— Bon ! En somme, il n’y avait là que de vagues soupçons.
En fait, ce voyage semble devoir se dérouler sans accroc. Il a reçu partout un accueil enthousiaste, d’après ce que j’ai vu. Les quelques huées des mécontents ont été très vite étouffées sous les applaudissements. Je suis persuadé, pour ma part, que ses ennemis ont compris que la partie est perdue pour eux et qu’ils se terrent, découragés.
— Tu crois cela, maugréa Herst. Je sais ; c’est l’opinion officielle, soigneusement entretenue d’ailleurs aussi bien par ses partisans que par ses adversaires... Eh bien, moi, je peux te confier ceci, si tu me jures de ne pas en parler, car il ne veut pas que cet incident s’ébruite. Il estime que cela porterait atteinte à sa popularité grandissante. Voilà il y a déjà eu une tentative d’assassinat.
— Hein ? »
Martial Gaur s’était senti pâlir et ne put réprimer un mouvement de fureur.
« Parfaitement. Cela s’est passé à Avignon. Oh ! le coup était mal combiné... Une espèce de fanatique, un fou ou un demi-fou, qui n’avait guère de chances de réussir. Nous, les gorilles, nous n’avons même pas eu à intervenir... Il s’est fait repérer par un inspecteur, avec un revolver chargé mal dissimulé sous sa gabardine. L’incident est passé inaperçu. Tout de même, il était à moins de dix mètres de Malarche quand il a été arrêté, au moment où il dégageait son arme.
— On connaît son nom ?
— Un certain Aralidès ou quelque chose comme ça ; un Grec, en tout cas. Qu’est-ce que ça peut bien te fiche ?
— Moi ? Oh ! rien du tout, dit Martial, faisant un effort pour dissimuler l’émotion qu’il avait eue.
— Selon toute apparence, il s’agit d’un isolé, un peu déséquilibré. Cela te montre tout de même que j’ai raison de ne pas dormir sur mes deux oreilles.
— Mais, bon Dieu !... » Martial Gaur se sentait maintenant envahi par une rage difficile à contrôler et il dut agripper les bras de son fauteuil pour dissimuler le tremblement de ses mains. Il avait soudain l’impression qu’une ténébreuse légion d’imbéciles ou de fanatiques fomentaient une conspiration contre lui et s’ingéniaient à contrecarrer ses propres plans.
« Bon Dieu l Que fichent donc tous vos services de sécurité ?
On ne laisse pas les déséquilibrés dangereux courir dans les rues les jours de visite présidentielle ! »
Herst parut ressentir cette remarque et le ton sur lequel elle était faite comme une critique à son égard et éprouva le besoin de se justifier.
« Sois tranquille. Nous pensons à eux. Seulement, tous les demi-fous ne sont pas étiquetés. Après tout, nous ne sommes pas si maladroits, puisque celui-ci a été repéré à temps.
— A temps ? Tout juste ? Et cela vous suffit ? A dix mètres seulement du président, m’as-tu dit ! »
Gaur ne parvenait pas à se calmer malgré ses efforts et, dans son indignation aveugle, semblait de plus en plus accuser les gardes du corps d’amateurisme. La sécurité du président lui causait en ce moment plus de soucis qu’au malheureux Herst.
« Et c’est lui-même qui nous rend la tâche si difficile, protesta celui-ci sur un ton penaud. A chaque instant, il bouleverse les programmes les mieux établis, rendant nos précautions illusoires. Et son étourdie de femme est pire que lui... Ne l’a-t-elle pas entraîné dans la rue, l’autre jour, à neuf heures du matin, alors que la sortie n’était prévue que pour dix heures... Une fugue, parfaitement. Tous les deux seuls, sans un garde, bras dessus, bras dessous comme deux amoureux, avec simplement des lunettes noires... Puéril !
— Puéril ! C’est tout ce que vous trouvez ?
