Les secondes qui suivirent furent comme une éternité. La respiration dantesque de son cauchemar finit cependant par s'apaiser. Quelques instants plus tard, constatant qu'aucun châtiment divin ne l'avait réduit à néant, Ben se retourna lentement et ne découvrit rien, ni personne.
Encore tremblant, il s'avança. Il s'aperçut alors que dans l'escalier, l'eau était agitée de petites vaguelettes pointues et que son niveau était brutalement monté d'au moins un mètre. C'était sans doute l'effet de siphon qui avait provoqué ce fracas de tempête et ce souffle surpuissant. Ben pouvait continuer à espérer que les monstres n'existaient pas… Mais il avait une autre raison de s'inquiéter. La colossale masse d'eau repoussait l'air dans les plus infimes fissures des structures de la salle. Cette marée agressive cherchait à envahir la pièce et pouvait y parvenir d'un instant à l'autre. Alors, il ne donnerait pas cher de sa peau. Il essaya de retrouver son calme.
— Fais un effort, concentre-toi sur tes recherches. Que dirais-tu à Fanny si elle était là ?
Il se retourna vers le sarcophage.
— Toi aussi tu voudrais bien savoir qui se cache là-dedans, pas vrai ? Qui est celui qui repose ici ? Pour qui a-t-on aménagé cette tombe secrète ?
— Le meilleur moyen de le savoir, c'est encore de l'ouvrir, répondit la voix de West dans son casque.
Cette fois, Ben ne put contenir sa peur et hurla. West apparut dans son champ de vision, tenant un projecteur et un enregistreur.
— Bon sang, vous voulez me tuer ? s'exclama Benjamin. Vous ne pouviez pas vous annoncer ?
— J'aurais bien frappé, mais il n'y a pas de porte. Qu'est-ce que vous avez foutu avec la flotte, vous avez laissé un robinet ouvert ?
— L'eau repousse l'air, et c'est plutôt violent. Un palier a été franchi d'un seul coup. Cette salle sera noyée d'ici peu.
— Puisqu'on en est au concours de mauvaises nouvelles, j'en ai une qui devrait vous plaire : nous allons devoir nous débrouiller tout seuls, vous et moi, parce que nos valeureux frères d'armes ne peuvent pas venir ici avec leurs équipements. À cette profondeur, ils doivent rester dans l'eau, sinon ils y laisseront leur peau.
— On fera avec. Aidez-moi à ouvrir le tombeau.
— On est obligés ?
— Bien sûr, quelle question !
West n'en menait pas large.
— Génial. J'ai toujours rêvé de réveiller les morts.
Il alluma sa lampe et la posa. Les peintures dorées des fresques se mirent à briller comme elles ne l'avaient pas fait depuis des millénaires.
Les deux hommes se positionnèrent chacun à une extrémité du sarcophage et placèrent leurs mains aux angles de la dalle.
— À trois ?
— OK.
Ils eurent beau y mettre toute leur force, le couvercle ne bougea pas.
— Faites un effort, Benjamin, donnez tout ce que vous avez.
— Je fais ce que je peux. Mes excuses, mais mon cursus n'incluait pas la musculation. Le travail de bûcheron, c'est plutôt votre domaine.
— Pardon ?
Un coup de tonnerre encore plus violent que le premier explosa dans la pièce, d'une force telle que le sol en trembla. L'eau bondit comme un monstre tapi passant à l'attaque. Le rugissement de l'air fut encore plus puissant et la vague vint frapper la base du sarcophage.
Une fois passé le choc de la surprise, Ben constata :
— Alloa, la dalle a bougé.
Ils forcèrent de plus belle et enfin, réussirent à déplacer la pierre.
En apercevant ce que contenait la tombe, Ben, cette fois, éprouva quelque chose. Une émotion qu'il n'oublierait jamais.
