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Et dans le train de Londres, alors que Manchester s'éloignait, Walter me confia que si les membres de la Fondation Walsh ne sélectionnaient pas notre projet, ce serait à son sens une terrible injustice.

*

*     *

Paris

Comme elle l'avait juré à Max, Keira passa toutes les soirées de la semaine à partager des moments complices avec sa sœur.

– Tu penses souvent à papa ?

Keira passa la tête à travers la porte de la cuisine et vit Jeanne qui contemplait une tasse en porcelaine.

– Il buvait son café dedans tous les matins, dit Jeanne en versant une tisane dans la tasse avant de l'offrir à Keira. C'est idiot, chaque fois que je la vois dans ce placard, cela me fiche le bourdon.

Keira observait sa sœur en silence.

– Et, chaque fois que je m'en sers, j'ai l'impression qu'il est là, en face de moi et qu'il me sourit. C'est ridicule, non ?

– Non. Confidence pour confidence, j'ai gardé une de ses chemises ; je la porte de temps en temps et j'ai la même sensation que toi. Dès que je l'enfile, c'est comme s'il passait la journée avec moi.

– Tu crois qu'il serait fier de nous ?

– Deux filles célibataires, sans enfants et qui se retrouvent à partager le même appartement à la trentaine passée ? Je pense que si le paradis existe, c'est le toboggan vers l'enfer dès qu'il jette un œil ici-bas pour voir ce que nous sommes devenues.

– Papa me manque, Keira, tu ne peux pas savoir à quel point, et maman aussi.

– Tu veux bien changer de sujet de conversation, Jeanne ?

– Tu vas vraiment repartir en Éthiopie ?

– Je n'en sais rien. Je ne sais même pas ce que je ferai la semaine prochaine. Et il faudrait que je me débrouille pour trouver quelque chose très vite, sinon tu vas bientôt devoir m'entretenir.

– Ce que je vais te dire va te paraître égoïste, mais je voudrais tellement que tu restes. Papa et maman nous manquent, mais c'était dans l'ordre des choses, et puis je veux croire qu'ils sont réunis ; mais nous, nous sommes en vie, et, que tu sois si loin, c'est trop de temps perdu.

– Je sais Jeanne, mais tôt ou tard tu rencontreras un autre Jérôme, et le bon cette fois. Tu auras des enfants, et tante Keira viendra leur rendre visite en rentrant de mission, avec plein de belles histoires à leur raconter. Et puis tu es ma sœur, même quand je suis loin, je pense à toi. Je te promets que si je repars, j'appellerai plus souvent et pas seulement pour échanger des banalités.

– Tu as raison, changeons de conversation, je n'avais pas le droit de te dire ça. Je veux que tu vives là où tu es la plus heureuse. Bon, soyons pragmatiques et mettons mes états d'âme de côté. Qu'est-ce qu'il te faudrait pour retourner dans ta vallée de l'Omo ?

– Une équipe, du matériel, de quoi payer la première et de quoi acquérir le second, autant dire une broutille !

– Combien ?

– Bien au-delà de ton plan épargne-logement, ma grande sœur.

– Pourquoi tu n'essaies pas de te faire financer par le secteur privé ?

– Parce que les archéologues se promènent rarement devant les caméras de télévision avec des tee-shirts qui vantent des marques de lessives, de boissons gazeuses ou de je ne sais quelles banques. Du coup les mécènes se font rares, pour ne pas dire inexistants. Remarque, c'est une idée, on pourrait tenter d'organiser un rallye. Un genre de course en sac de pommes de terre, avec des truelles à la main. Le premier qui réussit à déterrer un os gagne un an d'abonnement à une revue canine.

– Ne tourne pas tout en dérision, ce n'est pas complètement idiot ce que je te dis. C'est fatigant, dès qu'on émet une idée, la première réponse est toujours : « Ce n'est pas possible » ! Si tu présentais tes travaux à certaines fondations, tu aurais peut-être des opportunités ? Qu'est-ce que tu en sais ?

– Tout le monde se moque de mes recherches, Jeanne. Qui serait prêt à miser le moindre euro sur moi ?

