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— Nous devrions peut-être la contacter et, pourquoi pas, l'associer à notre enquête ?

— Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée, répondit Ben d'une voix mal assurée.

— Elle n'est pas compétente ?

— Si, au plus haut point.

— Elle n'est pas digne de confiance ?

— Difficile de trouver plus loyal.

— Alors pourquoi se priver d'elle ?

Il hésita avant de répondre :

— Je n'ai aucun moyen de la joindre.

Karen eut un sourire qui pétrifia instantanément Benjamin. Cette fois, il était bel et bien dans la même situation que Nishimura, consumé par un affreux malaise. Un petit lapin pris dans les phares d'une Formule 1. Miss Holt savait. Elle savait tout.

— Vous me faites peur, dit-il en fuyant son regard.

— Je crois que j'aime ça. Félicitations, Benjamin, vous avez explosé votre record. Treize répliques sérieuses de suite.

— J'en avais compté quatorze.

— Je n'homologue pas la dernière, qui est un mensonge. Vous savez parfaitement comment joindre Mlle Chevalier. Vous savez même précisément où.

Horwood blêmit. Tel le félin qui a assez joué avec sa proie, Karen porta l'estocade.

— Durant vos deux derniers séjours à Paris, vous êtes passé seize fois sous les fenêtres de son appartement, toujours à la tombée de la nuit, et vous avez rôdé six fois devant son lieu de travail. Si nos recoupements sont exacts, c'est d'ailleurs avec elle que vous aviez séjourné en Bourgogne à l'endroit même où nous nous sommes rencontrés. Nous savons aussi…

— Pitié ! J'avoue tout. Vous pouvez même me mettre la profanation du kofun sur le dos si ça vous arrange mais je vous en supplie, arrêtez de remuer le couteau dans la plaie.

— Alors répondez-moi objectivement, s'il vous plaît : pensez-vous qu'adjoindre Mlle Chevalier à nos recherches soit une bonne idée ?

Vaincu par K.-O., Ben inclina la tête et tenta de calmer la tempête de sentiments qui le dévastait.

— L'associer est une excellente idée, sans l'ombre d'un doute.

— Êtes-vous d'accord pour qu'ensemble, nous la contactions ?

— Vous n'imaginez pas ce que vous me demandez.

Karen ne répondit pas, mais elle le savait très exactement.

16

La richesse de la décoration de l'escalier d'honneur de l'université de Vienne contrastait avec la relative austérité de la façade du bâtiment dominant le Ring. Son opulence baroque suffisait à impressionner le plus blasé des visiteurs. Ses larges marches de marbre, ses colonnades étagées et ses lampadaires illuminant la voûte lui donnaient des allures d'opéra. Pourtant, l'Alma Mater Rudolphina avait beau déployer ses fastes pour quiconque y pénétrait, Neville Desmond savait que le luxe n'était que d'apparence, car dans les étages vers lesquels il montait, la prodigalité n'était plus de mise. Comme toutes les grandes universités d'Europe, la plus réputée d'Autriche devait s'accommoder de budgets sans cesse réduits.

Alors que d'un pas sûr, il se dirigeait vers l'aile où les enseignants-chercheurs se voyaient octroyer un bureau, personne ne semblait lui prêter attention. Cet anonymat l'arrangeait bien. Dans son costume gris, une sacoche de cuir noir sous le bras, il prenait soin de ne croiser le regard de personne.

Rapidement, corridors et escaliers se firent moins spacieux, et surtout moins fréquentés. Il aurait sans doute pu trouver un ascenseur pour s'épargner les nombreux changements de niveau, mais il ne voulait pas risquer de se retrouver dans une cabine, face à quelqu'un qui aurait le temps de l'observer et de se souvenir de lui, ou pire, dans le champ de vision d'une caméra de surveillance.

Lorsque Neville Desmond se présenta devant la porte du professeur Maximilien Köhn, il retoucha son nœud de cravate avant de frapper. L'universitaire ouvrit rapidement et accueillit son visiteur avec un enthousiasme bien plus juvénile que son âge.

— Quel bonheur de vous revoir, Herr Desmond ! Merci d'avoir fait le déplacement si vite. Vous êtes seul ? J'avoue avoir espéré que pour l'occasion, mon bienfaiteur aurait, lui aussi, fait le déplacement jusqu'à mon humble lieu d'étude…

— Le Prince vous prie de bien vouloir l'excuser, Herr Professor, mais ses œuvres caritatives le réclament loin d'ici. À l'heure où nous parlons, Son Altesse inaugure un hôpital en Afrique. Il faudra donc vous contenter de ma modeste personne et je m'efforcerai d'être auprès de lui votre très fidèle porte-parole.

