Après avoir assuré la sécurité de la salle que surplombait le trésor, il monta dans celle s’étendant au-dessus de la pièce recelant les richesses. Là-aussi, il y avait des colonnes contenant des vases de poudre grise ; Samentou fit le nécessaire pour la rendre inoffensive. Puis, fatigué, il s’assit. Six de ses torches étaient consumées. Au-dehors, le jour devait poindre. Samentou pensait à cette étrange matière dont les prêtres connaissaient le secret. Cette poudre devait être capable de détruire les plus solides fortifications assyriennes …
Il se mit à rêver. Il était sûr, désormais, de son succès, et ne doutait plus qu’un avenir brillant l’attendait. Oui, il prendrait la place de Herhor … Il songea à la politique qu’il mènerait : il vaincrait les Assyriens, ferait creuser le canal mer Rouge-Méditerranée, assurant ainsi à son maître et à lui-même une gloire immortelle …
« Dans un mois, je serai le maître ! pensait-il. Le pharaon aime trop l’armée et les femmes pour s’occuper du gouvernement ; et s’il n’a pas de fils, c’est mon fils, mon fils à moi … ».
Il s’arracha à sa rêverie et se leva pour repartir. Il avait traversé des dizaines de pièces et de couloirs lorsque, soudain, il s’arrêta net : il lui avait semblé apercevoir un mince filet de lumière sur le sol. En l’espace d’un instant, une terreur panique s’empara de lui ; il éteignit sa torche et ne bougea plus. Le filet de lumière avait disparu … Le prêtre tendit l’oreille, mais il n’entendait que les battements de son cœur.
— Non, ce n’est pas possible !.. J’ai dû me tromper !.. se dit-il.
Il ralluma sa torche, et reprit sa route. Arrivé à la porte dérobée, il appuya sur le clou : rien. Il appuya à nouveau, puis encore une fois : toujours rien. La porte refusait de s’ouvrir.
— Qu’est-ce que cela veut dire ? murmura-t-il.
Il avait ouvert, dans ce labyrinthe, des centaines de portes, et jamais aucune n’avait résisté ; il ne pouvait comprendre ce qui arrivait …
Soudain, la peur fut sur lui. Il courut de mur en mur, essayant d’ouvrir toutes les portes secrètes. Elles étaient fermées. Enfin, l’une d’elles s’ouvrit. Il respira. Il se trouvait une fois de plus dans une salle immense, remplie de colonnes comme toutes les autres. L’obscurité le rassura, et il reprit courage. Il se dit que personne ne pourrait le trouver là ; il s’assit, mais se redressa aussitôt. Un danger le menaçait. Il en était sûr. Il avait l’habitude des souterrains, de l’obscurité, des errances interminables dans des couloirs sombres ; mais ce qu’il éprouvait en ce moment était pire que les plus grandes frayeurs qu’il avait jamais connues ; c’était si effrayant qu’il n’osait lui donner un nom.
— Si vraiment j’ai vu de la lumière, si vraiment quelqu’un a fermé les portes, cela veut dire que je suis trahi … Dans ce cas … !
— Dans ce cas, c’est la mort murmura une voix intérieure.
La sueur couvrit son visage, sa respiration se fit saccadée, et une horrible panique l’envahit. Il se mit à courir le long des murs, frappant des poings toutes les issues, cherchant à les ouvrir ; il ne savait plus où il se trouvait, ne s’orientait plus dans ce dédale effroyable, et il ne pouvait plus sortir du Labyrinthe Il savait que son attitude était insensée, qu’il gaspillait ses dernières chances de salut, mais sa peur ne faisait que croître, touchait au paroxysme, approchait de la folie.
Un instant, il retrouva son calme. Qui, pensait-il désespérément, qui pourrait le surprendre dans le Labyrinthe ? Il faudrait pour cela des milliers d’hommes, ou bien un miracle … D’ailleurs, s’ils s’emparaient de lui, il porterait à ses lèvres le petit flacon qu’il avait sur lui, et en un instant il franchirait le seuil des dieux.
