— Certains des crimes demandaient une puissance physique dont seul un homme est capable.
— Donc, en plus il est musclé ?
— Sportif, sans aucun doute.
— L'avis de recherche commence à ressembler à une annonce matrimoniale… « Recherche homme sportif, n'ayant pas froid aux yeux, très riche, pointure 44 et amateur de trésors historiques. Assassins bienvenus. »
Karen fronça les sourcils.
— Vous ne m'avez pas réveillée pour m'infliger ce genre de blague puérile ?
— Vous avez raison. Pardon. C'est tout moi. Je n'arrive pas à bosser seul et quand je fais enfin équipe avec quelqu'un, je suis tellement content que je fais l'idiot.
Malgré elle, miss Holt eut un sourire.
— Sur ce point, vous êtes bien différent du professeur. Puis-je me permettre une question personnelle ?
— Vous achetez mes caleçons, vous savez qui pisse sur mon paillasson… Au point où nous en sommes, je ne vois pas ce que je pourrais vous cacher !
— Vous êtes un homme étrange, monsieur Horwood. Vous n'avez pas peur de parler de vos faiblesses, vous ironisez même dessus. C'est plutôt rare.
— Ce n'est pas une question.
— Vous êtes aussi capable de faire des compliments que même les pires dragueurs n'oseraient pas se permettre et pourtant, j'ai l'impression que vous n'avez aucune arrière-pensée.
— Vous croyez que je vous drague ?
— Je connais un peu les garçons…
— Vous faites référence aux fois où j'ai fait allusion à votre beauté ?
— Il ne s'agissait pas d'allusions.
— Si vous m'avez entendu siffler lorsque j'ai vu vos jambes, je vous présente mes excuses. J'ai pourtant essayé de le faire discrètement…
— C'est exactement de ce genre de remarque dont je vous parle.
— Vous n'êtes pas sans savoir que vos jambes sont superbes.
— Peut-être, mais ceux qui me le disent veulent en général y toucher.
— Je vous jure que je n'en ai aucunement l'intention. C'est sans doute à force de fréquenter les musées que je me comporte ainsi. Je commente, j'apprécie. Mais je vous rassure, je ne me jette pas sur tout ce que je trouve sublime ! Quoique, une fois, je me souviens d'une statue scandaleusement callipyge au Victoria and Albert Museum…
— Aucune intention donc.
— La main sur le cœur, je vous l'assure.
— Quel étrange détachement. Vous voyez donc la vie comme un musée ? Comme si vous n'étiez qu'un simple observateur — des femmes notamment.
— Je sens que vous allez me demander si je suis intéressé par autre chose que les filles.
— L'idée m'a effleurée, mais différents indices m'incitent à penser que non.
— Pourtant, une fois, en camping, je suis tombé raide dingue d'un mâle. C'était un chien, un border collie. Un vrai coup de foudre. Malheureusement, après quatre minutes de vie commune sur l'aire de jeux, il m'a quitté pour un os ou un frisbee, je ne sais plus… Aujourd'hui encore, je n'arrive pas à l'effacer de ma mémoire.
Karen leva la main pour l'arrêter.
— Benjamin, est-il possible d'avoir une conversation sérieuse avec vous ? Êtes-vous capable d'aligner plus de cinq phrases de suite sans caser ni plaisanterie ni dérision ?
— Cinq ? C'est mon meilleur score ?
— En ma présence, oui.
— C'est pitoyable. Je vais faire un effort.
Il se racla la gorge et s'étira le cou comme un athlète avant sa performance.
— Pour vous, je vais tenter de pulvériser mon record dès maintenant.
— Hâte d'assister à cet exploit.
— Pourquoi étiez-vous troublée après avoir inspecté le matériel des voleurs sur le kofun ?
— J'avais donc vu juste.
— À quel propos ?
— Vous. Vous passez votre temps à faire l'abruti pour distraire la galerie, mais derrière ça turbine sec.
