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Le garçon poussa un hurlement dans la matrice de granit.

Le Pistolero tira dans la poitrine du mutant. Il se mit à baver à travers son sourire. Jake basculait sur le côté. Le Pistolero le saisit par le bras et fut presque déséquilibré lui-même. La chose était d’une force à peine croyable. Le Pistolero lui mit une autre balle dans la tête. Un œil s’éteignit comme une bougie soufflée. Pourtant la créature tirait toujours. Ils s’engagèrent dans une lutte acharnée pour le corps de Jake, qui tressautait et se tortillait. Les Lents Mutants tiraient sur ses jambes par saccades, comme sur un bréchet. Leur vœu serait indéniablement de faire ripaille.

La draisine perdait de la vitesse. Les autres commencèrent à les encercler — les boiteux, les estropiés, les aveugles. Peut-être ne cherchaient-ils qu’un Jésus qui pourrait les soigner, les sortir des ténèbres, comme Lazare.

C’est la fin, pour le garçon, pensa le Pistolero avec une froideur parfaite. C’est la fin qu’il a programmée. Laisser faire et pomper ou bien tenir bon et se faire enterrer. La fin pour le garçon.

Il tira de toutes ses forces sur le bras de Jake et tua le mutant d’une balle dans le ventre. Pendant une seconde suspendue, son emprise se resserra encore et Jake se remit à glisser du bord. Puis les paluches boueuses et mortes lâchèrent prise, et le Lent Mutant tomba le visage à terre, souriant toujours, derrière la draisine qui ralentissait.

— J’ai cru que vous alliez me laisser, sanglotait le garçon. J’ai cru… j’ai cru…

— Accroche-toi à mon ceinturon, fit le Pistolero. Accroche-toi aussi fort que tu peux.

Les mains remontèrent jusqu’à son ceinturon et s’y arrimèrent. La respiration du garçon se faisait par grands halètements convulsifs et silencieux.

Le Pistolero se remit à jouer des bras à un rythme régulier, et la draisine reprit de la vitesse. Les Lents Mutants reculèrent et les regardèrent s’éloigner avec des visages à peine humains (ou d’une humanité pathétique), des visages qui produisaient cette phosphorescence sourde, propre aux poissons étranges des profondeurs, qui vivent sous cette incroyable pression noire ; des visages qui ne trahissaient ni colère ni haine, seulement ce qui ressemblait à du regret, idiot et à peine conscient.

— Ils se dispersent, souligna le Pistolero.

Les muscles bloqués de son bas-ventre et de ses parties se relâchèrent un soupçon.

— Ils se…

Les Lents Mutants avaient placé des pierres sur les rails. La voie était bloquée. Ils l’avaient fait à la va-vite, il ne faudrait sans doute pas plus d’une minute pour tout défaire, mais ils n’en demeuraient pas moins bloqués. Et il faudrait que quelqu’un descende dégager le passage. Le garçon se mit à gémir et s’accrocha au Pistolero en tremblant. Le Pistolero lâcha le manche de la draisine et cette dernière alla cogner sans bruit contre les rochers, où elle s’immobilisa dans une secousse.

Les Lents Mutants commencèrent à se rapprocher, presque avec désinvolture, presque comme s’ils ne faisaient que passer par là, perdus dans un rêve de ténèbres, et qu’ils avaient trouvé quelqu’un à qui demander leur chemin. Une assemblée de damnés sous cette montagne ancestrale.

— Ils vont nous avoir, hein ? demanda le garçon d’un ton calme.

— Jamais de la vie. Tais-toi une seconde.

Il jeta un œil en direction de la voie. Les mutants étaient faibles, et il allait de soi qu’ils n’avaient pas pu bouger eux-mêmes les rochers qui leur bloquaient le passage. Rien que des petites pierres. Juste histoire de les retarder, d’obliger quelqu’un à…

— Descends, dit le Pistolero. Il va falloir que tu les déplaces. Je te couvre.

— Non, chuchota le garçon. Je vous en supplie.

