Ben se frotta la tempe.
— Une série d'objets pouvant accomplir des prodiges… De quel miracle chacun de ces trésors est-il capable ?
Il tentait d'imaginer un lien entre différents artéfacts lorsque Karen entra sans frapper.
— Pardon pour cette intrusion, mais je crois que c'est important. Le service veille vient de me transmettre ceci.
Ben saisit les photos qu'elle lui tendait : sous différents angles, un globe de cristal poli enchâssé dans un socle de bronze pyramidal orné de nombreux symboles.
— Est-ce celui qui a été volé au Caire ?
— Non, et ce n'est pas non plus celui dérobé dans le kofun.
— Notre cambrioleur serait-il déjà vendeur de celui exhumé à l'église d'York ?
— Pas davantage.
— Alors d'où proviennent ces photos ?
— Du catalogue d'une vente aux enchères organisée cette semaine. Cette antiquité est dûment enregistrée comme étant la propriété d'un milliardaire sud-africain depuis plus de dix ans. Nous avons vérifié.
Ben étudia les photos avec plus d'attention.
— Il existe donc encore une autre version de ces étranges cristaux.
— Apparemment. Et c'est peut-être notre chance. Je suis prête à parier que notre voleur va tenter de s'en emparer, soit en l'achetant…
— … soit en le subtilisant.
— Cet objet est un excellent appât auquel l'homme que nous poursuivons ne pourra pas résister.
— Vous espérez l'appréhender pendant qu'il s'en approchera ?
— C'est l'idée.
Fanny intervint :
— Et où se déroule cette vente ?
— À Johannesburg.
23
Assises côte à côte dans le jet qui filait vers l'Afrique du Sud, Fanny et Karen observaient Benjamin endormi, la bouche grande ouverte. Il ronflait légèrement.
— Quand j'étais petite, mon oncle québécois avait un raton laveur qui faisait exactement le même bruit, constata Fanny.
— Moi c'était un chauffe-eau, dans mon premier appartement. Il a fini par exploser.
— J'espère que Benji s'en sortira mieux…
— J'ai l'impression qu'il passe son temps à dormir en avion. Vous confirmez ?
— Pas seulement en avion. Il lui arrivait même de s'écrouler pendant les cours, au milieu de tout le monde, en plein amphi. Comme un gamin qui s'endort dès qu'il est fatigué. Ça me rendait folle !
— La première fois, j'ai eu envie de lui remplir la bouche avec des chocolats.
— Un jour, j'ai pensé le transformer en vase en lui mettant des fleurs dedans !
Les deux femmes éclatèrent de rire, ce qui, sans aller jusqu'à le réveiller, perturba le sommeil de Ben. Il changea de position sans pour autant refermer la bouche ou arrêter de ronfler.
Le trio ne voyageait pas seul. Quatre agents les escortaient pour assister à la vente aux enchères et parer à toute éventualité.
— Votre compagnon n'a pas trop mal réagi au fait que vous désertiez Paris si soudainement ? voulut savoir Holt.
— Il est lui-même très souvent en déplacement pour son travail. Même si ce n'est pas toujours simple à vivre, nous avons l'habitude d'être séparés.
Puis, sur un ton plus léger, Fanny demanda :
— Vous connaissez Benji depuis longtemps ?
— Dix-sept jours. Et vous ?
— Bientôt quinze ans. Nous sommes entrés à l'université la même année. Mais nous n'avons pas été proches immédiatement. Au début, je le trouvais bizarre. Au milieu de tous ces apprentis érudits qui se prenaient très au sérieux, il avait l'air d'un joyeux touriste. Il m'a fallu un peu de temps pour me rendre compte que sous ses faux airs de dilettante, il était doué. Cela ne l'empêche pas d'avoir un côté fou, très casse-cou.
— Vous parlez bien de Benjamin Horwood, ici présent ?
Comme s'il avait compris qu'il était question de lui, l'intéressé émit un grognement. Fanny baissa la voix pour répondre :
— Oui, oui, ce Benjamin-là. Il cache bien son jeu, vous savez.
— Je saurai m'en souvenir.
— Vous vous demandez peut-être si, pendant nos études, il y a eu quelque chose entre lui et moi…
— Selon la formule consacrée : « cette donnée n'entre pas dans le périmètre de la mission qui nous est confiée ». Il s'agit de votre vie privée et cela ne me regarde pas. Mais je dois quand même vous avouer que nos services m'ont préparé des fiches plutôt complètes sur chacun de vous. Je les ai lues avec beaucoup d'attention. En me concentrant, je dois pouvoir me rappeler à quel âge vous avez su faire du vélo ou le prénom de votre premier flirt.
— Charmant…
— Benjamin a réagi en utilisant exactement la même expression. N'ayez aucune crainte, je suis tenue à la plus stricte confidentialité. Je ne lui ai rien dit de ce que j'ai appris sur vous et je resterai muette sur ce que je sais de lui.
— Vous faites un peu peur.
— Ça aussi, il me l'a déjà dit. À titre tout à fait personnel, je profite que nous soyons seules pour vous dire que je souhaite sincèrement que vous et votre compagnon réussissiez à avoir l'enfant que vous espérez.
Fanny ouvrit de grands yeux.
— C'est hyper-désagréable de se retrouver face à une personne dont vous ne savez rien et qui vous déballe toute l'intimité de votre vie !
— Rien ne vous empêche de me poser des questions. Que voulez-vous savoir ?
Fanny resta interdite.
— Les interrogatoires ne sont pas mon truc.
— Moi si.
L'agent Holt désigna Ben du doigt et glissa à sa voisine :
— Il n'y a jamais rien eu entre nous et je ne veux pas d'enfant dans l'immédiat. Tiens, voilà Benji qui se réveille. Il va avoir faim.
24
Sous le ciel bleu de Johannesburg, environné de cyprès et de massifs de rhododendrons, le Four Seasons Westcliff avait des faux airs de palace de la Riviera méditerranéenne. Son porche à colonnades était typique de l'architecture coloniale de la capitale économique du pays.
Au premier étage de l'établissement, une petite foule se pressait déjà autour des vitrines présentant les lots destinés à la vente, tous issus de la prestigieuse collection Oppenheimer. Malgré la renommée du vendeur et l'importance des biens proposés, ce n'était ni Christie's ni Sotheby's qui organisait l'événement mais Bonhams, plus spécialisé dans les bijoux d'exception et les antiquités.
Bien qu'ayant lieu assez loin des places d'enchères traditionnelles, la vente avait attiré des acheteurs potentiels de tous horizons. Asiatiques, Européens, Américains et fortunes du Golfe admiraient les fabuleuses parures dont les plus belles pierres sortaient tout droit des mines de diamants autrefois contrôlées par la dynastie des vendeurs.
Pendant que les quatre agents se mêlaient aux participants pour mieux les passer au crible, Fanny, Karen et Benjamin faisaient mine de s'intéresser aux lots, mais ils ne s'éloignaient jamais du numéro 17. Selon le catalogue, il s'agissait d'« une curiosité rarissime issue des premières civilisations moyen-orientales, datant d'avant notre ère et constituée d'un cristal de roche monobloc remarquablement poli de forme sphérique, maintenu dans un présentoir de bronze pyramidal orné de symboles merveilleusement gravés issus de différentes cultures, l'ensemble en excellent état ». Répartis autour des différents côtés de la vitrine, tous trois observaient l'objet sous tous les angles possibles. Malgré l'interdiction et la présence de deux gardes, Karen réussit à prendre quelques photos.