Выбрать главу

Ma valise faite, je retrouvai Walter sur le port. Ma mère avait tenu à nous accompagner. Elena la rejoignit sur le quai, et elles nous firent de grands signes quand la navette prit la mer. Bien plus tard j'appris que maman avait demandé à ma tante si elle pensait que j'allais faire le voyage assis sur les genoux de Walter. J'ignorais que je ne reverrai pas Hydra de sitôt.

*

*     *

Amsterdam

Jan Vackeers regarda l'heure à sa montre, Ivory n'était toujours pas là et il s'en inquiéta. Son partenaire d'échecs était d'une ponctualité sans faille et ce retard ne lui ressemblait pas. Il s'approcha de la table roulante, vérifia le plateau-repas qu'il avait fait préparer. Il picorait quelques fruits secs qui décoraient l'assiette de fromage quand on sonna à l'entrée de sa suite, la partie allait enfin pouvoir commencer. Vackeers ouvrit la porte, son majordome lui présenta une enveloppe posée sur un plateau d'argent.

– Ceci vient d'arriver, monsieur.

Vackeers se retira dans ses appartements pour prendre connaissance du pli qu'on venait de lui remettre. Sur un bristol, quelques mots rédigés à la plume :

Désolé de devoir vous faire faux bond, une obligation de dernière minute m'oblige à quitter Amsterdam, je reviendrai bientôt. Amicalement,

Ivory,

P-S : Échec et pat, ce n'est que partie remise.

Vackeers relut trois fois le post-scriptum, se demandant ce qu'Ivory voulait suggérer par cette petite phrase qui, venant de lui, ne pouvait être anodine. Il ignorait où son ami se rendait, et il était maintenant trop tard pour le faire surveiller. Quant à demander à ses alliés de prendre le relais... C'était lui qui avait insisté pour qu'on laisse Ivory à l'écart, comment leur expliquer que ce dernier avait peut-être un tour d'avance ?

Échec et pat, ainsi que l'avait écrit Ivory. Vackeers sourit en rangeant le bristol dans sa poche.

*

*     *

Aéroport de Schiphol, Amsterdam. À cette heure tardive, seuls quelques appareils reliant les grandes capitales européennes étaient encore au sol.

Ivory tendit sa carte d'embarquement à l'hôtesse et emprunta la passerelle. Il s'installa au premier rang, boucla sa ceinture et regarda par le hublot. Dans une heure trente, il se poserait sur le petit aéroport de la City. Une voiture l'attendrait à l'arrivée, sa chambre était réservée au Dorchester, tout était en ordre. Vackeers avait dû recevoir le petit mot qu'il lui avait adressé, et cette seule pensée le fit sourire.

Ivory ferma les yeux, la nuit serait longue et chaque minute de sommeil était bonne à prendre.

*

*     *

Aéroport d'Athènes

Walter tenait à tout prix à rapporter un souvenir de Grèce à Miss Jenkins. Il acheta une bouteille d'ouzo au duty free, une deuxième, au cas où la première se briserait, dit-il, et une troisième pour se faire un cadeau. Dernier appel, nos deux noms résonnèrent dans les haut-parleurs, la voix n'était pas très affable et j'appréhendais déjà le regard accusateur des passagers quand nous entrerions dans la cabine. Au terme d'une course folle dans les couloirs, nous arrivâmes juste à temps pour essuyer le savon que nous passa le chef de bord à la porte d'embarquement puis quelques réprimandes alors que nous remontions la carlingue vers les deux seules places encore libres, au dernier rang. Le décalage horaire avec l'Angleterre nous ferait gagner une heure, nous devrions arriver vers minuit à Heathrow. Walter dévora le repas qui nous avait été servi, et le mien que je lui offris volontiers. Une fois les plateaux ramassés, l'hôtesse abaissa la lumière de la cabine. Je collai mon visage au hublot et profitai du spectacle. Voir le ciel depuis une altitude de dix mille mètres est pour un astronome un merveilleux moment. L'étoile Polaire brillait devant moi, je vis Cassiopée, et je devinais Céphée à sa droite. Je me retournai vers Walter qui piquait un petit roupillon.

