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– Parce que j'ai commis une imprudence, un péché d'orgueil... pour leur prouver que j'avais raison.

– Raison sur quoi ?

– Je vous ai confié qu'il en existait un presque semblable au vôtre, je suis convaincu que ce n'est pas le seul. Personne n'a jamais voulu me croire et l'apparition de votre pendentif fut, pour le vieillard que je suis, une trop belle occasion de prouver que j'avais raison.

– Soit, admettons qu'il existe plusieurs objets comme le mien et qu'ils aient un quelconque lien avec votre légende invraisemblable, qu'est-ce que cela peut bien faire ?

– C'est à vous d'en décider, à vous de chercher. Vous êtes jeune, vous aurez peut-être le temps de trouver.

– Trouver quoi, Ivory ?

– Selon vous, que pourrait bien être un monde parfait ?

– Je ne sais pas, un monde libre ?

– C'est une excellente réponse ma chère Keira. Trouvez ce qui empêche les hommes d'accéder à la liberté, cherchez ce qui est la cause de toutes les guerres, alors vous finirez peut-être par comprendre.

Le vieux professeur se leva et laissa quelques billets sur la table.

– Vous partez ? demanda Keira stupéfaite.

– Un déjeuner vous attend, je vous ai dit tout ce que je savais. Il faut que je prépare ma valise, j'ai un avion ce soir. J'ai été sincèrement enchanté de faire votre connaissance. Vous avez beaucoup plus de talent que vous ne le supposez. Je vous souhaite une longue et heureuse route ; plus encore, je vous souhaite d'être heureuse. Finalement, le bonheur, n'est-ce pas ce après quoi nous courons tous sans être jamais vraiment capables de le reconnaître ?

Le vieux professeur quitta la salle et adressa un dernier signe de la main à Keira.

La serveuse encaissa l'addition qu'Ivory avait réglée.

– Je crois que ceci est à vous, dit la jeune femme en tendant à Keira un petit mot qui se trouvait sous la coupelle.

Keira sursauta et déplia le bout de papier.

Je sais que vous ne renoncerez pas, j'aurais aimé vous accompagner dans cette aventure, avec le temps j'aurais pu vous prouver que j'étais un ami. Je serai toujours près de vous. Votre dévoué, Ivory.

En sortant rue de Rivoli, Keira ne prêta aucune attention à la grosse cylindrée garée devant les grilles du jardin des Tuileries, juste en face du salon de thé, pas plus qu'au motard qui la visait dans la mire de son objectif, elle était bien trop loin pour entendre le moteur de l'appareil photo qui la mitraillait. À cinquante mètres de là, Ivory, installé à l'arrière d'un taxi, sourit et dit au chauffeur qu'il pouvait maintenant démarrer.

*

*     *

Londres

Nous avions adressé notre dossier aux membres de la commission Walsh. J'avais cacheté l'enveloppe et Walter, qui craignait probablement que je renonce au dernier moment, me l'avait presque arrachée des mains, m'assurant qu'il préférait la poster lui-même.

Si notre candidature était sélectionnée – nous attendions chaque jour la réponse – notre grand oral aurait lieu dans un mois. Depuis qu'il avait déposé le pli dans la boîte aux lettres en face de l'entrée de l'Académie, Walter ne quittait plus sa fenêtre.

– Vous n'allez quand même pas prendre le facteur en filature ?

– Et pourquoi pas ? me répondit-il nerveux.

– Je vous rappelle, Walter, que c'est moi qui vais devoir parler en public, ne soyez pas aussi égoïste et laissez-moi au moins le bénéfice du stress.

– Vous ? Stressé ? J'aimerais bien voir ça !