« Comment ai-je pu être assez fou pour entrer ici ? se disait-il. N’avais-je pas à manger, étais-je sans toit ? Le Labyrinthe possède des gardiens perspicaces, et seul un fou ou un enfant pouvait espérer les égarer !.. Le pouvoir … L’argent … Que sont-ils en regard de la vie que je vais perdre ? Ah, j’ai été insensé !.. »
Il aperçut à ce moment, au fond de la salle, une lumière, une véritable lumière : à travers une porte ouverte et éclairée entraient des hommes armés. À cette vue, il sentit ses jambes trembler ; son sang se figea, son cœur battit plus fort. Il ne pouvait plus douter non seulement qu’il était découvert, mais poursuivi et pris au piège. Et il se demanda qui avait pu le trahir.
Subitement, comme cela arrive souvent en face de la mort, il cessa d’avoir peur. Il retrouva un grand calme et un détachement de ce qui avait été sa vie. Il était à présent au-dessus de la crainte et au delà du regret. Ses ambitions, son passé, tout cela n’avait plus aucune importance ni aucun sens, et la mort seule l’emplissait déjà.
Cependant, les hommes armés, la torche à la main, avançaient lentement à travers la salle. Il vit briller leurs javelots et aperçut la peur sur leurs visages. Caché par une colonne, il les attendait.
Derrière eux marchait un autre groupe d’hommes ; Samentou se demanda si le traître était parmi eux.
Il entendit un des soldats dire :
— Il ne peut y avoir personne, ici !
Ses compagnons s’arrêtèrent, et Samentou retint sa respiration. Peut-être allaient-ils rebrousser chemin ? … Mais le second groupe avait rejoint le premier.
— Il y a certainement quelqu’un : regardez donc Lykon ! Il sent l’ennemi ! dit une voix.
« Lykon … pensa Samentou. Ah oui, c’est ce Grec qui ressemble tant au pharaon ! Mais … c’est Méfrès qui l’accompagne ! ».
À ce moment, le Grec, toujours en état d’hypnose, bondit vers la colonne qui abritait Samentou. Les hommes armés entourèrent le prêtre et une torche éclaira son visage sombre.
— Qui est là ? s’écria le grand gardien qui dirigeait la poursuite.
Samentou s’avança d’un pas, et son apparition en ce lieu quasi inaccessible était si extraordinaire, que tous reculèrent.
— Alors, Lykon s’était-il trompé ? triomphait Méfrès. Le voilà, le traître !
Samentou s’avança vers lui et dit d’une voix chargée de mépris :
— Je t’ai reconnu, Méfrès … Tu es non seulement un escroc mais aussi un imbécile ! Un escroc, car tu essaies de faire croire aux gardiens du Labyrinthe que ce gredin de Lykon à le don de double vue ; un imbécile, parce que tu espères qu’ils vont te croire ! Avoue tout de suite qu’au temple de Ptah se trouvent les plans du labyrinthe !..
— C’est faux ! s’écria Méfrès.
— Demande donc à ces hommes qui ils croient : toi ou moi ? demanda Samentou avec une calme ironie. Je suis ici car j’ai trouvé les plans nécessaires au temple de Set ; toi, tu les as trouvés au temple de Ptah …
— Emparez-vous de ce traître ! s’écria Méfrès.
Samentou recula d’un pas, tira de sa poche un flacon de verre.
— Méfrès, ricana-t-il, tu resteras stupide jusqu’à ta mort ! Tu n’es intelligent que lorsqu’il s’agit d’amasser des richesses …
Il but et s’écroula. Les soldats bondirent vers lui, mais déjà ils n’avaient plus devant eux qu’un cadavre.
— Laissez-le ici, comme les autres, dit le grand gardien.
Ils quittèrent tous la salle. Bientôt, ils se retrouvèrent dans la cour du sanctuaire ; Méfrès et Lykon repartirent immédiatement pour Memphis.
Les gardiens du Labyrinthe, restés seuls, se regardèrent, étonnés encore de ce qu’ils avaient vu.
— Je ne parviens pas à croire qu’un homme ait réussi à pénétrer ici, dit le grand gardien.
— Tu veux dire que trois hommes y ont pénétré aujourd’hui, fit remarquer un des jeunes prêtres, en le regardant d’un air étrange.