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— Heureux de l'apprendre. Et quel sera donc notre principal problème ?

— La visibilité. On ne va rien voir au fond. Ce sera de la purée. Vous n'êtes pas claustrophobe, au moins ?

40

Alors que les premiers rayons du soleil embrasaient la ligne d'horizon, le convoi composé d'un 4×4 de l'Unesco suivi de deux camions tout-terrain se présenta à la barrière de l'accès technique du site d'Abou Simbel. Malgré l'heure très matinale, non loin de là, les cars de touristes commençaient déjà à envahir l'immense parking public, déversant leur armada de curieux.

Un premier garde sortit du poste de sécurité. Il s'approcha du véhicule de tête dans lequel Karen, seule femme de l'expédition, était au volant avec à ses côtés l'historien du British Museum venu officiellement superviser l'opération. L'homme vérifia avec attention la liasse de documents d'accréditation, pendant que ses collègues inspectaient le chargement des camions et l'identité des « techniciens ». Après avoir échangé avec les autres agents de sécurité dans sa langue, il indiqua le chemin avec un fort accent :

— Suivez cette piste. Elle vous conduira sur les rives du lac. Ne vous écartez pas du tracé. On viendra vous voir plus tard.

— Pas de problème, merci.

La petite colonne se remit en mouvement, quittant l'allée bitumée en soulevant un nuage de poussière dans son sillage. Au premier croisement, l'agent Holt bifurqua sur la droite, laissant comme prévu l'équipe continuer seule. Profitant des quelques heures nécessaires à la première plongée, Karen et Ben s'étaient inscrits pour une visite du grand temple.

En descendant du véhicule, Ben plissa les yeux. Le soleil montait rapidement et il avait oublié ses lunettes noires. Regardant autour de lui, il éprouva une sensation grisante d'immensité. Les reliefs de roche et de sable s'étendaient à perte de vue sous un ciel gigantesque qui virait peu à peu au bleu. Il respira à pleins poumons. Dans quelques heures, l'air encore frais de la nuit serait devenu brûlant sous les rayons ardents. Sur ses joues, Ben sentit ce léger vent qui picote, charriant d'infimes poussières minérales capables de vous envahir jusque dans vos vêtements s'ils ne sont pas adaptés au climat. Il retrouva aussi la détestable invasion de ces minuscules grains qui vous assèchent la bouche et font grincer les dents. D'un geste adroit, Karen attacha ses cheveux, ce qui n'empêcha pas le vent de jouer avec sa mèche restée libre. Ben remarqua que cette coiffure-là révélait sa nuque. La jeune femme, plus prévoyante que lui, enfila les lunettes solaires qu'elle avait pris soin d'emporter.

— Hier soir à Londres, ce matin en Égypte, commenta Ben. Ça ne vous fait pas drôle ? J'ai davantage voyagé en trois semaines avec vous que pendant les dix dernières années.

— Le tout sans même avoir besoin de sauter en parachute…

Horwood était tenté de lui confier qu'ici, seul avec elle, il avait presque l'impression d'être en vacances. Mais, redoutant une de ces reparties dont il se méfiait, il s'abstint. Karen prit le chemin des monuments.

Le grand et le petit temple, bâtis côte à côte, se distinguaient très nettement, au point que l'on aurait pu les croire à une distance raisonnable. Cependant, au fur et à mesure que les deux visiteurs s'en approchaient, ils mesuraient réellement ce qu'il en était : ce n'était pas parce qu'ils étaient proches qu'on les voyait si clairement, mais parce qu'ils étaient immenses. Plus Karen et Ben progressaient dans leur direction, plus les édifices prenaient leur dimension, si colossaux qu'ils en étaient fascinants.

