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Elle était bonne comédienne, sans doute, mais encore une fois, trop parfaite. N’importe quelle femme aurait eu sa curiosité piquée par ces révélations et demandé à chaque instant d’autres détails. Une discrétion aussi exemplaire était à ses yeux une preuve d’un intérêt particulier.

« C’est décidé, dit brusquement Verveuil avec un grand geste. Ce sera pour samedi prochain, pendant la pose devant l’église. Dans huit jours, la France sera délivrée de ce misérable. » Gaur perçut une nuance d’inquiétude dans le regard et dans la voix d’Olga.

« Vous êtes sûr de ne pas le rater ? » Verveuil prit un de ses airs supérieurs et eut un petit rire de satisfaction. « Ma chère enfant, n’oubliez pas que j’ai été considéré pendant longtemps comme un tireur d’élite et sachez que je n’ai rien perdu de ma forme. Je m’entraîne chaque semaine. Avec une lunette de visée, je ne manquerais pas une orange à cent mètres et il y en a à peine quatre-vingts de notre échafaudage au parvis de l’église. »

« Les salauds ! » murmura Martial Gaur, les doigts crispés sur son instrument.

Le ton de cette remarque ne trahissait d’ailleurs que peu d’indignation. Il était, en effet, frappé de stupéfaction.

L’étonnement de découvrir un complot aussi précis dont il n’avait eu qu’un vague soupçon jusqu’alors, l’emportait sur tout autre sentiment.

« Ce sera pour samedi, répéta Verveuil avec conviction, à moins que d’autres renseignements ne nous obligent à remettre l’opération... Vous êtes décidée à m’aider jusqu’au bout ?

— Jusqu’au bout.

— Les ouvriers qui font le ravalement de la façade ne travailleront pas ce jour-là, Malarche ayant exigé un jour de congé dans toutes les entreprises. Le propriétaire de la maison me l’a d’ailleurs confirmé. Ils quitteront la place, la veille, à six heures. C’est ce soir-là que vous devrez apporter vous-même le fusil. Une femme attire moins l’attention. Démonté, il ne tient pas beaucoup de place et j’ai prévu un empaquetage qui passe inaperçu, n’ayez pas peur.

— Je n’ai pas peur.

— Bien. J’ai étudié avec soin mon itinéraire de retraite.

Après l’opération, vous m’attendrez avec la voiture, assez loin de l’église à l’endroit que je vous indiquerai.

— Vous serez seul ? Je veux dire, il n’y aura pas d’autre tireur ? »

Verveuil prit son air autoritaire de grand chef.

« Ma chère amie, je vous ai déjà dit de ne pas vous préoccuper de mon action personnelle. Suivez seulement mes instructions et tout ira bien... Oui, je serai seul, si vous tenez à le savoir, ajouta-t-il en se ravisant. Le comité m’a donné carte blanche et, moins il y a de monde dans une opération de ce genre, mieux cela vaut. En fait, en ce qui concerne l’exécution elle-même, nous ne sommes que deux, vous et moi, à connaître tous les détails. Le propriétaire de la maison n’est que très vaguement au courant qu’il se prépare quelque chose et, d’ailleurs, le comité l’envoie à l’étranger. Il doit partir ce soir-même... S’il y a une fuite, elle ne pourra donc provenir que de vous, ou de moi, ajouta-t-il en la regardant avec sévérité.

— Vous savez bien que vous pouvez être sûr de moi, répondit-elle avec une nuance de mépris.

— Je le crois... Inutile de nous revoir trop souvent d’ici samedi. Téléphonez-moi au numéro habituel seulement si vous apprenez quelque chose de nouveau. De mon côté, je vous ferai connaître bientôt mes dernières instructions. »

L’entretien était terminé. Suivant la routine habituelle, Olga se leva avec un geste offusqué comme si elle désirait se débarrasser d’un importun, et s’éloigna d’un pas rapide.

Verveuil attendit quelques instants, l’air penaud, puis partit à son tour dans une autre direction. Dans la camionnette, Martial Gaur rangea avec soin le précieux appareil dans son étui et passa à la place du conducteur, non sans avoir à effectuer une gymnastique pénible pour lui.

Il roulait lentement. Sa jambe le gênait pour conduire ce véhicule qui n’était pas spécialement agencé pour lui, mais il n’y prenait garde, tant il était absorbé par la pensée du complot qu’il venait de découvrir et auquel il se trouvait mêlé d’une manière imprévue.

« Les salauds ! » murmura-t-il encore.

Il répéta plusieurs fois cette injure à mi-voix et une certaine indignation perçait maintenant dans son accent, mais il ne savait pas très bien lui-même s’il en voulait aux conspirateurs à cause de leur tentative criminelle, ou bien parce qu’ils se servaient de lui comme d’un pantin pour obtenir des renseignements.

« Ce n’est pas tout ça, maugréa-t-il encore, il faut que je prévienne les autorités. »

Il marqua un assez long temps de réflexion, comme s’il envisageait tous les aspects de cette perspective, puis soliloqua de nouveau.

« Je vais tout raconter à Herst. C’est le plus simple. Il est mieux placé que quiconque pour agir. »

Il se trouvait alors non loin du domicile de Herst, qui habitait lui aussi dans le voisinage du Luxembourg. Il hésita un instant à s’arrêter et à alerter son ami sans plus tarder.

Il ne le fit pas cependant. Il éprouvait l’envie étrange de ruminer encore tout seul les éléments de cette affaire. Il continua de rouler, sans but apparent, plongé dans une profonde méditation.

Il ne s’aperçut qu’au bout d’un long moment que l’itinéraire suivi par lui le menait tout droit vers la place de l’église où devait être célébré le mariage présidentiel. Il ne modifia pas sa route quand il en prit conscience. Un instinct confus lui suggérait d’avoir une vision nette de ce lieu avant de se fixer une ligne de conduite.

IX

IL ne put garer son véhicule qu’assez loin de la place et gagna celle-ci à pied. Il y arriva en transpiration, traînant la jambe, et s’aperçut seulement alors qu’il avait marché beaucoup plus vite qu’il n’était raisonnable pour lui, sans qu’aucun motif apparent justifiât cette hâte.

Il s’assit à la terrasse d’un café juste en face de l’église, commanda une consommation qu’il ne toucha pas et resta un long moment comme en contemplation, le regard tantôt balayant l’étendue de la place, tantôt fixe sur un point précis du parvis. Il obéissait là à un réflexe professionnel.

C’est une vision d’ensemble que doit chercher tout d’abord à obtenir le photographe dans l’exercice de son métier. Mais ce point de vue général ne l’empêchait pas d’accorder d’instinct beaucoup d’attention à certains détails, dont l’importance ne peut être négligée par un opérateur consciencieux. Aussi ne manqua-t-il pas d’évaluer ici l’éclat de la lumière, de repérer la position du soleil et de spéculer sur celle qu’il occuperait à l’heure de la cérémonie.

Après avoir effectué presque à son insu ces opérations de routine, il eut un geste et une moue qui paraissaient signifier : à la rigueur cela serait acceptable.