— Je ne peux pas te confier une arme et je ne peux pas déplacer les pierres et tirer à la fois. Il faut que tu descendes.

Les yeux de Jake roulèrent d’une manière horrible. Pendant un instant, son corps trembla à l’unisson des pensées qui se tordaient dans son esprit, puis il gagna le bord de la plateforme en se tortillant, descendit et se mit à balancer les pierres à droite et à gauche, avec une rapidité maladive, sans lever la tête.

Le Pistolero dégaina et attendit.

Deux des créatures, titubant plus qu’elles ne marchaient, s’avancèrent vers le garçon, tendant leurs bras mous comme de la guimauve. Les pistolets remplirent leur tâche, zébrant l’obscurité de lances de lumière incandescente qui enfonçaient dans la rétine du Pistolero leurs aiguilles de douleur. Tout en hurlant, le garçon continuait à balancer les pierres de part et d’autre de la voie. La phosphorescence diabolique sautait et dansait. Plus difficile à percevoir désormais, et c’était bien là le pire. Tout n’était plus qu’ombres et images rémanentes.

L’une des créatures, qui ne brillait plus qu’à peine, se jeta soudain sur le garçon, avec des bras de croque-mitaine en caoutchouc. Elle roulait mollement des yeux humides qui lui mangeaient la moitié de la tête.

Jake poussa un nouveau hurlement et se retourna pour l’affronter.

Le Pistolero tira sans même réfléchir, avant que sa vision tachetée de pointes de lumière ne trahisse ses mains en un tremblement fatal. Quelques centimètres à peine séparaient les deux têtes. Ce fut le mutant qui tomba.

Jake se remit à lancer les pierres avec des mouvements vifs. Les mutants fourmillaient juste au-delà de la limite du visible, se rapprochant petit à petit, dangereusement près. D’autres les avaient rejoints, augmentant les troupes.

— Bien, dit le Pistolero. Remonte. Vite.

Dès que le garçon bougea, les mutants se jetèrent sur eux. Jake avait déjà sauté sur la plate-forme et tentait de se remettre debout. Déjà le Pistolero avait repris les commandes et pompait à fond. Les deux pistolets avaient repris leur place. Il leur fallait fuir au plus vite. C’était leur seule chance.

Des mains inconnues frappaient la plaque métallique de la plate-forme. À présent le garçon s’accrochait à deux mains au ceinturon du Pistolero, et il avait enfoui le visage dans le bas de son dos.

Un groupe de créatures se mit à courir sur la voie, leurs figures remplies de cette attente stupide et désinvolte. Le Pistolero était gonflé d’adrénaline ; la draisine volait littéralement sur les rails, trouant l’obscurité. Ils percutèrent avec force les quatre ou cinq pitoyables mutants. Ils volèrent comme des bananes pourries.

En avant, toujours plus avant, dans les ténèbres maléfiques, tournoyantes et silencieuses.

Au bout d’un long moment, le garçon leva le visage contre le vent, mu par le besoin de savoir, malgré sa peur. Les fantômes lumineux des balles scintillaient toujours sur ses rétines. Il n’y avait rien d’autre à voir que l’obscurité et rien d’autre à écouter que le roulement de la rivière.

— Ils sont partis, dit-il, craignant soudain que la voie ferrée ne s’interrompe dans le noir, et redoutant le fracas douloureux quand ils sauteraient par-dessus les rails pour plonger vers leur perte, en tourbillonnant.

Il était déjà monté dans des voitures ; une fois, son père, cet être dénué d’humour, avait roulé à cent trente sur l’autoroute du New Jersey ; il s’était fait arrêter par un flic qui avait ignoré le billet de vingt qu’Elmer Chambers avait glissé dans son permis, et qui lui avait mis une contredanse de toute façon. Mais il n’avait jamais fait de balade dans ce genre, à l’aveuglette, avec pour compagnons le vent et la terreur, devant comme derrière, avec le grondement de la rivière comme une voix qui gloussait — la voix de l’homme en noir. Les bras du Pistolero étaient les pistons d’une usine humaine devenue folle.