dans les jardins pour montrer à mes hommes que leurs supérieurs sont libres de faire ce qu’ils veulent !..

Le bruit de ces événements étranges se répandit cependant dans la ville avec une incroyable rapidité. Les habitants de Thèbes murmuraient que le pharaon était affligé de la même maladie que son frère aîné. La crainte et le respect qu’inspirait la personne du maître étaient si grands qu’on n’osait répandre ces rumeurs à voix haute, mais tous, sauf Ramsès, étaient au courant. La rapidité avec laquelle ces bruits s’étaient propagés prouvait indubitablement que les prêtres s’en étaient mêlés, car eux seuls étaient capables d’acheminer aussi rapidement les nouvelles d’un bout à l’autre de l’Égypte. Tutmosis remarquait qu’au palais tous ne pensaient qu’à cela ; les soldats se taisaient à son approche, les serviteurs murmuraient entre eux.

Irrité et inquiet, Tutmosis décida de consulter le gouverneur de Thèbes, Antèphe. Celui-ci paraissait, comme tout le monde, avoir eu connaissance des bruits qui circulaient de la ville.

— La seule chose que tu puisses faire, dit-il en haussant les épaules, c’est t’emparer de ce Lykon et essayer de prouver que c’est Méfrès et Herhor qui se sont servis de lui pour faire croire à la folie du pharaon : des preuves, entends-tu ? Il faut des preuves. Sans elles, aucun tribunal ne condamnera les archiprêtres … D’ailleurs, es-tu tellement sûr qu’il y ait eu supercherie ?

Tutmosis hésita. Puis une idée lui vint :

— Où est Hiram, en ce moment ? demanda-t-il.

— Il est parti pour Memphis peu après ton mariage, et il séjourne actuellement à Hiten.

L’embarras du favori ne fit que croître.

« La nuit où Eunane a trouvé dans les jardins un homme nu, le pharaon m’avait dit qu’il allait retrouver Hiram. Or, Hiram n’est pas à Thèbes ? Où donc était allé Ramsès ce soir-là ?

Tutmosis ne savait plus que penser. De plus en plus, il doutait de la présence de Lykon dans les parages du palais. Et si lui, ami et favori de Ramsès, doutait, quels sentiments ne devaient pas agiter le peuple ? Ses partisans les plus dévoués n’allaient-ils pas faiblir, en apprenant que leur maître était un dément ? Oui, les prêtres venaient de remporter leur premier succès !

Dans sa colère et son incertitude, Tutmosis imagina un moyen audacieux. Rencontrant un jour l’archiprêtre Sem, il lui demanda :

— As-tu entendu parler, saint Père, des bruits qui courent au sujet de notre maître ?