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L’histoire complète du gangster lui revenait maintenant en mémoire. Pierre Jardan, dit le Bourgeois, avait pendant très longtemps échappé à la police. Après avoir réussi plusieurs coups fructueux, il s’était tenu tranquille pendant quelques années, menant une existence paisible de retraité, qui lui valut son surnom. Puis, poussé par la nostalgie ou le besoin d’argent, il voulut tenter une dernière aventure, qui lui fut fatale.

Il avait tiré et blessé mortellement un inspecteur de police au cours d’un hold-up. Son procès donna lieu à des débats oratoires assez tumultueux, Jardan soutenant qu’il avait tiré en l’air et que le meurtre était le fait d’un complice qui, lui, était en fuite. Il y avait quelque vraisemblance dans cette thèse, mais, venant après d’autres crimes du même genre où le coupable avait échappé à la justice, l’assassinat d’un policier ne pouvait rester impuni. Jardan fut condamné à mort.

Il avait été exécuté peu de mois auparavant, sa grâce ayant été refusée. » Bon Dieu ! Martial Gaur eut un éblouissement. La grâce du gangster avait été refusée par le chef de l’Etat ! Le chef de l’Etat, c’était alors Pierre Malarche, qui venait d’accéder au pouvoir. Il découvrit tout d’un coup les mobiles qui commandaient la conduite de son amie : la haine et la soif de vengeance.

Il en ressentit une sorte de soulagement. C’étaient là des motifs qu’il pouvait comprendre et admettre. Depuis quelque temps, il éprouvait, à défaut d’amour, une véritable estime pour sa maitresse. Il admirait son intelligence en connaisseur et il lui eût déplu qu’elle s’abaissât à se laisser guider par les misérables mobiles politiques d’un pantin comme Verveuil, ce qui l’aurait obligé à la mépriser.

Il n’eut même pas à se contraindre pour donner à la pression de sa main une nuance de compréhension amicale, à laquelle aucune femme ne peut rester insensible.

« Et c’est tout ? C’est cela seulement cette grave confidence ? »

C’était tout. Il respira plus librement qu’il ne l’avait fait depuis quelques minutes. C’était bien tout : jamais elle n’avait envisagé d’aller plus loin dans la voie des aveux. C’était bien ainsi.

« Je te le répète et tu dois me croire. Ce que tu m’as confié ne change absolument rien entre nous. Ton passé ne m’intéresse en aucune façon et celui de ton père, encore moins. »

Elle se jeta dans ses bras et colla contre le sien un visage mouillé de larmes.

« Il n’existe pas d’homme meilleur que toi !... Du passé, c’est bien vrai. Un passé qui me fait horreur et que je fais tout mon possible pour oublier. J’y suis presque arrivée depuis que je te connais. »

Elle excellait comme lui à entremêler la vérité et le mensonge, avec tant de subtilité que celui-ci apparaissait comme une évidence. Cette confidence quelle venait de lui faire, dont l’exactitude, facile à vérifier, ne pouvait être mise en doute, était une nouvelle preuve de sa suprême habileté. Il lui avait confié une fois qu’il croyait avoir vu son visage quelque part.

Cela avait dû la faire réfléchir : s’il avait découvert de lui-même sa véritable identité, elle lui aurait été aussitôt suspecte. Elle écartait ce risque par un aveu ingénu.

« Nous n’en parlerons plus jamais », dit-il. Ils pénétrèrent dans l’hôtel. Il la pressa de passer la nuit entière dans sa propre chambre, ce qui était contraire à leurs habitudes. Elle accepta, avec d’autant plus de joie, dit-elle en se couchant à son côté, que le lendemain et les jours suivants elle ne pourrait probablement pas le voir aussi souvent qu’elle le désirait.

« Je vais être très prise pour faire tous les arrangements en vue de mon départ et mettre ma remplaçante au courant... car c’est décidé, mon chéri, je pars avec toi. Rien ne saurait m’en empêcher. Ce seront de merveilleuses vacances. »

Tandis qu’il l’étreignait avec la fougue d’un amant qui oublie le reste du monde et pour qui compte seule sa passion pour sa maîtresse dès qu’elle lui ouvre les bras, il songea qu’il avait eu bien raison de rendre à Tournette son appareil indiscret.

Plus n’était besoin entre eux d’écoute clandestine. Il lui était tout à fait inutile d’épier les entretiens qu’elle aurait avec Verveuil, le lendemain et les jours suivants. Car c’était certainement pour cela qu’elle désirait se rendre libre. Ils n’auraient pas trop d’une quinzaine pour mettre un nouveau plan au point.

Bien inutile, en effet. C’était lui-même à présent qui leur inspirait les mesures à prendre, et les propos qu’ils échangeraient seraient seulement l’écho des subtiles confidences qu’il ferait à Olga. Cette pensée exaltante qu’il dirigeait maintenant les événements à sa guise donna, cette nuit-là, une saveur particulièrement piquante aux caresses et ce fut avec un sentiment orgueilleux de domination, étrangement mêlée à la satisfaction de ses sens, qu’après avoir prolongé les ébats amoureux d’une manière inhabituelle, il s’endormit, épuisé, dans les bras de sa maîtresse.

DEUXIÈME PARTIE

I

LE président Pierre Malarche poursuivait son voyage, accompagné de sa jeune femme, encadré par ses gardes du corps, entouré de sa suite officielle, sans se douter qu’il entraînait en outre dans son sillage une escorte clandestine d’individus qui ne s’intéressaient pas aux réceptions ni aux discours, mais qui étaient animés par des passions violentes et un farouche désir. Pour sa part, Martial Gaur vivait cette période d’une manière intense, passant par des alternances d’espoir et d’inquiétude qui lui rappelaient les plus beaux jours de sa jeunesse aventureuse. Il éprouvait un vertige à sentir assemblés dans sa seule main les liens d’un faisceau d’intrigues subtiles. Il se voyait alors lui-même comme une sorte de démiurge, ordonnant un chaos confus d’éléments et les orientant vers une création dont nul autre que lui ne pouvait prévoir l’avènement. Il était parti en voiture avec Olga, précédant ou suivant le cortège présidentiel de plusieurs heures pour éviter la cohue, mais prenant garde de ne pas perdre le contact trop longtemps, tant il craignait que quelque incident ne survint en son absence. Olga paraissait apprécier ce programme et il leur arrivait de se sourire mutuellement, sans raison apparente, en se regardant comme deux amoureux pour lesquels les aléas d’un voyage sont un perpétuel sujet d’enchantement et autant d’occasions de faire pétiller leur tendresse. A certaines heures, le plaisir que Martial ressentait en compagnie de sa maîtresse lui faisait considérer ce périple comme une heureuse combinaison de déplacement utilitaire et de croisière d’agrément, présentant quelque analogie avec la tournée présidentielle.

L’agrément ne lui faisait pourtant pas oublier le but essentiel de l’expédition, mais son heure n’était pas venue. Il lui arriva de prendre de loin quelques clichés d’une réception officielle, simplement pour s’entretenir le coup d’œil. Ces images n’avaient aucune valeur. Les photographes locaux occupaient les premières places. Lui, ce n’est que dans le Midi qu’il trouverait l’occasion de s’employer à fond. Herst le lui avait laissé entendre, Herst de nouveau préoccupé et surmené et qui, certains soirs d’escale, venait parfois prendre un verre avec son ami pour se détendre et oublier ses soucis.