– Vous avez votre appareil photo sur vous ?

– Si c'est pour prendre des photos souvenirs dans cet avion, la réponse est non. Entre ce que je viens de manger et la distance qui nous sépare de la rangée de devant, je dois avoir l'air d'une baleine dans une boîte de conserve.

– Non, Walter, ce n'est pas pour vous photographier.

– Dans ce cas, si vous avez un outil qui vous permette d'atteindre ma poche, il est à vous, moi, je ne peux pas bouger.

Je dois reconnaître que nous étions serrés comme des sardines, et attraper l'appareil ne fut pas une mince affaire. Dès que je l'eus en main, je revisitai la série d'images prises à Héraklion. Une idée me traversa l'esprit, insensée, et je restai perplexe en regardant à nouveau à travers le hublot.

– Je crois que nous avons bien fait de rentrer à Londres, dis-je à Walter en glissant son appareil dans ma poche.

– Eh bien, attendez de prendre votre petit déjeuner demain matin à la terrasse pluvieuse d'un pub, et on verra si vous penserez la même chose.

– Vous serez toujours le bienvenu à Hydra.

– Vous allez me laisser dormir à la fin, vous croyez que je ne vous vois pas vous marrer chaque fois que vous me réveillez ?

*

*     *

Londres

J'avais déposé Walter en taxi et, arrivé chez moi, je me précipitai sur mon ordinateur. Après avoir chargé les photos, je les regardai attentivement et me décidai à déranger un vieil ami, qui vivait à des milliers de kilomètres d'ici. Je lui adressai un courrier électronique, auquel je joignis les clichés pris par Walter, en lui demandant ce qu'ils évoquaient pour lui. Je reçus aussitôt un petit mot de sa part, Erwan se réjouissait de me lire. Il me promit d'étudier les images que je venais de lui envoyer et de me répondre dès que possible. Un radiotélescope d'Atacama était encore tombé en panne et il avait du pain sur la planche.

J'eus de ses nouvelles trois jours plus tard, au beau milieu de la nuit. Pas par courriel cette fois, mais par téléphone, et Erwan avait une voix que je ne lui connaissais pas.

– Comment as-tu réussi un tel prodige ? s'exclama-t-il sans même me dire bonjour.

Comme je ne savais quoi lui répondre, Erwan me posa une autre question, qui me surprit encore plus.

– Si tu rêvais du Nobel, tu as toutes tes chances cette année ! Je n'ai pas la moindre idée de la façon dont tu as pu procéder pour réussir une pareille modélisation, mais cela relève du prodige ! Si tu m'as envoyé ces images pour m'en boucher un coin, alors là, bravo, c'est fait !

– Qu'est-ce que tu as vu, Erwan, dis-le-moi !

– Tu sais très bien ce que j'ai vu, ne cherche pas les flatteries, c'est assez bluffant comme ça. Maintenant tu vas me dire comment tu as réussi ce coup de maître ou tu veux continuer à me faire enrager ? M'autorises-tu à partager ces images avec nos amis d'ici ?

– Surtout pas ! suppliai-je Erwan.

– Je comprends, soupira-t-il, je suis déjà honoré que tu m'aies accordé ta confiance en me laissant voir cette merveille avant de faire ton communiqué officiel. Quand publieras-tu la nouvelle ? Je suis certain qu'avec ça dans les mains tu as gagné ton passeport pour nous rejoindre, même si je me doute aussi que tu as désormais l'embarras du choix ; toutes les équipes astronomiques voudront t'avoir parmi elles.

– Erwan, je t'en supplie, décris-moi ce que tu as vu !

– Tu es las de te le répéter en boucle, tu veux me l'entendre dire ? Je te comprends, mon vieux, à ta place je serais aussi excité. Mais donnant-donnant, tu m'expliques d'abord comment tu as fait.

– Comment j'ai fait quoi ?

– Ne te moque pas de moi et ne me dis pas que tu y es arrivé par hasard.