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« Chéri, il y a si longtemps que j’attendais un moment pareil ! Enfin, tous deux seuls, sans témoin gênant ! Enfin libres ! »

IX

GAUR n’avait pas quitté le couple des yeux depuis l’instant où il le vit apparaître au bord de la crique, encore assez loin de la plage sablonneuse à laquelle tant d’espoir était attaché. Il fut témoin du long baiser qu’ils échangèrent au bord de l’eau. Il vit, lui aussi, la jeune femme se séparer de son mari, se débarrasser en un clin d’œil de ses vêtements et courir vers la mer. Pierre Malarche ne fut pas long à l’imiter et les divers personnages clandestins de cette scène eurent le privilège d’assister au spectacle d’un chef d’Etat en slip de bain, se précipitant par jeu à la poursuite de sa compagne qui nageait déjà vers le large, tous deux poussant de joyeuses exclamations puériles.

Dans la crique seulement animée par leurs ébats, les deux amants s’amusaient comme des écoliers en vacances. Pierre Malarche ne s’était pas senti le cœur aussi léger depuis bien longtemps et les gamineries de sa compagne lui arrachaient à chaque instant des éclats de rire. Cette journée lui était d’autant plus précieuse qu’elle avait été obtenue par fraude et qu’il avait eu une peine infinie à se la ménager, parmi la multitude des ennuyeuses corvées officielles. Il était bien résolu à la prolonger le plus longtemps possible. Rien ne le pressait aujourd’hui. La France entière le croyait dans un château, à quelques kilomètres de là. Il ne s’y rendrait, en fait, qu’un peu avant la nuit. Aussi poursuivirent-ils leurs ébats pendant une durée insolite, nageant, plongeant des rochers à pic dans une eau claire à peine troublée par quelques ondulations. Ils ne se résignèrent à regagner la terre qu’après avoir épuisé tous les plaisirs de la mer, hors d’haleine, aspirant maintenant à la chaleur du soleil.

Ils prirent pied en titubant un peu, inspectèrent du regard l’étendue déserte de la plage et hésitèrent à peine quelques secondes. Avec un simple coup d’œil d’entente évidente, ils se dirigèrent d’un commun accord vers un banc de sable particulièrement engageant, que nulle brindille ne salissait et complètement dégagé à cette heure de l’ombre des pins. Ils y étendirent leurs serviettes de bain et s’allongèrent côte à côte, sans parler, le visage tourné vers le ciel. A quelques dizaines de mètres derrière eux, Olga étreignit l’épaule de son compagnon.

Martial Gaur connut que son heure avait sonné. Il avait vécu jusqu’alors de longues minutes éprouvantes, partagé entre l’impatience, la crainte et une sorte de regret, l’impatience tenait à la durée imprévisible de ce bain, pendant lequel le soleil se déplaçait dans le ciel, modifiant le jeu des ombres. Sa crainte était que Verveuil se lassât d’attendre et tentât un coup de loin, dans l’eau, coup hasardeux et qui ne pouvait donner lieu à aucune prise de vue spectaculaire, même s’il réussissait.

Son regret était aussi d’ordre professionnel. Il s’en voulait de laisser perdre des occasions rares. Un instinct puissant le poussait à chaque instant à braquer son appareil sur le couple et à capter quelques-unes de ces images tout de même insolites et précieuses qui défilaient sous ses yeux. C’était une série de tentations auxquelles il était difficile de résister et il avait d’ailleurs cédé à la première : le chef de l’Etat et sa jeune épouse pâmes dans un baiser dans une calanque déserte ! C’était déjà un cliché qui ferait le tour du monde. Il avait visé et appuyé sur la détente d’un geste impulsif.

Pour se retenir de recommencer cette imprudence, il fut obligé de se raisonner, de se réprimander avec sévérité, de considérer la somme de patience et d’ingéniosité qu’il avait déployée pour préparer la naissance d’une œuvre sans rivale.