— Je n'aurais pas dit mieux. Maintenant, répondez-moi, s'il vous plaît. Ça fait déjà deux phrases que j'enchaîne sans vannes et je sens que j'approche de ma limite.
— Sous la bâche se trouvait un scanner d'un genre très spécial, un modèle coréen extrêmement sophistiqué et très prisé chez les archéologues. J'en ai déjà vu un exemplaire sur une autre affaire. Il y a un an à peine, à Jérusalem, des individus ont creusé un tunnel en partant de la cave d'une des maisons de la vieille ville située en contrebas de l'esplanade des Mosquées, tout près du mur des Lamentations. Les vibrations de leurs travaux ont été repérées par le système de surveillance sismique de la ville, mais les services de sécurité israéliens n'ont réussi à capturer personne. Le Mossad a d'abord estimé qu'ils préparaient un attentat, mais ils ont rapidement abandonné cette piste. Le matériel employé, dont ce scanner très rare, orientait plutôt les soupçons vers des fouilles clandestines.
— Les autorités ont-elles découvert d'autres indices sur le site ?
— Nous n'en avons pas été informés.
— Vous pensez que ce scanner relie les deux événements ?
— S'en servir n'est pas à la portée du premier venu. Il faut une véritable expertise scientifique. Très peu de gens en sont capables.
— Donc, Pointure 44 serait en plus d'un niveau scientifique élevé ?
— Lui ou ceux qui travaillent avec lui.
D'une ondulation des hanches, Karen se lova dans l'angle de son fauteuil.
— À votre tour de m'aider à réfléchir, monsieur Horwood. Vous qui avez étudié reliques sacrées et objets ésotériques en tous genres, avez-vous une idée de ce que pourraient être ces cristaux dans leur support pyramidal ? Même si vous n'en avez rien dit devant Nishimura, le fait qu'ils aient la même forme que ce qui a été déterré dans l'église de la Holy Trinity à York ne vous a pas échappé, j'en suis certaine…
— « Jamais de raisonnements ou de commentaires devant des personnes étrangères au service. » Je ne suis pas malin, mais j'essaie d'apprendre. Par contre, je n'ai pas de réponse à vous offrir. J'ignore ce que sont ces artéfacts.
— Aucune idée de ce qui peut attirer nos voleurs ?
— J'en suis encore au stade des interrogations. Et j'en ai beaucoup. Le plus dur est de ne pas laisser l'imagination prendre le pas sur la rigueur d'analyse. Je ne possède ni l'expérience ni les connaissances que pouvait avoir le professeur Wheelan, mais j'espère que ses notes et l'étude des cas précédents m'aideront à dissiper le brouillard.
— Votre thèse était un véritable travail de spécialiste.
— Ce mémoire de fin d'études, comme le service où vous travaillez d'ailleurs, sont nés d'un même constat : aucune puissance n'a consacré plus de volonté et de moyens à la recherche de ces objets que le Troisième Reich. L'immonde Heinrich Himmler, bras droit d'Hitler, était fanatique d'ésotérisme, et dans son acharnement à crédibiliser l'aryanisme en s'appropriant tous les symboles possibles, il a ordonné davantage de fouilles que Napoléon et Alexandre le Grand réunis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Churchill a jugé utile de surveiller où cela pouvait conduire, et bien plus modestement, nous avons en notre temps pensé qu'il y avait là matière à une étude inédite. Mais je n'étais pas seul pour élaborer ce mémoire. Je m'occupais surtout de la partie historique, de la remise en contexte et de toute la documentation concernant les moyens que les despotes ont engagés au service de leur quête. Pour ce qui est des objets en eux-mêmes, c'est plutôt ma collègue et coauteure qui s'en est chargée.
— Fanny Chevalier, précisa Karen en le regardant droit dans les yeux.
— Chevalier, un nom prédestiné pour la quête du Graal, n'est-ce pas ?