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Dans sa violence, la tempête soulevait maintes questions, mais déposait aussi quelques prémices de réponses. Comme s'il distinguait une lueur à travers les flux de l'ouragan, Horwood commençait à y voir plus clair.

Son tri des notes du professeur Wheelan arrivait enfin à son terme. Partout dans la pièce, sur la moquette, le long des murs et jusque sur le bar, s'empilaient des petits tas de feuilles très ordonnés correspondant aux différentes catégories définies par Ben pour les travaux de son illustre aîné : « Faits », « Commentaires subjectifs », « Spéculations », « Recherches connexes », « Hypothèses envisagées et abandonnées », « Énigmes scientifiques », etc.

Après avoir filtré la totalité des coupures, Benjamin n'avait plus peur de rien — sauf d'un courant d'air qui mélangerait à nouveau l'énorme masse de documents.

La table finalement dégagée était désormais réservée aux catégories les plus importantes. Ben s'apprêtait à déposer la feuille évoquant Himmler sur la pile des « Informations pouvant orienter les recherches » lorsqu'il suspendit son geste. En rapprochant cet élément-là de la nature des produits utilisés par les mercenaires d'Oxford pour se doper et se suicider, il ne pouvait s'empêcher de voir un lien. Il se leva soudain, décidé à aller partager l'information avec Karen.

Il n'avait pas l'habitude de s'aventurer hors de son appartement. C'était même la première fois qu'il se lançait seul dans les méandres du bâtiment officiel de l'agence de renseignement.

D'instinct, il emprunta le couloir dans la direction que Karen suivait toujours en sortant de chez lui. Il chercha des plaques indiquant le nom des occupants des bureaux sans en trouver aucune. Lorsque les portes étaient ouvertes, il jetait un œil, espérant découvrir sa partenaire, mais il ne récolta que des regards suspicieux. Il croisa quelques agents. Désemparé, il se résolut à aborder une inconnue.

— Pardonnez-moi, je cherche Karen Holt.

La jeune femme lui sourit poliment.

— Vous êtes nouveau ?

— J'habite au bout du couloir. Je travaille avec elle.

— Vous êtes le remplaçant du vieux monsieur ?

— En quelque sorte.

— Le mieux est de contacter l'agent Holt par téléphone, elle vous dira quoi faire.

— Je n'ai pas son numéro.

— Je vois. Dans ce cas, tout ce que je peux faire, c'est vous conduire à l'accueil de son pôle où ils aviseront.

La jeune femme se mit aussitôt en chemin, présenta son badge à la borne d'une porte et, après avoir fait passer Ben, s'engagea d'un pas énergique dans l'escalier qui montait. Pour détendre l'atmosphère, Ben demanda :

— Vous travaillez aussi avec elle ?

— Ne posez jamais ce genre de question ici.

À l'étage supérieur, ils arrivèrent devant un sas vitré équipé d'un interphone. La jeune femme sonna.

— Un colis pour Karen.

Penaud, tenant sa feuille à la main, Benjamin ressemblait à un gamin attendant à la porte du proviseur.

Lorsque la paroi de verre s'écarta, l'agent de sécurité lui fit signe d'entrer. Sa guide prit aussitôt congé.

— Merci ! lança Benjamin alors qu'elle disparaissait déjà dans la cage d'escalier.

L'universitaire fut piloté jusqu'à un espace de bureau paysager au centre duquel, autour d'une table commune, Karen discutait avec deux autres agents devant un poste de téléphone en mode haut-parleur. L'un de ses adjoints s'adressait à son collègue en ligne :

— Déconnectez immédiatement le disque dur du reste de l'unité. Sinon ils sont capables de l'effacer à distance.

— Compris, répondit une voix masculine. Avez-vous reçu les trois éléments non cryptés ?

— Nous les avons, déclara Karen. Ne traînez pas sur place.

C'est en se redressant qu'elle découvrit Ben.

— Que faites-vous là ? Un problème ? J'espère que vous n'avez pas bu votre shampooing à la pomme…

— J'arrive encore à me contrôler, mais je ne sais pas si je tiendrai longtemps.

— Que me vaut le plaisir de cette visite surprise ?

— Je suis tombé sur une note de Wheelan dont je souhaite vous parler. Je ne me doutais pas qu'il serait si compliqué d'arriver jusqu'à vous. Je tombe peut-être mal ?

— Non, au contraire. Suivez-moi.

Une fois dans son bureau, Karen débarrassa le siège visiteur de la pile de dossiers qui l'encombrait avant d'inviter Ben à s'asseoir. Il en profita pour passer rapidement la pièce en revue, curieux d'en apprendre plus sur celle dont il savait si peu. L'endroit n'était pas grand, et très encombré. Une armoire blindée entrouverte, apparemment remplie de classeurs, sauf en bas où l'on pouvait apercevoir un sac de sport. Au mur s'étalaient des cartes géographiques et des listes de données qu'Horwood n'essaya même pas de déchiffrer pour avoir une chance de rester en vie. Il y avait aussi une cible de tir percée de cinq impacts parfaitement groupés en son centre. Aucun bibelot ni objet personnel, à l'exception de trois clichés dont deux grands : un chien couché dans l'herbe sur un tirage aux couleurs passées, une photo de groupe un jour de mariage devant un de ces hôtels de la campagne anglaise dont les noces à la chaîne constituent la principale activité et, plus petite mais la seule sur le bureau, celle d'un homme, beau gosse, souriant, torse nu, assis sur un cocotier incliné au bord d'une plage paradisiaque, sur fond de ciel d'orage.

— De quoi vouliez-vous me parler ?

— D'une information qui me perturbe, mais qui, étant donné son ancienneté, est sans doute moins urgente que cette histoire de disque dur. Votre surveillance s'emballe, c'est ça ?

— En effet. Je vous passe les détails mais nos agents ont réussi à localiser le mobil-home dans lequel les deux cambrioleurs ont habité pour préparer leur opération. Planqué dans le plafond, ils ont découvert un ordinateur portable.

— Bien joué. Un échec au roi en perspective ?

— Pas certain. La plupart des dossiers sont cryptés. Il semble cependant que nos gaillards travaillaient déjà sur un autre coup. Malheureusement, les seules informations auxquelles nous avons eu accès pour le moment ne sont pas cohérentes.

— De quoi s'agit-il ?

— Principalement d'un plan réalisé à main levée. Des couloirs, des salles, et derrière ce qui pourrait être un mur, un escalier qui conduirait à une pièce.

— Pour préparer un autre vol ?

— Possible, mais cela n'a pas de sens. L'unique indication est manuscrite et mentionne le temple égyptien d'Abou Simbel. Nous avons vérifié, le tracé ne correspond absolument pas à la configuration du lieu.

— Une pièce derrière un mur… Un passage secret ?

— Sauf que rien ne colle avec l'endroit qui se visite.

La tempête se leva de plus belle dans l'esprit de Ben. Karen détecta immédiatement son changement d'attitude.

— Vous en faites une tête…

Il ne répondit pas immédiatement.

— Puis-je voir ce plan ?

38

— Qu'y a-t-il de si urgent, monsieur Horwood ?

Ben n'avait eu que quelques minutes — le temps que le patron de Karen les rejoigne — pour mettre ses idées en ordre. Il entra directement dans le vif du sujet.

— Si mon hypothèse se vérifie, nous avons peut-être une chance de prendre nos adversaires de vitesse sur leur propre terrain.