C’est en songeant à cette œuvre d’art avec toute sa volonté, en concentrant toute la force de sa vision sur l’éclat incomparable de ce diamant noir, unique, éclipsant toutes les autres pierres précieuses, qu’il était parvenu à échapper à la tentation et à rester tapi, immobile dans son repaire. Même s’il n’avait que peu de chances d’être découvert en enregistrant quelques images du bain, une sorte de devoir, un devoir pénible mais sacré, imposé par la suprématie d’un art souverain, lui interdisait de prendre le moindre risque.

Son cœur se mit à battre à un rythme frénétique quand il vit les baigneurs sortir de l’eau et se diriger vers l’emplacement qu’il avait choisi pour eux. Dieu soit loué ! Il n’était pas trop tard. Le jeu de la lumière et des ombres était à peine modifié.

Les trois rochers en forme d’aigle flamboyaient même d’un éclat plus intense encore qu’il ne l’avait espéré.

Il tenait son appareil braqué collé contre son visage.

Qu’attendait donc Verveuil ?

Pierre Malarche était maintenant immobile depuis plus d’une minute. Une légère sueur perla au front du photographe.

Il se calma aussitôt qu’il aperçut le canon du fusil émerger de la broussaille, entre les deux blocs de granit, s’abaisser un peu, tâtonner un court instant, puis s’immobiliser. Ce fut de nouveau en possession de tout son sang-froid qu’il appliqua son œil au viseur, le doigt sur la détente.

Peut-être son geste un peu précipité fit-il tressaillir ta tente et les aiguilles de pin qui l’entouraient ? Peut-être un rayon de soleil se refléta-t-il sur son appareil, tandis qu’il se penchait un peu au-dehors ? Le fait est que l’attention de Malarche fut attirée et qu’il se redressa soudain, appuyé sur un coude, tourné vers la tente, le regard irrité, agité par le soupçon que ses ordres n’étaient pas suivis.

Ce geste furtif lui évita d’avoir le crâne fracassé. La balle destinée à sa nuque l’atteignit seulement à l’épaule. Martial Gaur avait pris un premier cliché au moment même du tir.

Tandis qu’il opérait pour la seconde fois, son œil impeccable reconnut tout de suite que le président n’était pas frappé à mort.

Pierre Malarche restait prostré sur le sol, serrant son épaule blessée de sa main valide. Sa face n’exprimait d’autre sentiment qu’un étonnement intense. Rien n’y apparaissait du rayonnement pathétique qu’avait rêvé le photographe.

Un vent de panique glaça l’âme de Martial : le souffle fétide de l’échec. Mais il ne pouvait s’attarder à maudire ce coup du sort. Herst et ses hommes devaient déjà bondir vers la plage. Il se précipita lui-même vers la victime, pour la saisir à bout portant suivant le plan établi, même si ses manifestations n’étaient pas conformes à son espérance.

Pendant qu’il accomplissait le plus vite possible le trajet étudié avec tant de soin, obligé tout de même de garder un œil sur le sol pour éviter les obstacles, il eut l’impression, plutôt que la perception précise, que plusieurs événements simultanés importants se déroulaient dans la calanque.

Ce fut d’abord un deuxième coup de feu, au moment, même où il sortait de sa tente. C’est-à-dire comme l’écho du premier.

Ceci ne le surprit pas tout d’abord : il attendait, il espérait de toute son âme une autre tentative de Verveuil, réparant sa précédente maladresse. Mais l’impression d’écho lointain le remplit de trouble. Une troisième détonation confirma son soupçon que le tir venait d’un autre point. Son oreille enregistra aussitôt après des craquements de branches et un bruit de broussaille foulée, comme par quelqu’un qui prendrait précipitamment la fuite. Ensuite, sur la plage même, une ombre croisa son chemin, qui courait le long de la mer vers la route, tandis qu’il avait le regard fixé sur le sol. Enfin, comme il arrivait près du corps étendu sur le sable, il aperçut, distinctement cette fois, un autre personnage, qui sortait du bois et se précipitait vers le blessé.