— Ah, c’est vrai ! s’exclama le grand gardien. Dieux ! Où ai-je la tête, aujourd’hui ? ajouta-t-il en se frottant le front.
— Et deux d’entre eux sont repartis, libres : le comédien de Lykon et l’archiprêtre Méfrès … ajouta le jeune prêtre.
— Pourquoi ne me l’as-tu pas fait remarquer plus tôt ?
— Je ne savais pas que tu les laisserais s’échapper …
— Malheur à moi ! s’écria l’archiprêtre. Je ne mérite pas d’être le grand gardien de ce trésor ! On m’avait prévenu que quelqu’un cherchait à entrer dans le Labyrinthe, et je n’ai rien fait pour l’en empêcher ; et maintenant, je viens de laisser échapper les deux hommes les plus dangereux qui soient !
— Rien n’est perdu, dit l’autre prêtre ; la loi est formelle … Il suffit donc que tu envoies à Memphis quelques hommes munis des sentences appropriées ; ils feront le reste.
— Oui, intervint un autre prêtre. Une chose est certaine : des hommes qui sont entrés dans le Labyrinthe ne peuvent vivre un jour de plus !
— Choisissez donc dix soldats, et que les scribes préparent les sentences contre Lykon et Méfrès. Il s’agit de faire vite.
Quelques heures plus tard, six prêtres-soldats, gardiens « lu labyrinthe, partaient à toute allure pour la capitale.
Chapitre XXII
Dès le 18 septembre, l’Égypte entière se trouva en état de siège. Les routes étaient coupées, le commerce avait cessé, les galères royales sillonnaient le Nil et l’armée occupait tous les points stratégiques du pays. Les paysans avaient abandonné leur travail et seuls les champs appartenant aux temples étaient encore cultivés. Les auberges accueillaient, sans rien leur faire payer, artisans et ouvriers, qui discutaient avec passion des événements.
En raison du chaos général, seul le pharaon — et, mieux encore, les prêtres — savaient ce qui se passait dans le pays et quelle était la situation exacte. Elle était la suivante : à Thèbes, le parti des prêtres dominait, cependant que Memphis tout entière avait embrassé la cause de Ramsès XIII. Dans le Sud, on disait que le pharaon était devenu fou et voulait livrer le pays aux Phéniciens ; dans la capitale, on racontait que les prêtres voulaient empoisonner Ramsès et abandonner l’Égypte aux Assyriens.
D’instinct, le peuple se sentait attiré vers Ramsès ; mais le peuple est un élément instable et passif. Lorsqu’un agitateur du clan royal haranguait la foule, celle, ci était prête à prendre les temples d’assaut ; mais qu’une procession se montrât, et elle se prosternait face au sol et écoutait en tremblant les prédictions des malheurs qui, disaient les prêtres, allaient s’abattre sur l’Égypte.
Effrayés, les nobles demandaient au pharaon de les défendre contre les paysans révoltés ; mais comme Ramsès ne leur répondait que pour leur conseiller la patience, et qu’il ne faisait rien, ils commençaient à se tourner vers le clergé.
À Memphis même, les partisans des deux partis s’affrontaient constamment dans la rue. Cependant, fait étrange, il n’y avait ni combats ni rixes, et cela parce que, sans le savoir, chaque parti agissait pour le compte d’une autorité supérieure qui lui avait dicté sa conduite et donné des ordres précis dans le cadre d’un plan longuement mûri.
Le pharaon n’avait pas encore rassemblé toutes ses forces ; c’est pourquoi, il attendait avant de donner l’ordre d’attaquer les temples. Les prêtres, manifestement, attendaient quelque chose, eux aussi. Il était visible qu’ils se sentaient moins faibles que quelques jours auparavant.
Le fait que les paysans des temples, et eux seuls, continuaient à travailler aux champs, fit réfléchir Ramsès.
« Qu’est-ce que cela veut dire ? se demandait-il. Les prêtres espèrent-ils que je n’oserai pas m’attaquer aux temples ? Ou bien disposent-ils de moyens de défense que je ne soupçonne pas ? … »
Le 19 septembre, la police annonça que le peuple avait commencé à démanteler les murs du temple de Horus.
