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— C'est vraiment très impressionnant.

Ils évoluaient au milieu d'une foule, mais elle parlait à Ben aussi naturellement que s'ils étaient seuls.

— Tout à fait entre nous, que croyez-vous que nous allons trouver au fond ?

— Au fond de ce temple-là, rien, à part un dôme en béton. Et au fond de l'eau, pas la moindre idée. Je suis d'autant plus curieux que les indices déjà recueillis nous renvoient à une période bien plus ancienne que la construction de ce temple et que la plupart des artéfacts semblent plutôt rattachés aux Sumériens qu'aux Égyptiens.

— J'ai quand même relevé que le pharaon a dédié ce temple à deux divinités liées au soleil.

— Trois, en fait. Je vous expliquerai cela une fois dans le sanctuaire…

Pour obliger son groupe à se tenir près de lui, le guide parlait sans forcer la voix.

— La première salle, aussi appelée pronaos, est soutenue par huit piliers de dix mètres dits « osiriaques » parce qu'ils ont la forme du dieu Osiris, même si en l'occurrence, ils ont le visage du grand Ramsès. Sur les murs, vous pourrez découvrir différents exploits militaires, avec notamment la soumission d'un chef libyen, la prise d'une citadelle et au nord, la représentation de la bataille victorieuse menée à Qadesh contre les Hittites, dans l'actuelle Syrie.

Ben remarqua soudain un homme qui semblait l'observer à la dérobée. Chaque fois qu'il en avait l'occasion, l'individu ne le quittait pas des yeux. Il n'appartenait pas à leur groupe, mais le suivait manifestement. Ben chercha le moyen d'alerter discrètement Karen. Il s'approcha d'elle et, comme s'ils avaient été un banal couple de touristes, lui prit délicatement la main.

— Qu'est-ce qui vous prend ?

— Je crois qu'on nous file.

— Ne désignez personne, ne montrez pas. Décrivez et indiquez-moi la direction.

Malgré cette tirade peu romantique, elle ne dégagea pas sa main. Bien au contraire, elle joua le jeu en posant sa tête sur son épaule, ce qui ne manqua pas de troubler Ben.

— Un homme de ma taille, vêtu d'une chemise bleu clair, à cinq heures. Sur le coup, j'ai cru que c'était Nicholas Dreyer…

Feignant d'admirer les bas-reliefs, Karen pivota pour balayer l'angle indiqué. Mais dans la foule perpétuellement en mouvement, elle n'identifia personne.

— Restez près de moi, soyez vigilant, mais ne laissez paraître aucun signe d'inquiétude.

— Vous croyez que les autres peuvent être ici ?

— Je vous rappelle que nous y sommes parce que nous avons saisi un de leurs plans.

— Vous n'êtes même pas armée.

— Ne vous en faites pas, même nue, je suis dangereuse…

Main dans la main, ils suivirent leur groupe. Ben avait du mal à se concentrer sur autre chose que la dernière remarque de l'agent Holt.

Le guide s'enfonça plus avant dans le temple, emprunta un passage étroit à la sortie duquel il embrassa l'espace d'un ample mouvement du bras.

— Cette seconde salle, dénommée naos, présente le cheminement du pharaon jusqu'à son accession parmi les dieux. Sa famille ainsi que des scènes traditionnelles évoquant la vie de l'époque sont également figurées. Ramsès II passe ainsi de l'état de descendant divin à celui de dieu lui-même, et cela de son vivant.

Louvoyant entre les piliers, Karen multipliait les occasions de se retourner pour couvrir toutes les directions, mais cette salle plus exiguë et la densité des visiteurs qui en résultait compliquaient sa surveillance.

Le groupe avança encore pour gagner l'antichambre du sanctuaire. Ben et Karen ne s'étaient pas lâché la main. Cette fois, ce fut Ben qui emmena Karen.

— Permettez-moi de vous servir de guide.

Il l'entraîna sur la droite et glissa :

— Si nous étions sur le site d'origine, c'est derrière ce mur qu'il faudrait percer en espérant trouver un accès.

