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— Le pharaon est si jeune qu’il peut prêter à toutes sortes de bruits malveillants, répondit prudemment Sem, en regardant Tutmosis d’un air bizarre. Je ne m’occupe, moi, que du culte des dieux …

— Je sais que tu es tout dévoué à notre maître, poursuivit Tutmosis ; c’est pourquoi, je voudrais te faire une confidence … Je viens d’apprendre, en toute certitude, que Méfrès garde emprisonné un certain Lykon. Cet homme est le meurtrier du fils du pharaon ; de plus, il ressemble à notre maître. Il serait bon, si Méfrès ne veut attirer sur le clergé un lourd discrédit, qu’il remît au plus vite ce criminel aux tribunaux. Si nous ne retrouvons pas Lykon, je crains fort que Méfrès ne perde son titre d’archiprêtre et sa tête par la même occasion … On ne peut, dans notre pays, protéger impunément un criminel !

Sem se troubla très fort, car il était au courant de l’affaire, et craignait qu’on ne l’accusât de complicité. Aussi, répondit-il immédiatement :

— J’avertirai Méfrès des soupçons qui pèsent sur lui. Mais sais-tu ce qu’il en coûte d’accuser à la légère quelqu’un d’un crime ?

— Je le sais, et je prends volontiers le risque. Méfrès est le seul à devoir éprouver, en ce moment, quelque inquiétude …

Cette conversation porta immédiatement ses fruits : plus jamais le sosie du pharaon ne se montra à quiconque.

Cependant, les rumeurs persistèrent. Ramsès n’en sut jamais rien, car Tutmosis n’osa pas lui en parler.

Chapitre XX

Vers la mi-septembre, la reine Nikotris, le pharaon et la Cour revinrent de Thèbes à Memphis. Au cours du voyage, Ramsès fit remarquer à Tutmosis, à plusieurs reprises :

— Il me semble que le peuple m’acclame moins fort, sur mon passage, quoiqu’il se masse toujours aussi nombreux sur les rives.

— Le peuple est fatigué par les terribles chaleurs, répondit Tutmosis ; il n’y a rien d’autre, rassure-toi …

— Oui, ce doit être à cause de cela, répondit gaiement le pharaon.

Mais Tutmosis ne croyait pas ses propres paroles ; il sentait, et toute la suite royale avec lui, que l’amour du peuple pour son pharaon avait étrangement décru depuis quelques semaines. Était-ce à la suite des rumeurs qui couraient au sujet de la folie de Ramsès — ou d’autres médisances — il ne savait pas. Ce dont il était sûr, c’est que c’était là le résultat de manœuvres de la part des prêtres.

Immédiatement après son retour à Memphis, le pharaon ordonna que se réunît dans son palais l’assemblée qui devait lui ouvrir les portes du Labyrinthe. Il donna également ordre à sa police de susciter une certaine agitation dans le peuple contre le clergé. Les paysans furent invités à réclamer le repos hebdomadaire.

Rapidement, toute la Basse-Égypte fut en proie à une véritable effervescence. Le peuple réclamait du repos, il injuriait les prêtres ; le nombre des délits augmenta, et les coupables refusaient de paraître devant les tribunaux. Les temples reçurent moins d’offrandes, et des statues de divinités furent renversées. La peur s’empara des prêtres, des hauts dignitaires et des nobles, car c’est en vain qu’ils s’efforçaient d’apaiser cette agitation croissante. Des aristocrates affolés vinrent supplier le pharaon de remédier à cette situation.

— La terre s’entrouvre sous nos pas ! gémissaient-ils. Notre vie est menacée, car les paysans se révoltent ! Si tu ne nous viens pas en aide, nos jours sont comptés !

— Mon trésor est vide, mon armée trop faible, ma police n’est pas payée, répondit Ramsès. Si vous voulez que je vous aide, fournissez-moi de l’argent … Pour ma part, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir !

Prétextant la gravité de la situation, il fit venir à Memphis divers régiments stationnés en province, et la capitale ressembla bientôt à une ville assiégée. Le pharaon disposait ainsi, à portée de la main, d’importantes forces militaires.

