– Et ce volcan est en activité ?
– Non, monsieur, il n'a connu aucune éruption depuis plus de quatre mille ans.
– Ont-ils quitté la Chine pour se rendre sur cet îlot de malheur ?
– Non, pas encore, monsieur, nous avons vérifié auprès de toutes les compagnies aériennes, aucune trace d'eux ; de plus, d'après le mouchard que nous avons placé dans la montre de l'astrophysicien, ils sont toujours dans le centre-ville de Lingbao.
Sir Ashton repoussa son fauteuil et se leva.
– La plaisanterie a assez duré ! Réservez-moi une place sur le premier vol pour Pékin. Qu'une voiture et deux hommes m'attendent à l'arrivée. Il est grand temps de mettre un terme à tout cela avant qu'il ne soit trop tard.
Sir Ashton prit son chéquier dans le tiroir de son bureau et sortit un stylo de la poche de son veston.
– Vous réglerez mon billet avec votre propre carte de crédit, je vous laisse inscrire sur ce chèque la somme qu'il faudra pour vous rembourser. Je préfère que l'on ne sache pas où je me rends. Si l'on cherche à me joindre, notez le message, dites que je suis souffrant et que je me repose chez des amis à la campagne.
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Île du Puits de l'enfer
J'avais calculé que la nuit tomberait dans quatre heures. Je préférais ne pas reprendre la mer dans l'obscurité, ce qui ne nous laissait pas beaucoup de temps devant nous. Keira fut la première à gagner le sommet.
– Dépêche-toi, c'est magnifique, me dit-elle.
Je pressai le pas pour la rejoindre. Elle n'avait pas exagéré, une végétation luxuriante recouvrait le cratère. Un toucan que nous avions dérangé s'éleva dans les airs. Je vérifiai mon appareil de navigation, sa précision était de l'ordre de cinq mètres. Le point qui clignotait approchait du centre de l'écran, nous n'étions plus très loin du but.
Je regardai le paysage en contrebas et découvris que je pouvais me passer du GPS emprunté à notre pilote. Au beau milieu du volcan, on distinguait une petite parcelle de terre, où les herbes n'avaient pas poussé.
Keira s'y précipita. Je n'eus pas le droit d'approcher.
Agenouillée, elle grattait la terre. Elle prit une pierre saillante, traça un carré et commença de creuser ; ses doigts retournèrent la poussière, encore et encore.
Une heure s'était écoulée, sans que jamais Keira ait cessé de creuser. Un petit monticule s'était formé à ses côtés. Elle était épuisée, son front ruisselait de sueur, je voulais prendre la relève mais elle m'ordonna de rester à distance ; et puis, soudain, elle cria mon nom de toutes ses forces.
Dans ses mains brillait un fragment d'une matière aussi lisse et dure que l'ébène, sa forme presque triangulaire en empruntait la teinte. Keira ôta le collier qu'elle portait autour du cou, elle approcha son pendentif et les deux morceaux s'attirèrent avant de s'unir pour n'en former plus qu'un.
Aussitôt joints, ils changèrent de couleur. Du noir de l'ébène, elle vira au bleu de la nuit. Soudain se mirent à scintiller à la surface des fragments réunis des millions de points, des millions d'étoiles, telles qu'elles apparaissaient dans le ciel, il y a quatre cents millions d'années.
Je sentais sous mes doigts la chaleur de l'objet. Les points brillaient de plus en plus et, parmi eux, un plus que les autres. Était-ce l'étoile du premier jour, celle que je guettais depuis l'enfance, celle que j'étais parti chercher en m'exilant sur les hauts plateaux chiliens ?
Keira posa délicatement l'objet sur le sol. Elle me serra dans ses bras et m'embrassa. Il faisait encore plein jour, et pourtant, à nos pieds, brillait la plus belle nuit que nous ayons jamais vue.
Il ne fut pas facile de séparer à nouveau les fragments. Nous avions beau tirer de toutes nos forces chacun sur un morceau, rien n'y faisait.
