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« Où qu’il se place, l’angle de tir est bon, dit-il. Je commence à croire que vous avez raison. Nous n’avons jamais été aussi près du but... A condition qu’ils ne prennent pas d’autres mesures de sécurité que nous ne pouvons prévoir.

— Je vous répète qu’il n’y en aura pas d’autres. Herst a tout expliqué à Gaur, en déplorant cette imprudence. Mais les ordres de Malarche sont formels. Les trois gorilles habituels seront là, et c’est tout. Encore devront-ils se tenir hors de la vue du couple. Ils seront sur la petite route, à plus de trois cents mètres. Le président l’a exigé.

— Comment pouvez-vous en être certaine ?

— Herst a pris Martial comme confident dans cette affaire, et vous savez bien que celui-ci n’a plus aucun secret pour moi, dit-elle en haussant les épaules. Je suis au courant de tous les détails. Après bien des hésitations, Herst a même préféré ne pas faire garder les routes par la police locale. Du moment qu’il lui est impossible d’exercer une surveillance totale, il a jugé que la meilleure sécurité était le secret absolu.

― Sauf vis-à-vis de son ami Gaur, ricana Verveuil.

― Sauf vis-à-vis de Gaur, qui est au-dessus de tout soupçon et dont il ne peut mettre la discrétion en doute... Donc, Malarche abattu, puisque vous êtes sûr de vous, avant que les trois gardes du corps aient atteint la plage, porté secours à leur patron et se soient rendu compte d’où vient le coup, nous serons loin.

— Oui, répéta Verveuil. L’affaire semble bien se présenter.

Dans deux jours, le pays sera débarrassé de cet imposteur et nous aurons enfin un gouvernement propre. »

Ce genre de déclamations laissait Olga complètement indifférente. Son regard s’était fixé sur un point de la plage. Elle resta ainsi un long moment, le visage tendu, les dents serrées, comme si elle avait oublié son compagnon. Elle s’arracha enfin à cette contemplation et parla, comme pour elle-même.

« Martial se doutera-t-il de l’aide qu’il nous a apportée et du rôle que j’ai joué auprès de lui ?

— Cela vous importe-t-il ? »

Elle ne daigna pas répondre et poursuivit sa propre pensée.

« Je pense que oui. Il le devinera en constatant ma disparition.

— Herst va le soupçonner d’avoir été bavard, puisque il est le seul dans le secret, murmura Verveuil, soudain alarmé. Et, de fil en aiguille...

— Ne craignez donc rien. Je disparaîtrai sans laisser de traces. Toutes les adresses que je lui ai données sont fausses.

— J’espère que vous ne lui avez pas révélé votre véritable identité.

— Je vous répète que vous pouvez être tranquille de ce côté », fit-elle avec dédain.

Ces détails ne présentaient aucune importance pour elle, une fois le but atteint. C’est avec une certaine condescendance qu’elle s’employa encore à rassurer son complice.

« D’ailleurs, Martial ne parlera pas de moi. J’en ai la certitude.

— Ce serait en effet avouer son indiscrétion, approuva-t-il après un instant de réflexion.

— Pour ce motif ou pour un autre », fit-elle d’un air rêveur.

Il était évident qu’elle ne désirait pas en dire plus long sur ce chapitre. Verveuil haussa les épaules.

« Après tout, vous devez le connaître maintenant mieux que moi.

— Avec lui, je n’ai eu qu’une crainte », reprit-elle, toujours songeuse, comme si elle poursuivait un monologue.

Elle avait redouté que Gaur lui demandât de l’accompagner et d’être près de lui quand il prendrait la photo. Il lui aurait été impossible alors d’échapper à l’inquisition des policiers, après l’attentat. Mais non, il avait été parfait, comme toujours.

« C’est lui-même qui a soulevé ce point le premier, mais pour me rassurer. L’idée lui était venue que j’aurais aimé être présente. Il comprenait fort bien, m’a-t-il dit, à quel point un tel spectacle devait exciter ma curiosité.

Avec une grande délicatesse – il en a toujours montré beaucoup à mon égard – il m’a demandé si cela ne me décevait pas trop de ne pas être de la partie. Cela l’aurait gêné. Il aime opérer seul pour des prises de vue importantes et il considère un peu celle-là comme le couronnement de sa carrière. Ainsi, je suis libre. Il nous aura apporté son aide jusqu’au bout.

— Il ne sera pas déçu quant à la photographie, ricana Verveuil. En somme, nous prouverons notre reconnaissance à cet imbécile, à notre manière. »

Olga haussa les épaules et ne répondit pas. Ils n’avaient plus rien à voir. Ils reprirent le sentier et regagnèrent la route. Là, ils s’assurèrent qu’il ne manquait pas de bonnes cachettes pour dissimuler complètement la moto dans les broussailles, car c’est avec le même véhicule qu’ils se rendraient le surlendemain sur les lieux. Le fusil démonté tenait dans un étui de canne à pêche.

Un couple, à motocyclette, avec un tel attirail, ne pouvait attirer l’attention sur la côte. Tous les détails de l’opération semblaient parfaitement au point.

Avant de partir, Verveuil eut encore une pensée pour Martial Gaur.

« Je suis tout à fait de votre avis, dit-il, avec un nouveau ricanement. Cet idiot de Gaur est parfait pour nous. Il a aplani toutes nos difficultés, résolu presque tous nos problèmes, sans en avoir conscience. Je crois même maintenant, moi, qu’il ne se doutera jamais du rôle que nous lui avons fait jouer. Il est vraiment trop naïf. »

VI

LE mardi, la veille du grand jour, Martial Gaur vint s’installer dans la crique, l’esprit alerte, le cœur exalté en permanence par un rythme de pulsation étrange, que seuls connaissent les amoureux de l’aventure, avant de s’engager dans la dernière étape, pleine de risque, d’une entreprise audacieuse, au bout de laquelle leur œil enfiévré découvre le rayonnement magique du succès.

Depuis bien longtemps, il n’avait connu ces heures d’attente passionnée, les plus enivrantes de son existence, et la volupté inespérée de retrouver l’enthousiasme de sa jeunesse s’ajoutait à la surexcitation. C’était la raison principale de son installation dans la crique avant le lever du rideau. Il voulait passer cette veillée d’armes sur place, pour faire les derniers préparatifs matériels, certes, mais surtout pour se recueillir. Toute œuvre d’art exige au préalable l’intense concentration de la solitude.

Son autre motif de venir si tôt était de faciliter le plan des conjurés. Lui parti, Olga aurait toute latitude de faire ses bagages, quitter leur hôtel de Marseille et rejoindre son complice, qui devait avoir besoin d’elle. Peut-être laisserait-elle un message pour lui, donnant un prétexte à son départ précipité et lui faisant part de sa pénible décision de disparaître à jamais de sa vie ? Il se prenait par moments à imaginer en souriant le texte de ce message.

Il rangea sa voiture à quelque distance de la crique, sans chercher à la dissimuler. La présence d’une automobile était normale près de la tente de touriste qu’il allait habiter et ne pouvait causer d’ombrage au président. La calanque n’était pas complètement déserte, cet après-midi. Trois jeunes gens, venus sans doute d’une plage voisine, se baignaient autour d’une barque. Ils remarquèrent à peine Martial et leur présence ne le dérangeait en aucune façon.