Выбрать главу

– Ce n'était pas vraiment un cadeau, elle l'a oublié chez moi.

– Alors pourquoi me dis-tu que c'est un cadeau, si c'est un oubli ? Il y a d'autres choses que tu as oublié de me dire ?

– Mais, maman, où veux-tu en venir ?

– Tu peux m'expliquer qui est l'énergumène qui vient de débarquer de la navette d'Athènes et qui fait le tour des commerces du port en demandant après toi ?

– Quel énergumène ?

– Tu vas répondre à chacune de mes questions par une autre question ? C'est agaçant à la fin.

– Je ne sais pas de qui tu parles.

– Tu ne sais pas à qui est ce collier, tu ne sais pas me décrire celle qui te l'aurait d'abord offert mais qui l'a finalement oublié chez toi, et tu ne sais pas non plus qui est ce Sherlock Holmes en short sur le port, qui en est à sa cinquième bière et demande à tous les passants s'ils te connaissent ? C'est la énième fois que l'on me téléphone à son sujet et figure-toi que moi non plus je ne sais pas quoi dire !

– Un Sherlock Holmes en short ?

– Avec short en flanelle, chemisette et casquette à carreaux, ne lui manque que la pipe !

– Walter !

– Donc tu le connais !

J'enfilai une chemise, et me précipitai à la porte, priant pour que mon âne n'ait pas rongé la corde qui le retenait à l'arbre devant la maison ; il avait pris cette sale habitude depuis le début de la semaine, pour aller se promener à sa guise dans le champ du voisin et courtiser une ânesse qui n'avait d'ailleurs rien à faire de ses avances.

– Walter est un collègue de travail, j'ignorais totalement qu'il comptait nous rendre visite.

– Nous ? Ne me mêle pas à ça, s'il te plaît Adrian !

Je ne comprenais vraiment rien à l'énervement de ma mère qui d'ordinaire était la plus accueillante des femmes ; ni cette petite réflexion qu'elle me fit, alors que je refermais la porte de la maison : « Ton ex-femme aussi était une collègue ! »

C'était bien Walter qui avait débarqué une heure plus tôt sur l'île et qui se trouvait assis à la terrasse du restaurant voisin du magasin d'Elena.

– Adrian ! s'exclama-t-il, en me voyant.

– Que faites-vous là, Walter ?

– Comme je le disais à ce charmant aubergiste, sans vous, l'Académie n'est plus l'Académie. Vous me manquiez, mon ami !

– Vous avez dit au propriétaire de cet établissement que je vous manquais ?

– Tout à fait, et c'est la vérité vraie.

J'éclatai de rire. J'eus tort, car Walter prit cela comme une marque de contentement de le voir ici, et cinq ou six bières aidant, il se leva pour me serrer dans ses bras. Je vis, par-dessus son épaule, tante Elena rappeler ma mère.

– Walter, je ne vous attendais pas...

– Mais moi non plus, je ne m'attendais pas à venir ici. Il pleuvait, il pleuvait, il n'a cessé de pleuvoir depuis votre départ ; j'en ai eu assez de la grisaille, et puis j'avais besoin de vos conseils, mais nous en reparlerons plus tard. Alors, je me suis dit : Pourquoi ne pas aller passer quelques jours au soleil ? Pourquoi est-ce toujours les autres qui partent et pas moi ? Cette fois, je me suis écouté, j'ai sauté sur une promotion affichée dans la vitrine d'une agence de voyages et me voilà !

– Pour combien de temps ?

– Une petite semaine, mais il n'est pas question de m'imposer, je vous rassure, j'ai pris mes dispositions. La promotion incluait une chambre dans un charmant petit hôtel, quelque part ici, je ne sais pas bien où, conclut-il essoufflé en me tendant sa réservation.

J'accompagnais Walter à travers les ruelles de la vieille ville, maudissant ce déjeuner où j'avais commis l'imprudence de lui confier le nom de l'île où je m'exilais.

– Quel beau pays que le vôtre, Adrian, c'est tout simplement magnifique. Ces murs blancs, ces volets bleus, cette mer, même les ânes sont merveilleux !

– C'est l'heure de la sieste, Walter, si vous pouviez parler un peu moins fort, ces ruelles sont terriblement sonores.