Puis il contourna un groupe de Japonais pour se présenter à l'entrée du sanctuaire, la toute dernière salle du temple. Sur le mur du fond s'alignaient quatre statues.

— En partant de la droite, annonça Ben, je vous présente Rê-Horakhty avec sa tête de faucon surmontée du disque solaire, Ramsès II lui-même, puis Amon-Rê, à la coiffe ornée de deux plumes. Sur la gauche, voici Ptah, dont la tête manque. J'ai une histoire intéressante à vous raconter sur lui. Vous verrez qu'elle n'est pas sans lien avec notre sujet…

Karen était suspendue à ses lèvres.

— En se basant sur la partie encore visible de la statue, les égyptologues estiment qu'il était présenté ici sous sa forme couronnée d'un disque solaire, incarnant alors le feu souterrain capable de semer le chaos sur la terre. Sous cette apparence, il ne doit jamais être exposé à la lumière. Il peut parfois prendre l'apparence d'un babouin, comme ceux qui ornent la frise de la façade du temple.

Il invita la jeune femme à se retourner et lui désigna l'entrée du temple à l'autre extrémité des deux salles, aveuglante depuis leur pénombre.

— Deux fois par an, le 23 février et le 23 octobre, les rayons du soleil pénètrent jusqu'ici, illuminant trois statues pour les régénérer, mais Ptah, lui, reste éternellement dans l'ombre comme le veut la tradition.

— À quoi correspondent ces dates ?

— Elles ne correspondent plus à celles fixées à l'origine car les différents calendriers adoptés depuis et le déplacement du temple les ont légèrement décalées. Plusieurs hypothèses ont été évoquées, mais je commence à en envisager moi-même une autre, très personnelle. Il semble acquis qu'à travers ce temple, Ramsès II a voulu servir les dieux et sa gloire aux limites de ses terres. Tout le monde considère que son ambition et sa dévotion ont été ses moteurs. Mais le choix des dieux à qui il consacre ce monument et la place qu'il s'y donne lui-même posent plusieurs questions. Ce monument ne peut pas uniquement s'expliquer par la recherche de grandeur dans la pratique d'un culte. Son emplacement, sa nature, le fait qu'il soit enfoui dans la roche… Plus important encore, il n'était pas d'usage de mélanger dieux de la lumière et dieux de l'ombre. Pourquoi le souverain a-t-il choisi cette étrange association ? Pourquoi les prier ensemble ? Pour quelle protection avait-il besoin des deux ?

— Parce qu'un seul n'aurait pas suffi, réfléchit Karen. Il fallait la complémentarité de leurs pouvoirs pour exaucer sa demande.

— J'en suis arrivé à cette même conclusion. Je me demande si le pharaon a voulu les honorer ou leur confier quelque chose. Étant donné la nature des divinités, cela aurait forcément un rapport avec la lumière, dans ce qu'elle a de positif ou de négatif.

— Nous nous trouverions donc dans un écrin plus que dans un lieu de culte ?

— Creusé comme un abri au cœur d'une montagne.

— Pour y entreposer un trésor ?

— Peut-être un pouvoir. Quoi qu'il en soit, quelque chose qui mérite que, loin de tout, l'homme le plus puissant de son temps ait transformé une montagne en palais.

41

Le lac Nasser scintillait d'une nuée de reflets aveuglants, semblables à des papillons d'or incandescents battant des ailes avant de prendre leur envol.

Perché sur le toit du camion logistique, un homme équipé de jumelles surveillait les environs. Chacun de ses collègues passant à proximité y allait de sa petite vanne pour évoquer son futur bronzage et lui rappeler qu'il avait la meilleure place de la troupe, tant que les abords restaient paisibles et qu'aucun sniper ne le prenait pour cible.

Sur la berge, trois groupes électrogènes ronflaient, alimentant les pompes de désensablement et l'éclairage du chantier sous-marin. Assisté par deux militaires, Benjamin tentait d'entrer, non sans difficulté, dans un scaphandre rigide pour grandes profondeurs digne d'un film de science-fiction — un costume en inox, titane, téflon et kevlar.