Pour faire face au flot de touristes venus du monde entier, les visites étaient très encadrées et minutées. Karen ne mit pas longtemps à trouver le guide auprès duquel elle les avait inscrits. L'homme à la peau mate était mince et sec, d'un âge difficile à déterminer et plutôt petit, mais il faisait preuve d'une énergie communicative. Ben se demanda s'il était toujours aussi en forme après sa journée à promener des centaines de badauds. Le guide conduisit son groupe face au monument et débuta sans tarder :

— Bienvenue au grand temple d'Abou Simbel, joyau de la vallée de Nubie, créé par le pharaon Ramsès II voilà plus de 3 000 ans. Avec cette réalisation monumentale, Ramsès le Grand affirme sa puissance jusqu'aux limites de ses terres, puisque nous nous situons à l'extrême sud de ce qui constituait son empire. Lorsqu'il ordonne la construction de ce temple, les pyramides de Gizeh dominent déjà le monde antique depuis plus de mille ans. Ce seul chiffre donne toute la mesure de la grandeur et de l'éternité de la civilisation égyptienne. Aucune autre culture, pas même la Grèce et Rome, ne parviendra à l'égaler.

Sans s'être concertés, Karen et Ben se retrouvèrent en queue de peloton. Horwood s'approcha de sa complice.

— Déjà, petit, je restais derrière pendant les visites, lui glissa-t-il. Je préférais traîner et regarder à mon rythme plutôt que de coller au troupeau.

— Vous ne vous intéressiez pas aux commentaires ? Voilà qui est surprenant de la part d'un futur historien. Je faisais comme vous, mais dans mon cas c'était plus logique…

Pour donner encore plus de théâtralité à son discours bien rodé, le guide multipliait les grands gestes.

— Découvert en 1817, sous des tonnes de remblai dont seule une tête géante émergeait, ce temple est dédié au grand dieu d'Empire Amon-Rê, au dieu-soleil Rê-Horakhty ainsi qu'à Ptah et au pharaon lui-même. La façade, orientée à l'est, culmine à trente-quatre mètres de haut, dominée par une frise de vingt-deux babouins. Les quatre statues monumentales que vous pouvez admirer représentent toutes Ramsès II et mesurent chacune vingt mètres de haut.

Le spectacle était effectivement grandiose. Le lieu imposait une force et une noblesse intactes malgré les millénaires. Dans ce contexte, la rumeur des différents groupes de visiteurs parlant chacun dans leur langue paraissait incongrue, presque vulgaire.

— Imaginez l'émotion de ceux qui ont découvert ces monuments…, murmura Ben. Voir ces merveilles surgir des sables. Être le premier à y pénétrer depuis des siècles, dans un silence sépulcral, rempli d'admiration et de crainte devant ces signes alors indéchiffrables…

Le guide poursuivait :

— Grâce à ces colosses de grès, Ramsès II innove en décorant pour la première fois l'entrée d'un spéos. Ces gigantesques représentations du souverain avaient aussi pour fonction d'intimider d'éventuels envahisseurs venus du sud. Vous pouvez constater que le buste de la seconde statue à gauche s'est effondré, peut-être suite à un séisme survenu du vivant même de son bâtisseur. Nous allons maintenant nous avancer vers l'intérieur, si vous le voulez bien.

L'effet produit par la façade augmentait à mesure que les visiteurs s'en approchaient. Elle provoquait une sensation de vertige unique. Chacun était obligé de se tordre le cou pour apercevoir la frise du sommet désormais éclairée par le soleil. L'homme à la peau mate expliqua :

— Le temple fut creusé dans la falaise sur près de soixante mètres de profondeur. Il comporte deux grandes salles en enfilade qui conduisent au sanctuaire. On trouve également des salles latérales, aussi appelées salles du Trésor.

Avant de franchir le seuil majestueux, Karen déclara en aparté :

— On a du mal à se dire que tout cela n'est qu'un décor reconstitué.

Ben désigna la vue vers le lac Nasser.

— Le site d'origine est là-bas, cent soixante-dix-huit mètres plus loin et soixante-deux mètres plus profond, englouti. En observant les parois réédifiées ici, amusez-vous à déceler les traces de coupe. Pensez aux trois mille pauvres bougres qui ont scié tout ça à la force des bras.

En pénétrant dans le temple, Karen fut saisie par la beauté et la richesse du lieu.