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— Pour des raisons de sécurité, la dernière partie du trajet se fera dans l'obscurité. Nous sommes peut-être observés. Ces soldats vont vous aider à prendre place dans l'embarcation. Nous accosterons au plus près de l'entrée de la tombe.

Karen embarqua sans problème et se retourna pour aider Ben, qui ne se débrouilla pas trop mal. Elle nota immédiatement que le bateau n'était pas équipé de moteur. Ben attendit d'être assis pour s'en apercevoir.

— Vos hommes utilisent des rames ?

— L'étendue que nous allons traverser symbolise la frontière qui sépare le monde des vivants de celui des morts. Si les circonstances nous obligent malheureusement à tolérer une protection armée du site, il est inenvisageable d'accepter le bruit et la violence d'une machine mécanique dans un tel lieu.

Les deux militaires commencèrent à ramer, entraînant les visiteurs sur un océan d'encre qu'aucune vague ne venait perturber.

13

En posant le pied sur l'île du kofun, Karen frissonna. Peut-être en raison de la fraîcheur de la nuit ou de l'humidité ambiante, mais plus certainement à cause de l'atmosphère étrange immédiatement palpable.

Déjà débarqué, Ben lui tendit la main pour l'aider à gravir la berge instable. La jeune femme hésita une fraction de seconde puis la saisit. D'un peu plus haut, Masato Nishimura les observait en éclairant leurs pas. Lorsqu'ils l'eurent rejoint, celui-ci déclara à voix basse :

— Nous voici hors du monde et du temps. Nous sommes seuls, excepté les deux moines qui se relaient à l'intérieur de la sépulture pour prier.

Sur le terrain en pente, l'officiel japonais se fraya un chemin à travers la végétation et les bois avant de déboucher sur une clairière. De sa lampe, il balaya les abords. Le faisceau révéla un trou béant pratiqué à la base du tumulus. À côté, un imposant tas de terre et du matériel recouvert d'une bâche plastique. Nishimura désigna les cordes et les poulies encore suspendues aux troncs et aux branches.

— Ils se sont servis des arbres pour confectionner un palan qui leur a permis de soulever les dalles bloquant l'accès aux souterrains. Ils n'ont eu aucune hésitation sur l'endroit où creuser.

Karen désigna l'équipement sous la bâche.

— Grâce à ceci ?

— Probablement.

— M'autorisez-vous à y jeter un œil ?

— Si cela peut nous aider à démasquer les coupables.

Miss Holt alluma sa lampe et souleva la toile de plastique. Au premier coup d'œil, elle identifia un détecteur de métaux, des vérins à compression lente, du matériel d'éclairage, et un modèle de scanner qui attira immédiatement son attention. Elle s'en approcha.

— J'imagine que vous avez déjà effectué les relevés d'empreintes, fit-elle.

— Ils n'ont rien donné. Les seuls indices exploitables sont des traces de pas dans les accès qui nous ont appris que les profanateurs étaient au nombre de trois. Cependant, un seul d'entre eux a pénétré dans la chambre du sarcophage. C'est lui qui s'est emparé de ce qui a disparu. Nous savons qu'il chausse l'équivalent de votre pointure 44.

Karen relâcha la bâche et se redressa.

— Ils ont effectivement utilisé des équipements haut de gamme en se payant le luxe de les abandonner derrière eux.

La jeune femme semblait perturbée. Ben profita de ce que Nishimura était occupé à s'engager dans le trou pour lui glisser :

— Tout va bien ?

— Aucun problème, je flaire la piste.

Horwood sentit qu'elle ne lui disait pas tout, mais il n'insista pas. La jeune femme se coula dans l'ouverture et disparut.

Avant de suivre miss Holt, l'historien prit une profonde inspiration en jetant un coup d'œil aux bois obscurs qui l'entouraient. Depuis son plus jeune âge, se retrouver dans la forêt en pleine nuit lui avait toujours donné la chair de poule. Beaucoup d'adultes prétendent que ces peurs disparaissent en grandissant. La plupart mentent. Horwood ne se mentait jamais, enfin pas sur ce point. Il ne s'attarda pas.

14

Une fois à l'intérieur, la première sensation de Ben fut olfactive. L'étroit couloir constitué d'énormes blocs de pierre parfaitement ajustés sentait la terre. Un parfum sec qui contrastait avec l'odeur d'humus qui flottait à l'extérieur.

Le long du passage qui s'enfonçait dans les entrailles du tumulus, des lampes à huile rudimentaires avaient été disposées. Les flammes répandaient leurs chaudes lueurs, impeccablement dressées, sans le moindre courant d'air pour les troubler. Au loin, on percevait l'écho léger d'une voix chuchotant.

Ben demanda doucement :

— Ce sont les moines que nous entendons ?

Nishimura hocha la tête en silence.

— Nous est-il permis de parler dans cette enceinte ? s'inquiéta l'Anglais.

— Étant donné la situation particulière, personne ne vous en tiendra rigueur.

Nishimura se mit en marche. Les lampes à huile projetaient les ombres des trois visiteurs sur les murs séculaires. Ils progressèrent jusqu'à un escalier au pied duquel l'officiel japonais fit une courte halte dans une attitude pleine de déférence. L'ayant gravi, ils débouchèrent plus haut sous l'immense butte, au cœur d'une salle circulaire, elle aussi éclairée par des lampes à huile. Un couloir s'en échappait à l'opposé et plusieurs ouvertures sans porte avaient été ménagées sur les côtés.

— Des salles annexes ? demanda Ben.

— Des réserves et des espaces dédiés aux rituels d'ensevelissement.

— Puis-je regarder ?

— On m'a demandé de vous laisser libres… Faites donc.

L'homme appréciait modérément la curiosité dont faisait preuve l'historien, mais Ben alluma sa lampe électrique et pénétra dans la première salle. Il y trouva des empilements de coffres, des jarres scellées, des tuniques traditionnelles étendues sur des barres de bois enfilées dans les manches. Tout était recouvert d'une fine couche de poussière. Personne n'y avait touché depuis plus de quinze siècles. Empilés contre un mur, parfaitement ordonnés, des sacs de toile étaient alignés. Certains s'étaient percés au fil du temps. Des graines et des fibres végétales sèches s'en échappaient. Horwood aurait bien aimé prendre le temps d'étudier tout cela de plus près, mais il sentait sur lui le regard de son hôte. Il ne s'éternisa pas et le trio reprit sa progression dans le monument.

Au gré des passages, les voix qui chuchotaient paraissaient parfois plus proches, mais ce n'était souvent qu'une illusion. Le jeu des échos laissait croire que les moines qui psalmodiaient sur un ton monocorde allaient apparaître à la prochaine salle, pourtant la bifurcation suivante ne révélait qu'un tunnel qui s'étirait de plus belle.

En suivant Nishimura à travers le dédale, les visiteurs montèrent de deux étages dans le monument funéraire, jusqu'à atteindre un escalier encore plus étroit au pied duquel trois grilles forgées successives avaient été renversées sans ménagement. Ben les étudia avant de s'intéresser aux traces de scellement dans les murs.

— Ces ferronneries ne comportaient aucune serrure…, commenta-t-il.

— Cet accès n'avait plus vocation à être ouvert après l'inhumation. Personne ne devait troubler le repos de l'empereur.

Adoptant un air solennel, Nishimura gravit les marches. Parvenu au sommet, il marqua une pause et prononça quelques mots à voix basse, tête baissée. L'escalier ne débouchait pas directement dans la chambre du sarcophage, mais derrière un mur disposé en barbacane qu'il fallait contourner. Cette fois, les voix des religieux étaient clairement audibles.