Puis le scintillement baissa d'intensité et disparut. Cette fois, il suffit d'un léger effort pour les dissocier. Keira remit son collier autour du cou, et moi l'autre morceau dans le fond de ma poche.
Nous nous regardions l'un l'autre, chacun se demandant ce qui se produirait, si un jour nous réussissions à réunir les cinq fragments.
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Lingbao, Chine
Le Lisunov se posa sur la piste et roula jusqu'à son hangar. Le pilote aida Keira à descendre de l'appareil. Je lui remis mes derniers dollars et le remerciai de nous avoir ramenés sains et saufs. Notre agent de voyages nous attendait avec sa motocyclette. Il nous déposa à notre voiture, et nous demanda si nous étions contents de notre voyage. Je lui promis que je ne manquerais pas de recommander son agence. Ravi, il se courba gracieusement pour nous saluer et retourna vers sa boutique.
– Tu as encore la force de conduire ? me demanda Keira en bâillant.
Je n'osai pas lui avouer que je m'étais assoupi alors que nous survolions le Laos.
Je tournai la clé de contact et le moteur du 4 × 4 démarra.
Il nous fallait aller chercher les affaires que nous avions laissées au monastère. Nous en profiterions pour remercier le moine de son accueil. Nous passerions une dernière nuit là-bas et repartirions vers Pékin dès le lendemain. Nous voulions rentrer à Londres au plus vite, impatients de voir l'image que le nouveau fragment projetterait une fois exposé à la lumière d'un laser. Quelles constellations allions-nous découvrir ?
Alors que nous roulions le long de la Rivière Jaune, je réfléchissais à toutes les vérités que cet étrange objet nous révélerait. J'avais bien quelques idées en tête, mais avant d'en faire part à Keira je préférais attendre d'être à Londres et constater le phénomène de mes propres yeux.
– Dès demain, j'appelle Walter, dis-je à Keira. Il sera aussi excité que nous.
– Il faudra que je pense à appeler Jeanne, me répondit-elle.
– Quelle est la plus longue période où tu es restée sans lui donner de nouvelles ?
– Trois mois ! avoua Keira.
Une grosse berline nous collait au train. Son conducteur avait beau me faire des appels de phares pour que je le laisse me doubler, la route en lacet était trop étroite. D'un côté la paroi de la montagne, de l'autre le lit de la Rivière Jaune, je lui fis un signe de la main, je me rabattrais pour le laisser passer dès que cela serait possible.
– Ce n'est pas parce que l'on n'appelle pas quelqu'un, qu'on ne pense pas pour autant à cette personne, reprit Keira.
– Alors pourquoi ne pas l'appeler ? lui demandai-je.
– Parfois, la distance empêche de trouver les mots justes.
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Paris
Ivory aimait ce moment de la semaine où il se rendait au marché place d'Aligre. Il y connaissait chacun des commerçants, Annie la boulangère, Marcel le fromager, Étienne le boucher, M. Gérard, ce quincaillier qui, depuis vingt ans, avait toujours sur son étal une nouveauté sensationnelle. Ivory aimait Paris, l'île où il vivait au milieu de la Seine, et le marché, place d'Aligre, avec sa structure en forme de coque de bateau à l'envers.
En rentrant chez lui, il posa son cabas sur la table de la cuisine, rangea méticuleusement ses maigres courses et gagna son salon en croquant une carotte. Le téléphone sonna.
– Je voulais partager avec vous une information qui me contrarie, dit Vackeers.
Ivory reposa la carotte sur la table basse et écouta son partenaire d'échecs.
– Nous avons eu une réunion ce matin, nos deux scientifiques intriguent beaucoup la communauté. Ils se trouvent à Lingbao, une petite ville en Chine, ils n'en ont pas bougé depuis plusieurs jours. Personne ne comprend ce qu'ils sont allés faire là-bas, mais ils ont rentré dans leur GPS des coordonnées pour le moins étrange.
– Lesquelles ? demanda Ivory.