Martial, toutefois, avait pris soin de laisser ignorer au gorille son intimité avec Olga et même l’existence de celle-ci. Ils prenaient toujours deux chambres distinctes à l’hôtel.
« Tu comprends, les renseignements qu’il doit me passer sont tout à fait confidentiels, il ne me ferait pas confiance s’il savait qu’il y a une femme dans ma vie.
— Je comprends fort bien. Je m’en voudrais toute ma vie si tu ratais une occasion à cause de moi. »
Pour plus de sécurité, ils avaient décidé de dormir chacun dans sa chambre. Il lui demanda ce sacrifice commun avec un soupir.
« Herst me croit seul. Il peut passer me voir à n’importe quelle heure. »
Elle s’était inclinée avec un soupir encore plus déchirant que le sien, masquant le contentement que lui causait cette solution. Il y avait, bien entendu, une autre raison, au moins aussi importante que la première, pour laquelle il tenait à lui laisser une grande liberté. Ne fallait-il pas qu’elle eût les coudées franches pour communiquer avec Verveuil ? Verveuil devait être informé aussitôt que possible de tout renseignement que pourrait lui passer Herst. Cela s’était déjà produit une fois ainsi au début du voyage, quand le président avait manifesté l’envie de faire une promenade clandestine. En cette occasion, Gaur, après avoir mis Olga au courant, prétexta une migraine et se retira de bonne heure, ne s’endormant rassuré qu’après l’avoir entendue pousser furtivement la porte de sa chambre, pour se rendre à un rendez-vous nocturne. Mais le projet avait été annulé le lendemain et il prit le même soin de les en informer aussitôt.
L’esprit méticuleux du photographe ne négligeait aucun détail. Il ne manquait jamais d’indiquer à Olga l’hôtel où ils descendraient et le numéro des chambres retenues par lui, de façon à faciliter encore les contacts entre les conspirateurs. Il fut content le jour où il constata que, comme il l’avait souhaité, les deux complices avaient trouvé des moyens de communiquer moins dangereux que le téléphone, qui lui causait maintenant quelques inquiétudes pour eux. Il ne fut pas long à s’apercevoir, en effet, que le volet gauche de la chambre d’Olga était rabattu quand il avait décidé de passer la soirée avec elle, alors que c’était au contraire le volet droit, quand il devait la quitter de bonne heure. La satisfaction un peu puérile qu’il retirait de ces découvertes l’aidait à tromper son impatience.
Car Verveuil faisait partie de la suite clandestine de Pierre Malarche, Martial Gaur le savait aussi bien que s’il l’avait vu de ses propres yeux, de même qu’il connaissait avec exactitude son état d’esprit. Verveuil, persuadé qu’il était un être supérieur envoyé par le Destin pour modifier le cours de l’histoire, Martial le voyait comme une sorte de pantin entre ses propres mains.
Qu’était Olga elle-même dans cette comédie ? Un autre pantin dont il tirait les ficelles ? Certes. Il la jugeait cependant très supérieure à son misérable acolyte, dont elle faisait mine d’accepter les ordres, mais dont elle se servait en fait, elle aussi, comme d’un robot insane. Elle le manœuvrait en somme, comme il le faisait lui-même, utilisant son fanatisme et sa stupidité à l’accomplissement de sa vengeance ; un but qu’il n’approuvait ni ne désapprouvait, mais qu’il jugeait d’une classe intellectuelle bien supérieure aux ridicules motifs politiques de Verveuil. Il éprouvait de plus en plus d’estime pour elle. Il lui arrivait même de sentir entre elle et lui une sorte de communauté spirituelle ; la fraternité des esprits supérieurs qui planent très haut au-dessus des mesquines préoccupations de la condition humaine.
Depuis qu’elle lui avait révélé son identité, il était heureux de n’avoir plus de questions à se poser au sujet de son rôle. Il lui restait cependant un doute léger quant au motif qui avait poussé la fille du gangster à faire cette confidence. Avait-elle agi ainsi par une habile prudence ou bien dans un instant de faiblesse ?
C’est un problème qui le tracassait par moments. Etait-elle toujours sur ses gardes ou bien, étendue à son côté, éprouvait-elle parfois une tentation de sincérité ? Il concluait que cette dernière hypothèse était peu probable.
Il lui arrivait aussi de se demander si elle était complètement dupe de la comédie qu’il jouait lui-même ou si elle ne le considérait pas un peu comme un complice, ayant souscrit avec elle un accord tacite. Mais ce doute s’évanouissait toujours après quelques instants de réflexion et il décidait avec orgueil que ceci était absolument invraisemblable. Son jeu à lui ne pouvait être compris par aucun être sur la terre ou dans les cieux. Tournette peut-être, oui, à la rigueur, le vieux Tournette aurait été capable de le percer à jour, mais Tournette ne pouvait en aucune façon être considéré comme une créature de la Terre, encore moins comme un esprit céleste.
II
Au nombre des soucis de Martial, qui troublaient parfois la sérénité du voyage, figurait au premier rang la sécurité de Verveuil, un des éléments essentiels de son plan. Connaissant la fatuité du personnage, il était parfois tenaillé par la crainte de le voir commettre quelque bévue qui le signalerait à la police.
Herst raviva son inquiétude à ce sujet, un soir qu’il était venu le retrouver après son service dans un café de Valence, où le président s’était arrêté. Le garde du corps avait l’air sombre et préoccupé. Comme Gaur lui demandait s’il avait quelque ennui, il haussa les épaules d’un mouvement furieux.
« Toujours les mêmes, et qui dureront autant que ce voyage, où Malarche s’expose chaque jour. En ce moment, nous sommes tous sur les dents à cause de l’affaire de l’échafaudage, que tu connais bien ; les suites de cette affaire, plutôt.
— Quoi ! s’écria Martial, soudainement alerté. L’enquête aurait-elle abouti ?
— Elle n’a pas abouti à l’arrestation de coupables ou de suspects, mais, pour autant que je sache – car le service qui s’en occupe ne me communique pas tous les résultats – elle a mis en lumière des faits troublants. Le propriétaire n’a pas reparu et il est maintenant certain qu’il était à la solde d’une organisation subversive très dangereuse. Je crois savoir qu’on a la preuve d’un projet d’attentat pour le jour du mariage, projet qui fut abandonné quand la police a commencé d’enquêter sur la maison... Ce n’est peut-être que partie remise.
— Des noms sont-ils apparus ? demanda Gaur, sans paraître attacher de l’importance à sa question.
— Cela ne m’étonnerait pas. Tout ce que je sais, c’est qu’on nous a enjoints de redoubler de vigilance et que la police va effectuer dès demain des vérifications sévères dans tous les hôtels des villes où le président fait escale. Tous les voyageurs dont la personnalité n’est pas claire comme de l’eau de roche ou dont la présence ne paraît pas justifiée seront l’objet d’une surveillance très sérieuse. Les mesures de sécurité iront jusqu’à la fouille inopinée des bagages pour les hommes seuls.