— Ne voyez là aucun reproche. Tout au plus un regret. J'avais simplement rêvé de le rencontrer enfin en personne. Loin de moi l'idée de discuter sa grande générosité. J'en ai été le premier bénéficiaire, mais vous allez voir aujourd'hui que sa confiance — et la vôtre — aura porté ses fruits.

— Votre message laissait entendre que vous aviez bien progressé.

— Au-delà de tous mes espoirs. Prenez place, je vous prie.

Dans la minuscule pièce dont tous les murs étaient couverts de rayonnages débordant d'ouvrages, de dossiers et de quelques paquets de gâteaux, Neville Desmond prit place sur l'unique chaise — grinçante — qui faisait face au bureau encombré. Seule une lampe de banquier au pied de cuivre émergeait de la marée de papiers. Le chercheur s'installa face à lui, dans son fauteuil — qui grinçait aussi —, en ajustant ses lunettes. Il ouvrit un tiroir pour en extirper un classeur qu'il déposa cérémonieusement devant lui. Avant d'aller plus loin, il plaqua ses mains dessus avec un soupir de satisfaction et leva vers son interlocuteur un regard fébrile.

— C'est un grand jour, cher monsieur Desmond. Car j'ai trouvé.

— Excellent. En avez-vous parlé à quelqu'un ?

— Conformément à nos accords, je n'ai aussitôt averti que vous. J'étais tellement impatient de vous faire part de ma découverte que je n'ai pas encore pris le temps de mettre mes conclusions en forme.

— Vous en aurez tout le loisir plus tard.

— Je ne vous remercierai jamais assez d'avoir financé mes recherches, et vous direz bien à Son Altesse que son nom figurera en bonne place dans toutes les publications que ma trouvaille ne manquera pas de déclencher. La nouvelle risque de faire grand bruit. Le simple fait d'y penser me donne le vertige !

— Je suis impatient de vous entendre.

— Au cours de ces trois dernières années, comme convenu, je me suis consacré à l'étude de la fascination que les hommes éprouvent pour l'or depuis les temps les plus reculés. Comment ce métal a-t-il pu gagner cette place si particulière dans toutes les cultures, et la conserver jusqu'à notre époque pourtant si prompte à remplacer les icônes ancestrales ? Simple attrait esthétique ? Aptitudes chimiques exceptionnelles ? Comment justifier cette fièvre ? Au départ, rappelez-vous, je souhaitais tenter d'expliquer pourquoi les hommes entretiennent ce rapport exceptionnel à ce métal dont ils ont fait leurs plus beaux trésors, leurs monnaies et pour lequel ils ont inventé les lieux les plus sûrs qui soient. Ils ne protègent même pas leurs propres enfants aussi bien !

— J'avais effectivement lu vos notes préliminaires en ce sens.

— J'ai étudié le rapport à son apparence, la séduction universelle qu'il exerce auprès de tous les peuples de la terre qui ont été en contact avec. Aucune autre matière, pas même notre propre sang, ne bénéficie d'une telle cote dans notre inconscient collectif ou dans notre quotidien. Je pensais pouvoir justifier cet état de fait à travers des usages culturels, des circonstances historiques ou des conjonctions techniques. J'étais presque convaincu que ses particularités physiques, son inaltérabilité, l'impossibilité de le synthétiser ou de l'imiter justifiaient à elles seules une suprématie provoquant une convoitise et une adoration qui ne se sont jamais démenties au cours des millénaires. L'or n'est en effet plus seulement une matière, mais un symbole, un idéal, un refuge, un étalon en comparaison duquel toute chose vaut forcément moins. Peu à peu, j'ai commencé à ne plus considérer l'or à travers sa réalité matérielle, mais comme une entité. Les Sumériens le qualifiaient d'ailleurs de « chair divine ». Mais là encore, je m'égarais loin de son essence. J'ai alors décidé de chercher ce qui aurait pu provoquer un tel engouement, chez les monarques d'abord, puis chez leurs sujets. J'ai traqué tout ce qui pouvait, dans l'histoire du monde, au-delà de sa nature propre, avoir forgé la réputation quasi mystique de l'or. Était-ce parce qu'il était l'attribut des puissants qu'il est devenu si convoité ? Où les rois l'ont-ils adopté parce qu'ils lui prêtaient un pouvoir dont ils auraient eu connaissance ?