— Moi, j’appelle cela de la démence, hurla Martial Gaur, emporté de nouveau au faîte de l’indignation. Et toi, qui ne devrais pas le quitter d’une semelle, tu le laisses accomplir des folies pareilles ! Et aussi, tu m’avais juré que je serais prévenu s’il y avait une occasion...
— Je te dis que je l’ignorais moi-même. Il n’avait avisé personne. C’est une envie qui semble avoir subitement jailli dans sa cervelle d’oiseau à elle, et il s’est laissé entraîner comme un gamin... Ils sont restés un quart d’heure dehors, à se promener, à lécher les vitrines, jouant les touristes étrangers.
Tu imagines ! Heureusement, personne ne les a reconnus. Les plus grandes folies réussissent parfois. C’est son valet de chambre qui m’a alerté... Ma foi, quand il est revenu, Pierre Malarche, président de la République, je lui ai demandé un entretien particulier dans des termes assez froids. Il me l’a accordé. Il avait l’air assez embêté. Et là, en dépit de l’étiquette, je me suis presque mis en colère...
— Il y avait de quoi, maugréa encore le photographe. A ta place, je l’aurais menacé de démissionner.
— C’est à peu près ce que j’ai fait. J’aurais voulu que tu voies la scène. Il se rendait compte qu’il avait passé les bornes. Je t’assure qu’il avait l’air d’un collégien pris en flagrant délit d’école buissonnière. Voilà. Seulement, je ne peux pas rester longtemps fâché avec lui. Je l’aime bien et je me mets à sa place... Enfin, il m’a promis de ne plus recommencer, du moins sans me prévenir à l’avance...
— C’est bien le moins qu’il puisse faire, murmura Gaur sur un ton plus calme, mais encore assez sec.
— ... Car c’est son intention de recommencer et même très prochainement. C’est à ce sujet que je suis venu te parler, car je n’oublie pas mes promesses, quoi que tu en dises. Cette fois, il s’agit d’une escapade sérieuse, qui durera presque une journée entière. Alors, comme il ne peut pas s’en tirer tout seul, non seulement papa Herst est prévenu, mais c’est lui qui est chargé de tout organiser. Tu te rends compte du métier qu’il me fait faire ? Dans le fond, je ne suis pas sûr que je préfère cela. C’est pire pour moi s’il arrive quelque chose ; mais c’est ainsi. Donc, j’ai reçu la mission délicate de lui préparer une journée de vacances, au bord de la mer, dans un endroit tranquille, où ils puissent roucouler en paix, lui et sa donzelle..., et nous, les gorilles, assez loin pour qu’ils ne nous voient pas, ne nous entendent pas, ne nous sentent pas derrière leur dos. Tu vois ça d’ici !... Il paraît qu’elle nous a pris en horreur, elle.
— Merci de me prévenir, dit Martial, maintenant en possession de tout son sang-froid et en jetant un coup d’œil furtif à la porte de communication entre les deux chambres.
C’est pour quand et où ?
— Quand ? Je peux te le dire tout de suite. Mercredi prochain. C’est le seul jour libre de son emploi du temps. Il est supposé se reposer ce jour-là dans un domaine de l’arrière-pays où, en fait, il n’arrivera que le soir...
— Bon, fit Martial Gaur avec soulagement Cela me laisse donc cinq jours pour me préparer.
—... Où ? Je n’en sais rien encore et c’est à ce sujet justement que je veux te demander un service.
— Que puis-je faire, demanda le photographe avec un début d’émotion, car il commençait à deviner où voulait en venir son ami et apercevait pour lui des perspectives nouvelles gonflées de possibilités.
— Voilà. Le président est très gentil, mais je n’ai pas le temps de m’occuper de ça, moi. Je ne peux pas à la fois avoir un œil sur lui et courir les plages. Je ne peux pas non plus demander d’aide aux autres policiers. Ils n’accepteraient sûrement pas et le secret serait vite éventé. Alors, j’ai pensé à toi...