Lorsque le premier individu atteignit la maison, il s'adossa directement contre le mur, ajusta ses gants et dégaina son arme. Il engagea une balle dans la culasse et replaça le pistolet dans son étui. En voyant approcher son complice, il positionna ses mains en berceau pour lui faire la courte échelle. Sans ralentir l'allure, l'autre s'élança d'un bond pour agripper la corniche de la fenêtre de la cuisine. Avec agilité, il se rétablit sur le rebord puis, à l'aide d'une lame souple et d'un film métallique, neutralisa le capteur d'effraction. Il força l'ouverture et se glissa dans l'office. Son complice atterrit à ses côtés immédiatement après lui.
Ils se positionnèrent dans le couloir. À l'autre extrémité se trouvaient la porte d'entrée donnant sur la rue et l'escalier qui montait à l'étage. Dans la pénombre, sans un bruit, ils pénétrèrent dans le salon et se dirigèrent droit sur le vénérable meuble blindé. Massif et noir, de la taille d'un petit frigo, décoré de motifs dorés d'inspiration victorienne, ce modèle associant serrure mécanique et combinaison simple ressemblait à ceux que possédaient les bijoutiers dans leurs boutiques au début du siècle dernier. Les deux individus s'agenouillèrent dos à dos, l'un allumant une lampe à faisceau restreint pour s'occuper du coffre pendant que l'autre montait la garde, l'arme au poing. Le premier sortit du matériel électronique de son sac ainsi qu'un jeu de passe-partout à longues tiges. D'un geste expert, il plaqua une sonde sur la porte métallique, qui afficha une image radiographique du mécanisme interne sur sa tablette. Il commença à tourner la molette chiffrée. Après avoir tâtonné, il isola les trois positions de rotation et s'attaqua à la serrure à clé. Dans son dos, son binôme, aussi raide qu'un robot, balayait la pièce, prêt à réagir au moindre bruit.
L'homme en charge du coffre mit moins de trois minutes pour se rendre maître du système de verrouillage. Il tourna la poignée et tira à lui l'épais battant. Quelques dossiers, un peu d'argent, diverses boîtes. L'homme ne se laissa pas distraire et repéra immédiatement ce qu'il était venu chercher. Il s'empara d'un pochon de velours dont la palpation le rassura. La forme pyramidale attendue s'y trouvait. Il ouvrit la housse et contrôla de visu, mais prit soin de ne pas toucher l'objet directement.
C'est alors qu'il entendit un choc sourd, suivi d'une série de claquements. Il identifia aussitôt des pas et un tir d'arme équipée de silencieux. Sans céder à la panique, il enfourna le cristal dans son sac à dos tout en agrippant son pistolet.
Il pensait sans doute que son comparse le couvrait encore, mais il se trompait. Une violente décharge électrique le paralysa. Il bascula sur le côté. Son compagnon ne bougeait déjà plus. Les faisceaux de plusieurs lampes firent irruption dans la pièce, des silhouettes casquées portant des tenues pare-balles l'encerclèrent. La mâchoire tremblante, tétanisé par l'impulsion, l'homme devina qu'on lui faisait une injection à l'épaule. Puis il ne sentit plus rien.
34
— Fanny ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— Salut, Benji. Je ne me voyais pas rester cloîtrée dans leur base. L'impression d'être prisonnière et inutile… inacceptable pour mon moral. Je préfère reprendre le travail. Je voulais aussi en profiter pour te présenter Alloa…
Dans l'encadrement de la porte entrouverte, l'homme apparut derrière elle. Ben s'efforça ne rien laisser paraître ni de sa surprise ni de son malaise. L'ex-baroudeur lui adressa un salut aussi hésitant que le sourire qui l'accompagnait.
— Même si les circonstances ne sont pas idéales, ajouta Fanny, je suis heureuse que vous puissiez enfin vous rencontrer.
— Bien sûr, tu as bien fait. Entrez, soyez les bienvenus.
