— Je le connaissais depuis longtemps, mais je viens de découvrir quelque chose que j’ignorais : le trésor peut disparaître, tuant ses gardiens et détruisant ce qu’il contient !
Ramsès fronça les sourcils.
— C’est pourquoi, poursuivit le prêtre de Sem, veuille avoir sous la main quelques hommes sûrs. Je pénétrerai dans le Labyrinthe avec eux, la nuit qui précédera l’attaque, et j’occuperai les pièces voisines de la chambre du trésor ; surtout celles du dessus … Avant cela, je me rendrai une fois encore seul, au Labyrinthe, et peut-être réussirai-je à empêcher la destruction du trésor sans l’aide de personne.
— Ne crains-tu pas d’être suivi ? demanda Ramsès.
— Il faudrait un miracle pour me surprendre ; d’ailleurs, l’aveuglement des gardiens est enfantin ! Ils savent que quelqu’un cherche à s’introduire dans le sanctuaire, mais ils ne renforcent la garde qu’aux entrées visibles. Or, j’en ai découvert trois autres, qu’ils ignorent ou qu’ils ont oubliées ! Il faudrait qu’un esprit leur indique où je me trouve, pour me découvrir dans une des trois mille pièces du Labyrinthe !
— Samentou a raison, intervint Tutmosis. Nous surestimons la vigilance des prêtres.
— Ne dis pas cela, répliqua Samentou. Leurs forces sont limitées, mais leurs ruses dépassent tout ce que tu peux imaginer ! Ils emploieront peut-être contre nous des armes que tu ne soupçonnes pas, et qui t’étonneront ; leurs temples sont pleins de secrets qui troublent même les savants et terrorisent la populace.
— Parle-nous-en ! demanda le pharaon.
— Je suis certain que nos soldats se heurteront à des murs de feu, que des mains invisibles leur lanceront des pierres, qu’ils entendront gronder le tonnerre …
— Nous aurons nos javelots et nos haches ! s’écria Tutmosis. Seul un mauvais soldat recule devant des fantômes !
— Tu as raison ! approuva Samentou. Si vous marchez courageusement de l’avant, les flammes ne brûleront plus et les pierres cesseront de pleuvoir ! Et maintenant, seigneur — il s’adressa à Ramsès — un dernier mot : si je venais à périr …
— Ne parle pas de malheur ! interrompit vivement le pharaon.
— Si je venais à périr, continua Samentou avec un sourire triste, un jeune prêtre viendra t’apporter ma bague. À ce moment-là, que l’armée occupe au plus vite le Labyrinthe et chasse les gardiens, puis qu’elle ne quitte pas le sanctuaire. Ce jeune prêtre qui t’aura apporté la bague viendra quelques jours plus tard te donner le plan du chemin qui mène au trésor. Avec les indications que je lui aurai laissées, il ne manquera pas de découvrir le chemin exact en quelques jours ou, tout au plus, quelques semaines. Mais, surtout, seigneur, je t’en supplie, si ta vaincs, venge-moi ! Surtout, ne pardonne ni à Méfrès ni à Herhor ! Tu ne peux imaginer quels terribles ennemis tu as en eux ; s’ils venaient à te vaincre, tu périrais, et avec toi ta dynastie !..
— Un vainqueur ne se doit-il pas d’être magnanime ? demanda Ramsès.
— Aucune pitié pour eux ! s’exclama Samentou. Aussi longtemps qu’ils vivront, tu seras menacé de mort, de déshonneur ; ton cadavre même ne sera pas respecté ! On peut apaiser un lion, acheter un Phénicien, s’attacher un Libyen ou un Éthiopien ; on peut à la rigueur susciter la pitié chez un prêtre chaldéen … Mais un prêtre égyptien qui a goûté au pouvoir et à l’argent est impitoyable !.. Oui, seule leur mort ou la tienne apportera la solution du conflit qui vous oppose ! Ne l’oublie jamais !