– Je crois que tu ne te fais pas assez confiance. Tu viens de passer trois ans sur le terrain, tu as noirci des pages de rapports. Je l'ai lue, ta thèse, et, si j'en avais les moyens, je financerais immédiatement ta prochaine expédition.

– Mais tu es ma sœur ! C'est gentil Jeanne, mais ton hypothèse est peu probable. Merci quand même, tu m'as fait rêver pendant trente bonnes secondes.

– Au lieu de perdre ton temps toute la journée, tu ferais mieux d'aller sur Internet recenser les organismes susceptibles, en France comme en Europe, de s'intéresser à ce que tu fais.

– Je ne perds pas mon temps !

– Qu'est-ce que tu fricotais avec Ivory au musée ces derniers jours ?

– C'est un drôle de type, non ? Il s'est passionné pour mon pendentif et je dois avouer qu'il a réussi à m'intriguer. Nous avons essayé de le dater, sans résultat. Il reste néanmoins convaincu que ce caillou est très ancien, et rien ne prouve qu'il ait tort ou raison.

– Son instinct ?

– Avec tout le respect que j'ai pour lui, ce n'est pas suffisant.

– C'est vrai que cet objet est assez particulier. J'ai un ami gemmologue, veux-tu que je lui demande de jeter un coup d'œil ?

– Ce n'est pas une pierre, pas non plus du bois fossilisé.

– Alors qu'est-ce que c'est ?

– Nous l'ignorons.

– Fais voir ? demanda Jeanne soudainement excitée.

Keira ôta le collier et le tendit à sa sœur.

– Et si c'était un fragment de météorite ?

– Tu as déjà entendu parler d'une météorite aussi douce que la peau d'un bébé ?

– Je ne peux pas dire que je sois experte en la matière, mais j'imagine que nous sommes loin d'avoir découvert tout ce qui nous arrive de l'espace.

– C'est une hypothèse, répondit Keira en retrouvant ses reflexes d'archéologue. Je me souviens d'avoir lu quelque part qu'il en tombait près de cinquante mille par an sur la Terre.

– Interroge un spécialiste !

– Quel genre de spécialiste ?

– Le boucher du coin, andouille, un type qui s'occupe de ça, un astronome ou un astrophysicien, je ne sais pas, moi.

– Bien sûr, ma Jeanne, je vais aller chercher mon agenda et je vais regarder à la page « copains astronomes ». Je me demande bien lequel d'entre eux je pourrais appeler en premier !

Résolue à ne pas se disputer, Jeanne ne releva pas la pique de sa sœur. Elle se dirigea vers le petit bureau dans l'entrée de son appartement et s'installa devant l'ordinateur.

– Qu'est-ce que tu fais ? demanda Keira.

– Je travaille pour toi ! Je commence dès ce soir, et toi demain, tu ne bouges pas d'ici. Tu restes rivée à cet écran et, quand je reviens, je veux trouver une liste de toutes les organisations qui soutiennent la recherche en archéologie, paléontologie, géologie, y compris celles qui œuvrent au développement durable en Afrique, c'est un ordre !

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*     *

Zurich

Un seul bureau était encore occupé au dernier étage de l'immeuble du Crédit national suisse. Un homme élégant achevait la lecture des courriers électroniques reçus pendant son absence. Il était arrivé le matin même de Milan, sa journée ne lui avait guère laissé de répit. Réunions et lectures de dossiers s'étaient succédé. Il consulta sa montre, s'il ne tardait pas, il pourrait rentrer chez lui profiter de la fin de sa soirée. Il fit pivoter son fauteuil, appuya sur une touche du téléphone et attendit que son chauffeur réponde à l'appel.

– Préparez la voiture, je serai en bas dans cinq minutes.

Il resserra le nœud de sa cravate, mit de l'ordre sur sa table de travail, quand il remarqua sur l'écran de son ordinateur une icône de couleur témoignant qu'un mémo avait échappé à son attention. Il le lut et l'effaça aussitôt. Il prit un petit carnet noir dans la poche intérieure de son veston, en feuilleta les pages, ajusta ses lunettes pour lire le numéro qu'il cherchait et décrocha son téléphone.