44
Comme si le temps avait suspendu son cours, Benjamin et West contemplaient le coffre mortuaire ouvert. Dans une disposition très inhabituelle, l'habitacle comportait deux parties. Une momie reposait dans la plus grande, mais contrairement à ce qui se pratiquait le plus souvent pour des sépultures de cette importance, la dépouille n'était pas enfermée dans un sarcophage secondaire. Le corps desséché reposait à même le fond du réceptacle de pierre, vêtu d'une longue tunique aux manches ne laissant apparaître que les mains et les pieds. La peau parcheminée grise avec des nuances brunes était rétractée sur les os dont on devinait aisément chaque contour. Un masque d'or incrusté de pierreries recouvrait le visage. Un spectaculaire collier composé de petits rectangles dorés assemblés en cotte de mailles s'étalait sur la poitrine creusée. Aux poignets, des bracelets du même métal. La forme de chacun de ces bijoux était atypique. Si les matières étaient ciselées avec un soin virtuose, les lignes plus sobres, associant des motifs inédits dans la culture égyptienne, renvoyaient à des influences étrangères. Malgré la finesse du travail des artisans, le dessin de ces parures semblait destiné à avoir du sens plutôt qu'à impressionner. Comparativement aux trésors égyptiens déjà connus, le résultat pouvait paraître plus primitif mais paradoxalement plus technique.
Le second compartiment était situé aux pieds du cadavre. Il se présentait comme un bloc plein, chacun des objets s'y trouvant étant logé dans un espace spécialement creusé à sa forme.
— West, il faut aller chercher les containers.
— Je refuse de vous laisser ici tout seul avec l'eau qui peut jaillir.
— Nous devons sauver ceci. Allez-y, je vous en prie. Chaque seconde compte. Je m'occupe des photos.
— Fanny m'a demandé de vous ramener vous, pas les antiquités. C'est trop risqué. Si la pièce est submergée, on va déguster.
— Alloa, personne — pas même vous — ne me fera sortir d'ici sans ces artéfacts.
West grogna.
— Fanny a raison, vous êtes plus têtu qu'une bourrique.
— Je vous le confirme. Alors aidez-moi, s'il vous plaît.
De l'eau jusqu'aux mollets, West prit le chemin de la sortie pendant que l'historien entamait le plus étrange inventaire de son existence.
Une fois seul, il se tourna vers la momie et se pencha sur elle.
— Qui es-tu ? lui demanda-t-il. Un prêtre ? Un magicien ? Un voyageur venu d'une contrée lointaine ? Peut-être une femme, si j'en juge par la forme de ton bassin.
Il réalisa quelques prises de vues.
— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas un pilleur, pas même un explorateur. Je ne vais te prendre aucun de tes bijoux. D'ici peu, l'eau sera partout. Tu ne vas pas aimer cela. Je t'en demande pardon mais nous avons besoin de savoir. D'autres avaient prévu de venir et je ne suis pas certain qu'ils t'auraient laissé tes richesses. C'est avec respect que je te demande de m'aider. Permets-moi de prendre le savoir qui pourra nous épargner le pire.
Il recula vers le bas du sarcophage et extirpa un premier objet de son logement. Un tube de pierre contenant un rouleau de papyrus. Un autre se trouvait dans le trou voisin. Ce fut ensuite un étonnant cube de métal couvert de graduations et de tracés géométriques qu'il sortit. Son emballage de toile tissée tomba en poussière.
Un nouveau coup de tonnerre ébranla la salle. Ben se cramponna au tombeau. Le souffle prit cette fois la forme d'une plainte évoquant un monstre agonisant. Sur les murs et au plafond, des fissures se répandirent, lézardant les inestimables fresques. Le disque solaire était désormais fendu. Étrangement, aucune poussière ne tombait par les interstices. L'air sous pression, repoussé dans les entrailles de la terre, emportait avec lui dans sa fuite la moindre particule. Des forces physiques titanesques s'affrontaient dans cette salle. L'eau était encore montée, décidée à conquérir son espace. La poche d'air lui résistait, mais pour combien de temps ? Le flot arrivait désormais à mi-hauteur du sarcophage. Les vagues agitées léchaient les murs, de plus en plus haut. Malgré les secousses, Ben ne se déconcentra pas.