Chapitre XXI
Vers le 12 septembre, des événements inquiétants se produisirent dans divers temples du pays : au sanctuaire de Horus, l’autel s’était renversé, et au temple d’Isis, la statue de la déesse avait pleuré. Au temple d’Amon, à Thèbes, les présages étaient mauvais, et les prêtres en déduisaient que des malheurs imminents allaient s’abattre sur l’Égypte. C’est pourquoi, Herhor et Méfrès ordonnèrent que des processions parcourent la ville et que des prières publiques soient dites. Mais le peuple, qui s’agitait de plus en plus, attaqua les processions, lapida les statues sacrées, et les prêtres durent se réfugier dans leurs temples. La police, quant à elle, s’abstenait d’intervenir.
Le 13 septembre au soir, se réunirent au temple de Ptah : Herhor, Mentésuphis, Méfrès, le grand juge de Thèbes et trois gouverneurs de province gagnés à la cause du clergé.
— La menace se précise, s’écria le grand juge. Je sais en toute certitude que le pharaon veut lancer le peuple contre les temples !
— Quant à moi, j’ai appris que Nitager avait reçu l’ordre de marcher sur Memphis ! ajouta le gouverneur de Sébès. Comme s’il n’y avait pas déjà assez de soldats ici !..
— Toutes les communications entre la Basse et la Haute-Égypte sont coupées depuis hier ! ajouta le gouverneur d’Aa. L’armée occupe les routes, et les galères de Sa Sainteté fouillent toutes les embarcations qui passent sur le Nil !..
— Ramsès XIII n’est pas « Sa Sainteté > coupa sèchement Méfrès ; il n’a pas reçu sa couronne des mains des dieux !
— Mais tout cela ne serait pas tragique s’il n’y avait tant de trahisons autour de nous, reprit le grand juge. Je sais de source sûre que beaucoup de prêtres sont acquis au pharaon et lui rapportent tout ce qu’ils apprennent …
— Oui, certains se sont même engagés à faciliter l’occupation des temples par l’armée, intervint à ce moment Herhor.
— L’armée doit occuper les temples ? s’écria avec effroi le gouverneur de Sébès.
— Elle a du moins reçu cet ordre pour le 23 septembre, répondit calmement Herhor.
— Et tu en parles avec cette désinvolture ? demanda le gouverneur d’Ament.
Le ministre haussa les épaules. Les autres dignitaires se regardèrent sans comprendre.
— C’est inconcevable ! s’écria le gouverneur d’Aa. Les temples ne disposent que de quelques centaines de soldats, les prêtres trahissent, la route de Thèbes est coupée, le peuple se révolte, et tu parles de tout cela comme d’un banquet en vue … Défendons-nous s’il en est temps encore ; sinon …
— Sinon, capitulons devant « Sa Sainteté », n’est-ce pas ? demanda Méfrès avec ironie. Cela, il sera toujours temps de le faire ! ajouta-t-il.
— Mais nous voudrions au moins connaître nos moyens de défense ! remarqua le gouverneur de Sébès.
— Les dieux n’abandonneront pas leurs serviteurs ! répondit Herhor.
— Je t’avoue, dit le grand juge, que ton indifférence m’étonne moi aussi ; tu sais que tout le peuple est dressé contre nous …
— Le peuple suit la direction du vent, répondit Herhor.
— Et l’armée ?
— Il n’y a pas d’armée qui ne recule devant Osiris …
— Oui, nous le savons, interrompit impatiemment le gouverneur d’Aa, mais nous ne voyons ni Osiris, ni ce vent qui changerait l’état d’esprit de la foule. Aujourd’hui, le pharaon se l’est achetée par des promesses, demain il se l’attachera par des libéralités …
— La crainte est plus forte que les promesses et les cadeaux ! rétorqua Herhor.
— De quoi veux-tu qu’ils aient peur ? Pas des trois cents soldats que nous avons, je suppose ?
— Ils auront peur d’Osiris ! répéta Herhor.
— Mais où est-il, ton Osiris ? demanda le gouverneur d’Aa, de plus en plus agité.
— Vous le verrez tous, et je vous souhaite d’être aveugles, ce jour-là !
Herhor avait prononcé ces mots avec tant d’inébranlable vigueur qu’il imposa le silence aux assistants.
— Mais que devons-nous faire ? demanda après un instant le grand juge.