– Mais bien sûr, chuchota-t-il, bien entendu.

– Et puis-je vous suggérer de changer de tenue ?

Walter se regarda de bas en haut, l'air étonné.

– Quelque chose ne va pas ?

– Déposons votre valise et allons nous occuper de cela.

J'ignorais que pendant que j'aidais Walter à se trouver une tenue plus discrète au bazar du port, Elena rappela maman pour lui raconter que je faisais du shopping avec mon ami.

Les Grecs sont d'un naturel accueillant, je n'allais pas faire mentir leur réputation et j'invitai Walter à dîner en ville. Je me souvins que Walter avait sollicité mes conseils. À la terrasse du restaurant, je lui demandai en quoi je pouvais lui être utile.

– Vous vous y connaissez en chiens ? me demanda-t-il.

Et il me raconta l'épisode de sa promenade fugace avec Miss Jenkins quelques semaines plus tôt à Hyde Park.

– Cette rencontre a changé bien des choses, maintenant, chaque fois que nous nous saluons, je lui demande des nouvelles d'Oscar, c'est le nom de son bouvier bernois, et, chaque fois, elle m'assure qu'il va bien ; mais en ce qui nous concerne, nous en sommes au même point.

– Pourquoi ne l'invitez-vous pas à un concert ou à un spectacle de music-hall ? Les théâtres de Covent Garden ne vous laissent que l'embarras du choix.

– Comment une idée aussi judicieuse ne m'est-elle pas venue ?

Walter regarda longuement la mer et soupira.

– Je ne saurai jamais comment m'y prendre !

– Lancez-vous, faites votre invitation, elle en sera très touchée, croyez-moi.

Walter fixa à nouveau la mer et soupira encore.

– Et si elle refuse ?

Tante Elena arriva, elle se planta devant nous, attendant que je fasse les présentations. Walter l'invita à notre table. Elena ne se fit pas prier et s'assit avant même que je me lève pour lui tendre une chaise. Elena avait un humour insoupçonné lorsqu'elle n'était pas en compagnie de maman. Elle prit la parole et ne la rendit plus, racontant presque toute sa vie à Walter. Nous fîmes la fermeture du restaurant. Je raccompagnai mon ami à son hôtel et rentrai sur le dos de mon âne, jusqu'à la maison. Maman veillait sous le patio, nettoyant son argenterie à 1 heure du matin !

Le lendemain, le téléphone sonna vers 16 heures. Ma mère vint me chercher sur la terrasse, elle m'annonça, l'air suspicieux, que mon ami voulait me parler.

Walter me proposait une promenade en fin d'après-midi ; je voulais terminer mon livre et l'invitait à se joindre à nous pour la soirée. Je descendis faire quelques courses au village et m'arrangeai avec Kalibanos pour qu'il passe chercher Walter à son hôtel vers 9 heures et le conduise chez nous. Maman resta silencieuse, se contentant de dresser le couvert et d'inviter ma tante à ce dîner qui avait l'air de la contrarier.

– Qu'est-ce que tu as ? lui demandai-je en l'aidant à mettre la table.

Maman posa les assiettes et croisa les bras, ce qui n'augurait rien de bon.

– Deux ans d'absence pendant lesquels tu n'as presque pas donné de tes nouvelles et la seule personne que tu présentes à ta mère c'est ton Sherlock Holmes ? Quand vas-tu enfin songer à mener une vie normale ?

– Tout dépend de ce que tu entends par normale ?

– J'aimerais avoir pour seul souci que mes petits-enfants n'aillent pas se faire mal sur les rochers.

Ma mère n'avait jamais manifesté une telle envie. Je lui présentai une chaise pour qu'elle s'y asseye et lui préparai un verre d'ouzo, comme elle l'aime, sans eau avec un seul glaçon. Je la regardais tendrement, réfléchissant à deux fois à ce que j'allais lui dire.

– Tu veux des petits-enfants maintenant ? Tu m'as toujours soutenu le contraire, tu me disais que m'avoir élevé te suffisait amplement, tu te défendais d'être l'une de ces femmes qui veulent à tout prix, quand leur progéniture quitte le nid, rejouer la partition en habit de grand-mère.