Le 10 septembre, le palais royal de Memphis connut dès le matin une intense animation. Des milliers de curieux s’étaient rassemblés devant le grand porche pour assister à l’entrée des délégués de tout le royaume dont la décision allait permettre au pharaon de puiser dans les trésors du Labyrinthe.

Bientôt, les notables parurent : d’abord les paysans, vêtus seulement d’un pagne, ensuite les artisans, puis les marchands, dont certains portaient perruque ; suivaient les officiers, dans leurs tuniques noires et jaunes ou bleues et rouges ; les treize aristocrates, en perruque et toge blanche, marchaient derrière eux. Les prêtres, le crâne rasé, la peau de panthère sur les épaules, fermaient le cortège. Tous entrèrent dans la grande salle du palais ou sept bancs, rangés l’un derrière l’autre, les attendaient. Les prêtres s’assirent sur les premiers, les paysans sur les derniers.

À ce moment parut Ramsès XIII, dans sa litière dorée ; les assistants se prosternèrent, et le pharaon s’assit sur le trône. Les archiprêtres Méfrès et Herhor, ainsi que le grand gardien du Labyrinthe, entrèrent à leur tour. Les généraux entourèrent leur pharaon : les hauts dignitaires, avec leurs porteurs d’éventail, se placèrent en demi-cercle autour de leur maître.

— Égyptiens ! commença le pharaon d’une voix sonore. Vous savez que ma Cour, mon armée et mes dignitaires se trouvent dans le besoin. Or, le trésor est vide. Je ne me permets, quant à moi, aucune dépense excessive, je m’habille et me nourris comme un soldat, et j’entretiens moins de femmes que le dernier de mes scribes !..

Il y eut un murmure d’acquiescement dans l’assemblée.

Ramsès poursuivit :

— Jusqu’à présent, lorsque le trésor était vide, on avait recours à de nouveaux impôts ; mais je connais la misère de mon peuple, et non seulement je ne veux pas l’écraser de nouveaux impôts, mais encore je veux à tout prix alléger son sort !

— Sois béni éternellement, seigneur ! retentirent des voix sur les derniers bancs.

— Heureusement pour l’Égypte, poursuivit Ramsès XIII, notre pays dispose de richesses qui pourraient facilement servir à payer les fonctionnaires, à développer l’armée, à améliorer la vie du peuple, et même à rembourser toutes nos dettes envers les temples et les Phéniciens. Ce trésor, rassemblé par nos ancêtres, se trouve entreposé dans le Labyrinthe. Mais je ne peux y puiser qu’à condition que vous tous, qui représentez ici la Basse-Égypte, vous m’autorisiez à disposer des biens de mes prédécesseurs ; il faut, pour cela, que vous proclamiez que le pays se trouve dans une situation exceptionnellement grave …

— Oui, nous sommes d’accord, prend tout ce dont tu as besoin ! s’écrièrent les délégués.

— Herhor — le pharaon s’adressa au ministre — le clergé a-t-il quelque chose à ajouter ?

— Très peu de chose, répondit Herhor en se levant ; d’après des lois séculaires, le trésor du Labyrinthe ne peut être entamé que pour autant que le pays ne dispose d’aucune autre ressource ; or, il n’en est pas ainsi aujourd’hui, car si tu voulais tirer un trait sur les dettes phéniciennes, non seulement ton trésor se remplirait, mais encore ton peuple serait délivré du joug des étrangers …

Un murmure d’approbation courut sur les bancs.

— Tes conseils sont ingénieux, saint Père, répondit calmement le pharaon, mais ils sont dangereux. Car si mon trésorier, mes gouverneurs et mes nobles prenaient l’habitude de ne plus reconnaître leurs dettes, il serait à craindre qu’ils n’oublient ce qu’ils doivent aux temples …

Le coup était si direct que Herhor parut chanceler, et se tut.

— Et toi, grand gardien du Labyrinthe, qu’as-tu à dire ?

— J’ai ici une urne, répondit celui-ci, et des cailloux blancs et noirs. Chaque délégué en recevra un blanc et un noir, et s’il est d’accord pour que soit entamé le trésor du Labyrinthe, il mettra dans l’urne un caillou noir ; s’il estime qu’il ne faut pas toucher aux biens des dieux, il glissera un caillou blanc.