— Leur avez-vous ordonné de faire cela ? demanda ? Ramsès au chef de la police.
— Non, la foule s’est mise spontanément à attaquer les murailles.
— Dans ce cas, repoussez-la … Mais doucement … Dans quelques jours, elle pourra faire tout ce qu’elle voudra !.. Pour le moment, il faut éviter tout acte de violence.
Il savait qu’une fois l’agitation populaire suscitée, rien ne pourrait l’arrêter ; il savait aussi que si les temples ne se défendaient pas, la foule en aurait raison, mais que s’ils opposaient de la résistance, les agresseurs fuiraient. Il faudrait alors les remplacer par des soldats et il n’y avait pas encore de troupes en suffisance dans la ville. De plus, Hiram n’était pas encore rentré de Pi-Bast avec les preuves de la trahison de Herhor et de Méfrès. Enfin, les prêtres acquis au pharaon ne devaient donner leur appui à l’armée que le 23, et il n’était pas possible, en raison des distances, de les avertir d’un changement de date.
C’est pourquoi Ramsès voulait à tout prix empêcher l’attaque des temples avant le jour prévu.
Cependant, l’agitation croissait sans cesse, et il était impuissant à l’empêcher. On avait tué des pèlerins, près du temple d’Isis, une procession de Ptah avait été attaquée, des prêtres battus et une barque sacrée renversée. Le même soir arriva au palais royal une délégation des prêtres. Les prêtres qui la composaient se prosternèrent devant le pharaon et le supplièrent de se porter au secours des temples et des dieux. Cette prière remplit Ramsès de joie et de fierté. Il fit se relever les prêtres et leur déclara que ses troupes étaient toujours prêtes à défendre les temples à condition qu’on leur en ouvrît les portes.
— Je suis convaincu, dit-il, que la populace reculera en voyant les soldats occuper les murs des temples …
Les délégués hésitèrent.
— Tu sais, seigneur, répondirent-ils, que l’armée n’a pas le droit de franchir l’enceinte d’un temple … Nous devons demander l’avis des archiprêtres avant de te donner une réponse …
— Oui, consultez vos archiprêtres. Mais je n’ai pas le pouvoir de faire des miracles, moi, je ne puis défendre vos temples à distance !..
La délégation quitta le pharaon, apparemment fort découragée. Ramsès était convaincu que les prêtres allaient céder, et pas un seul instant il ne se douta que l’envoi de cette délégation était un stratagème de Herhor destiné à l’induire en erreur.
Il convoqua immédiatement ses conseillers et, lorsqu’ils furent réunis, il prit la parole. Sa voix vibrait de fierté :
— Je voulais, dit-il, n’attaquer les temples que le 23 septembre ; je pense cependant qu’il vaudra mieux attaquer dès demain …
— Mais les troupes ne sont pas encore toutes rassemblées ! fit remarquer Tutmosis.
— Et nous n’avons pas encore les lettres de Herhor, ajouta le grand scribe.
— Peu importe ! Annoncez dès maintenant que Herhor et Méfrès sont des traîtres ; je fournirai les preuves dans quelques jours, lorsque Hiram sera revenu de Pi-Bast.
— Ces nouvelles dispositions bouleversent le plan prévu, seigneur ! dit Tutmosis. Demain, il ne nous sera pas possible d’occuper le Labyrinthe, et si les temples de Memphis résistent, nous n’avons même pas de béliers pour forcer leurs portes !
— Tutmosis, répondit le pharaon, je n’ai pas à motiver mes ordres. Je veux bien le faire, toutefois, afin que tu comprennes mes intentions … Le peuple, poursuivit-il, attaque les temples dès aujourd’hui ; sans doute, demain, voudra-t-il les envahir. Si nous ne l’en empêchons pas, il sera repoussé et n’osera pas recommencer dans trois jours. D’autre part, si les prêtres m’ont envoyé aujourd’hui une délégation, c’est qu’ils sont faibles et affolés. Dans quelques jours, le nombre de leurs partisans peut croître. Il faut profiter de ce moment de panique et ne pas faiblir. Mon peuple est prêt, mes ennemis effrayés, c’est le moment de frapper ! Peut-être, une conjoncture aussi favorable ne se représentera-t-elle plus …