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Les doigts de Keira abandonnèrent le pendentif, elle posa ses deux mains sur la table et regarda longuement le professeur.

– Nous ne connaîtrons probablement jamais la réponse.

– Qu'en savez-vous ? Tout n'est qu'une question de patience, de détermination et d'ouverture d'esprit. Il suffit parfois de regarder au plus près pour voir ce qui au loin nous échappe.

– Pourquoi me dites-vous cela ?

– Vous avez passé trois années de votre vie à fouiller la terre à la recherche de quelques os fossilisés, qui vous permettraient de percer le mystère de l'origine de l'humanité. Il aura fallu que nous nous rencontrions et que je pique votre curiosité pour que vous commenciez seulement à regarder attentivement cet objet insolite que vous portez autour du cou.

– Quelle drôle de comparaison ! Il n'y a aucun rapport entre cette pierre et...

– Ce n'est pas de la roche, ce n'est pas du bois, et nous sommes incapables de dire de quoi il est fait. Mais sa perfection nous conduit à douter que la nature l'ait ainsi façonné ! Vous trouvez toujours ma comparaison si drôle que cela ?

– Qu'est-ce que vous êtes en train de me dire ? demanda Keira en serrant son collier entre ses doigts.

– Et si ce que vous cherchez depuis toutes ces années se trouvait tout simplement pendu à votre cou ? Depuis votre retour en France, vous rêvez à chaque seconde de retourner dans la vallée de l'Omo, n'est-ce pas ?

– C'est aussi visible que ça ?

– La vallée de L'Omo est sur votre poitrine, jeune fille. Tout du moins, peut-être l'un des plus grands des mystères qu'elle recelait.

Keira hésita un instant et partit dans un grand éclat de rire.

– Ivory, vous avez vraiment failli m'avoir ! Vous étiez si convaincant, j'en avais la chair de poule. Je sais qu'à vos yeux je ne suis qu'une jeune archéologue qui arrive en retard à ses rendez-vous, mais quand même ! Nous n'avons aucun élément qui nous permette de croire que cet objet ait une réelle valeur scientifique.

– Je vous repose ma question, cet objet est bien plus vieux que tout ce que nous imaginions, aucune technique moderne n'a réussi à en prélever le moindre fragment, pas plus qu'à le dater de façon certaine, comment expliquez-vous qu'il ait été poli de façon aussi remarquable ?

– Je reconnais que c'est intrigant, confia Keira.

– Je suis heureux que vous vous posiez cette question chère Keira, comme j'ai été heureux de faire votre connaissance. Voyez-vous, depuis mon petit bureau à l'étage, l'espoir de faire une dernière découverte était, vous en conviendrez, assez faible. Et pourtant, grâce à vous, moi aussi j'ai fait mentir les statistiques.

– Alors, j'en suis ravie, dit Keira.

– Je ne parlais pas de cet objet. L'identifier vous appartient.

– Mais alors de quelle découverte parliez-vous ?

– Eh bien, d'avoir rencontré une sacrée bonne femme !

Ivory se leva et quitta la table. Keira le regarda s'éloigner, il se retourna une dernière fois et adressa un petit geste de la main à sa nouvelle amie.

*

*     *

Londres

Il ne nous restait guère plus d'une semaine pour remettre notre dossier de candidature. Ce projet avait fini par accaparer tout mon temps. Nous avions pris l'habitude de nous retrouver avec Walter en fin de journée, à la bibliothèque de l'Académie où je lui présentais la synthèse de mes travaux de la journée ; après lui avoir répété mon texte – nous nous disputions souvent – nous allions dîner dans un petit restaurant indien du quartier. La serveuse avait un sérieux décolleté et ni Walter ni moi n'y étions insensibles. Après ces dîners durant lesquels la serveuse en question ne nous adressait jamais le moindre regard, nous poursuivions nos conversations en allant marcher le long de la Tamise. Même quand la pluie était au rendez-vous, nous ne renoncions pas à cette promenade nocturne.

Mais, ce soir-là, j'avais réservé une surprise à mon acolyte. Ma MG faisant un caprice de vieille dame depuis le week-end précédent, un taxi nous déposa à la gare d'Euston, non loin de celle de King's Cross. Nous étions en retard et plutôt que de répondre à la vingtième interrogation de Walter – « Mais où allons-nous ? » –, je l'entraînai dans une course effrénée vers le quai d'où partait notre train. Le convoi commençait à s'ébranler, je poussai Walter sur la plateforme du wagon de queue et trouvai juste le temps de m'y hisser à mon tour. Déjà les rails crissaient sous les boggies.

La banlieue de Londres céda la place à la campagne anglaise qui, à son tour, s'effaça devant la banlieue de Manchester.

– Manchester ? Qu'est-ce que nous venons faire à Manchester à 10 heures du soir ? demanda Walter.

– Qui vous dit que nous sommes arrivés à destination ?

– Le fait que le contrôleur vienne d'annoncer : « Terminus tout le monde descend », par exemple !

– Et les correspondances, mon cher Walter ? Allez, prenez votre sacoche et venez, nous avons à peine dix minutes devant nous.

Nouvelle course à travers les souterrains de la gare et nous voilà tous deux embarqués dans l'omnibus qui filait cette fois vers le sud.

La petite station de Holmes Chapel n'accueillit que nous ce soir-là, et le chef de gare eut vite fait de libérer d'un coup de sifflet le convoi d'où nous venions de descendre. La rame disparaissait déjà. Je regardai ma montre, guettant la voiture qui devait venir nous chercher. De toute évidence, celui que j'attendais était en retard.

– Bien, il est maintenant 10 h 30, j'ai avalé pour tout dîner cet infâme sandwich au concombre et à la dinde lyophilisée que vous avez eu la générosité de m'offrir, nous sommes en rase campagne, et ici ce mot prend tout son sens. Allez-vous me dire oui ou non ce que nous fichons dans ce trou perdu ?

– Non !

Walter fulminait et je dois avouer que je prenais un certain plaisir à le voir enrager. Enfin apparut, sur la petite route qui longeait la gare, un vieux break Hillman de 1957 que je reconnus aussitôt ; Martyn n'avait donc pas oublié le rendez-vous que je lui avais fixé la veille par téléphone.

– Désolé, dit-il en descendant par le hayon arrière. Je suis horriblement en retard, mais nous étions tous concentrés sur ce qui vous amène ce soir et je n'ai pu me libérer plus tôt. Montez vite, si vous ne voulez pas rater l'événement ! Je suis obligé de vous faire passer par là, ajouta mon vieil ami et collègue, en désignant le hayon. Les satanées portières de cette voiture ne s'ouvrent plus depuis que leurs poignées me sont restées dans les mains et il n'y a plus beaucoup de pièces détachées en circulation.

La voiture n'était plus qu'un tas de tôle rouillée, le pare-brise était fêlé sur toute sa longueur. Walter demanda d'une voix fébrile si nous allions loin. Quelques brèves présentations d'usage et Martyn s'engouffra le premier dans l'habitacle, enjambant la banquette arrière. Une fois derrière son volant, il demanda à Walter d'avoir la bienveillance de tirer de toutes ses forces sur le hayon pour le refermer, mais pas trop fort quand même. Nous quittâmes la petite gare et nous élançâmes sur les routes cahoteuses du comté de Macclesfield.