Le couple passa le seuil et Horwood se leva à leur rencontre. Il embrassa Fanny puis serra la main de son compagnon. Au premier abord, il le trouva moins grand qu'il ne l'avait imaginé — ce qui constitua un motif de joie viscérale totalement déplacée mais réelle. Par contre, le bougre avait autant d'allure que sur les photos glanées sur les réseaux sociaux. Comble de l'épreuve, au moment où Ben tentait de soutenir son regard couleur lagon, il prit conscience que l'athlète avait un sourire réellement sympathique. Troublante sensation lorsque quelqu'un que l'on n'a pas envie d'aimer vous fascine malgré tout. La poignée de main était sans appel. Ben prit immédiatement conscience que l'homme n'avait qu'à refermer son étau préhensile pour lui broyer sa petite mimine d'érudit. L'éternel combat des brutes contre les intellectuels se jouait à nouveau. Ben fut en revanche plutôt satisfait de constater que Monsieur Univers était condamné à se balader dans les locaux avec un badge « visiteur » fluo barré d'une infamante mention lui interdisant l'accès aux zones confidentielles, le reléguant au rang de chien dans un jeu de quilles.
— Bonjour, monsieur Horwood. Heureux de découvrir enfin l'homme dont Fanny parle si souvent.
— Merci beaucoup. Je suppose que si votre bonne amie et moi avions eu davantage l'occasion de converser ces derniers temps, elle vous aurait également beaucoup mentionné. Je compte sur vous pour prendre soin d'elle, surtout après ce qu'elle vient de traverser.
Ben récupéra sa main avec tous ses doigts et pivota vers la jeune femme.
— Comment va ton épaule ?
— Je ne suis plus shootée, alors forcément, je déguste, mais j'ai droit à deux cachets par jour, alors je tiens à peu près le coup. Tu étais en train de travailler ?
— Je tente d'y voir clair en attendant la prochaine catastrophe à gérer.
Ils rejoignirent la table de travail.
— Tes croquis me sont bien utiles, reprit Ben. Ton coup de crayon est toujours excellent. Je me documente sur chacun des symboles mais je m'y perds un peu car la signification de beaucoup d'entre eux a évolué au fil du temps.
— Je sais. Un vrai casse-tête. Juste avant de me faire tirer dessus, j'étais en rendez-vous avec un cryptologue spécialiste des langages non verbaux. D'après le grand patron qui a organisé l'entrevue, il travaille régulièrement pour le gouvernement. Un homme passionnant. Il passe son temps à étudier tout ce qui ne s'écrit pas ni ne se prononce mais qui veut pourtant dire quelque chose. Les nuages de fumée des Indiens, l'architecture des temples antiques, la gestuelle des lanceurs de base-ball… Il m'a ouvert quelques pistes dont il faudra que l'on discute.
Fanny montra les feuilles à son compagnon.
— Ce sont les signes gravés dont je t'ai parlé.
Puis elle ajouta en aparté à l'attention de Benjamin :
— Je sais qu'il ne devrait pas être au courant, mais lui me parle aussi de ses opérations de sécurité.
Ben hocha la tête d'un air entendu.
— Ma mère avait coutume de répéter : « La confiance est le ciment du couple. » Cette mémorable citation a disparu de son répertoire à la seconde où elle a découvert que mon père menait une double vie.
Fanny se tourna vers Alloa.
— Ne fais pas attention, chéri, je t'avais prévenu qu'il pratiquait un humour plutôt grinçant.
— J'aime assez cet esprit, sourit le touriste bronzé.
Fanny leva les yeux au ciel et revint à ses croquis. Elle précisa :
— J'ai tout de même progressé depuis leur réalisation. En me focalisant sur chacun des signes, je suis parvenue à définir une date butoir avant laquelle ce message n'a pas pu être créé. On peut sans risque affirmer que ces codes ont forcément été écrits après l'apparition dans l'histoire du plus ancien des symboles y figurant. Ce qui nous renvoie aux environs de 2 500 ans avant notre ère. Cela n'indique pas précisément leur datation, mais c'est déjà une première limite.