Les dés étant jetés, les soirées passées avec Walter s'espacèrent. Chacun reprit le cours de sa vie, et j'avoue que sa compagnie me manquait. Je passais mes après-midi à l'Académie, vaquant à quelques travaux pour occuper mon temps, attendant que l'on veuille bien me confier une classe dès la rentrée prochaine. À la fin d'une journée d'ennui où la pluie n'avait cessé de tomber, j'avais entraîné Walter dans le quartier français. Je cherchais un livre de l'un de mes éminents confrères français, le réputé Jean-Pierre Luminet, et cet ouvrage n'était disponible que dans une charmante librairie située sur Bute Street.

En quittant la French Bookshop, Walter avait tenu à tout prix à ce que nous allions dans une brasserie qui, selon lui, servait les meilleures huîtres de Londres. Je n'avais pas cherché à discuter et nous nous étions attablés non loin de deux jeunes femmes attirantes. Walter ne leur prêtait aucune attention, contrairement à moi.

– Ne soyez pas aussi vulgaire, Adrian !

– Pardon ?

– Vous croyez que je ne vous vois pas ? Vous êtes tellement discret que le personnel a déjà fait ses paris.

– Ses paris sur quoi ?

– Sur vos chances de vous faire rabrouer par ces deux jeunes femmes, maladroit que vous êtes.

– Je n'ai pas la moindre idée de ce dont vous me parlez, Walter.

– Et hypocrite en plus ! Avez-vous déjà vraiment aimé, Adrian ?

– C'est une question plutôt intime.

– Je vous ai bien confié quelques secrets, à votre tour.

L'amitié ne se construit pas sans preuves de confiance, les confidences en sont ; j'avouais à Walter avoir été épris d'une jeune femme avec qui j'avais flirté un été. C'était il y a très longtemps, je finissais à peine mes études.

– Qu'est-ce qui vous a séparés l'un de l'autre ?

– Elle !

– Pourquoi ?

– Mais enfin, Walter, en quoi cela vous intéresse-t-il ?

– J'ai envie de mieux vous connaître. Avouez que nous sommes en train de bâtir une belle camaraderie, il est important que je sache ce genre de choses. Nous n'allons pas parler éternellement d'astrophysique et encore moins du temps qu'il fait. C'est vous qui m'avez supplié de ne pas être aussi anglais, n'est-ce pas ?

– Qu'est-ce que vous voulez savoir ?

– Eh bien, son prénom pour commencer ?

– Et ensuite ?

– Pourquoi vous a-t-elle quitté ?

– J'imagine que nous étions trop jeunes.

– Foutaise ! J'aurais dû parier que vous alliez me sortir une excuse aussi pathétique.

– Mais qu'est-ce que vous en savez, vous n'étiez pas là, que je sache !

– Je voudrais que vous ayez l'honnêteté de me donner les véritables raisons de votre rupture avec...

– Cette jeune femme ?

– Joli prénom !

– Jolie fille.

– Alors ?

– Alors quoi, Walter ? rétorquai-je sur un ton qui ne cherchait plus à masquer mon exaspération.

– Eh bien tout ! Comment vous vous êtes rencontrés, comment vous vous êtes quittés et ce qui s'est passé entre ces deux moments.

– Son père était anglais, sa mère française. Elle avait toujours vécu à Paris où ses parents étaient déjà installés à la naissance de sa sœur aînée. Un divorce, et son père rentra en Angleterre. Elle était venue lui rendre visite, profitant d'un programme d'échange universitaire qui lui fit passer un trimestre à la Royal Academy de Londres. J'y assurais à l'époque des vacations de surveillant afin d'améliorer mes fins de mois et financer ma thèse.

– Un pion qui drague une étudiante... je ne vous félicite pas.

– Eh bien alors j'arrête de vous raconter !

– Mais non, je plaisantais, j'adore cette histoire, continuez !

– Nous nous sommes vus la première fois dans l'amphithéâtre où elle passait un examen, ainsi qu'une bonne centaine d'autres étudiants. Elle était assise en bordure de l'allée que j'arpentais, faisant mon inspection, quand je l'ai vue déplier une antisèche.

– Elle trichait ?

– Je n'en sais rien, je n'ai jamais pu lire ce qui était inscrit sur ce bout de papier.